Pour répondre aux auditeurs : Marc Fauvelle, le directeur de l’information de France Inter et Franck Mathevon le directeur de l’information internationale de Radio France

Depuis le 7 octobre dernier, date de l’assaut du Hamas, l’ampleur de l’actualité internationale et nationale, se traduit par l’envoi de milliers de messages de la part des auditeurs de France Inter. Les critiques et les interrogations du public témoignent de la nécessité de fournir un éclairage sur les méthodes de travail de la rédaction. Expliquer les décisions éditoriales peut en effet contribuer à une meilleure compréhension de la manière dont les journalistes abordent des sujets aussi complexes.

Nous allons donc parler dans ce rendez vous de l’attentat d’Arras et du conflit entre le Hamas et Israël. On commence avec l’actualité au Proche Orient :

Le conflit Hamas/Israel

Extrait du journal de 8h de Florence Paracuellos le lundi 9 octobre.

Emmanuelle Daviet : Quatre auditeurs sur cinq ayant écrit demandent que les rédactions donnent plus de voix aux Palestiniens, aux organisations humanitaires et aux représentants de l’ONU. Un auditeur sur cinq juge à l’inverse que les journalistes devraient davantage tendre le micro aux Israéliens. Marc Fauvelle, comment recevez vous ces remarques ?

Marc Fauvelle : D’abord avec beaucoup d’humilité. On écoute toujours, évidemment, ce que nous disent, les auditeurs d’Inter ? On sait que le Proche-Orient est un sujet sensible, le plus sensible. Peut être que chaque mot que nous utilisons peut être perçu différemment en fonction des convictions, des opinions, nos auditeurs, et qu’on se doit évidemment sur ce sujet de nous en tenir, de s’en tenir aux faits et de sourcer nos informations Pour vous répondre sur le fond, maintenant sur ce sentiment qu’on aurait davantage entendu le côté israélien sur Inter. Deux choses d’abord, le déroulé chronologique. C’est vrai que pendant les premières heures et les premiers jours, ce sont avant tout des témoignages côté israélien que nous avons entendu. Des témoignages très durs. On en a eu un extrait un instant sur ce qui s’était passé dans les kibboutz lors de la rave partie, également sur les enlèvements, sur les meurtres, sur les otages et leurs familles. Et puis le deuxième point, il faut rappeler une évidence nous ne sommes pas aujourd’hui à Gaza, c’est un territoire qui est bouclé. Il n’y a quasiment aucun journaliste sur place. Tout se fait donc à distance. C’est pour ça que nous avons décidé, dès les premières heures après l’attaque du Hamas, de dédier à Paris une équipe spécialement chargée de joindre des témoins, des médecins, des contacts que nous avons sur place, des ONG aussi. Ça se fait par téléphone, ça se fait dans des conditions délicates. Il n’y a pas d’électricité ou très peu à Gaza. Les liaisons sont difficiles. Il nous a semblé essentiel de le faire. Ce sont ces témoignages recueillis, donc à distance, que vous entendez régulièrement dans les journaux de France Inter.

Emmanuelle Daviet : Et alors, comment votre rédaction assure l’équilibre entre la présentation des faits objectifs et la contextualisation nécessaire pour que les auditeurs comprennent les enjeux de ce conflit ?

Marc Fauvelle : Il faut effectivement, dans ce cas là, encore plus que dans d’autres, donner les clés de compréhension. C’est essentiel. On est dans un conflit dont les ramifications sont nombreuses. C’est ce qu’on a choisi de faire. Donner des clés, prendre du recul, dézoomer un peu parfois, pour expliquer par exemple, le rôle de l’Iran, dire tout simplement ce qu’est le Hamas. Tout le monde n’a pas la carte de la région parfaitement en tête. On a pu oublier ses cours d’histoire du lycée, donc il faut faire chaque jour un travail d’explication. On a aussi fait appel régulièrement à des historiens pour redonner du sens. On a besoin de ces deux piliers les faits d’un côté, le contexte de l’autre. Il en ajoute un troisième, essentiel à nos yeux. Et je pense que Franck Mathevon dira la même chose. C’est le reportage sur le terrain en Israël, en Cisjordanie occupée, dans les pays frontaliers. On a en ce moment, je crois, en permanence une dizaine de personnes dans la région.

Emmanuelle Daviet : Alors précisément, Franck, pouvez-vous nous expliquer comment les journalistes sélectionnent les sources d’information et les experts pour garantir une perspective équilibrée et impartiale ?

Franck Mathevon : D’abord, je vais répéter un peu ce que vient de dire Marc. C’est important de le nommer. C’est important de le redire. On est extrêmement vigilants dans la couverture de ce conflit. On l’est tout le temps évidemment, mais je pense qu’il y a un degré de vigilance supplémentaire parce qu’on sait que c’est un sujet particulièrement sensible. D’abord, il est essentiel qu’on couvre le drame vécu par les Israéliens, mais aussi l’épreuve traversée par les Palestiniens de Gaza. Et c’est très difficile parce qu’effectivement on ne peut pas aller à Gaza pour le moment. Donc l’objectif, c’est d’avoir des reporters sur le terrain. Une dizaine de personnes effectivement sur place, cinq tandems. Reporters techniciens. On a aussi notre correspondant permanent à Jérusalem sur place, Thibault Lefèvre. Et puis, je crois qu’on peut le dire, on a développé à France Inter, à la rédaction internationale de Radio France une expertise sur le Proche-Orient. On est très nombreux à avoir fait des missions de reportage dans la région. On connaît la zone, on y a des contacts, on connaît des habitants de cette région, des spécialistes et on réfléchit chaque jour à être le plus complet et le plus équilibré possible.

Emmanuelle Daviet : Vous avez cité les journalistes sur le terrain. C’est une question qui intéresse énormément les auditeurs. Ils veulent connaître les conditions de travail des journalistes.

Franck Mathevon : On ne peut pas considérer que ce soit un terrain de guerre comme en Ukraine. Malgré tout, on applique exactement les mêmes consignes de sécurité. Là aussi, il faut être extrêmement vigilant. C’était particulièrement vrai les premiers jours après l’attaque du Hamas dans le sud d’Israël. Il y avait des infiltrations. Israël est par ailleurs visé par des roquettes du Hamas dans le Sud, même si un système de bouclier antimissiles qui est très performant, il faut aussi être très prudent, dans le nord d’Israël, près de la frontière avec le Liban, où la situation est tendue. On le dit chaque jour sur France Inter, le Hezbollah y envoie des roquettes. Il y a aussi des infiltrations à cet endroit. Et puis la tension est vive également en Cisjordanie entre colons israéliens et Palestiniens, et parfois entre Palestiniens. Donc nos journalistes et techniciens ont tous les équipements de sécurité nécessaires, casques et gilets pare balles. Pour le reste, les conditions sont plutôt acceptables. N’oublions pas qu’on est dans une des zones du monde les plus couvertes par les journalistes.

Emmanuelle Daviet : Question de vocabulaire à présent, des auditeurs ne sont pas d’accord avec l’utilisation du terme « combattants » pour désigner les membres du Hamas, qu’ils estiment être des terroristes. Ces auditeurs demandent que le terme « terroristes » soit utilisé pour décrire les membres du Hamas plutôt que « combattants ». Le champ lexical est une question extrêmement sensible dans l’évocation de ce conflit. Comment avez vous engagé la réflexion à ce sujet ?

Marc Fauvelle : Question tellement sensible que cette réflexion, on l’a eue quasiment dans l’après midi du 7 octobre, c’est à dire le jour de l’attaque du Hamas. On s’est réuni les différentes rédactions de Radio France parce qu’on nous a semblé qu’il fallait prendre une définition commune. La rédaction internationale également, pour dire tout d’abord que l’attaque du Hamas sur Israël est bien une attaque terroriste. C’est ainsi qu’elle a été qualifiée. Quand des hommes armés tuent des civils, sèment la terreur dans un but politique, ça s’appelle du terrorisme, il faut le dire. Et ceux qui ont fait ça sont donc bien des terroristes. On a fait le choix également de rappeler régulièrement sur l’antenne que le Hamas est reconnu comme une organisation terroriste par les pays de l’Union européenne, par les Etats Unis également. C’est un fait là encore. Ensuite, c’est vrai, c’est vrai, les auditeurs ont raison que ces hommes ont parfois été qualifiés de combattants pour définir ce groupe qui s’est introduit en Israël. Mais je peux vous assurer que dans la phrase suivante ou dans la phrase bref précédente, le mot terroriste était bien présent. Et encore, c’est le fruit d’une décision. Contrairement je le souligne, on a eu l’occasion d’en parler sur cette antenne à d’autres médias. Je pense à la BBC en Grande Bretagne, qui refuse d’employer ce mot de terroriste pour qualifier le Hamas.

Franck Mathevon : Mais je n’ai pas grand chose à ajouter. Marc a tout dit, mais c’est important de souligner qu’on s’est réuni tous ensemble, entre directeurs des différentes rédactions, pour discuter de ce sujet, du vocabulaire qu’on emploie, des mots qu’on emploie parfois de la prononciation. On décide de dire Hamas à l’antenne et pas « Hamas »Ramas » ou Hamas pour être le plus neutre possible. Et on y réfléchit chaque jour en permanence. On essaye d’être le plus rigoureux possible.

Emmanuelle Daviet : Question très importante : depuis le 7 octobre, les auditeurs s’interrogent sur la manière dont les bilans chiffrés des morts en Israël et en Palestine sont présentés. Ils remarquent que les chiffres sont parfois fournis sans indiquer de sources indépendantes. Certains auditeurs estiment que cela soulève des questions quant à la fiabilité de ces données, car chacun a un intérêt politique dans la manière dont les victimes sont comptabilisées. Franck Mathevon, les auditeurs souhaiteraient savoir comment sont vérifiés ces chiffres ?

Franck Mathevon : D’abord, il y a quelques principes. Normalement, quand on donne un bilan sur l’antenne de France Inter, on cite la source, toujours. Et la source, dans un conflit, elle est forcément discutable, elle est orientée, donc c’est une information en soit, il faut donner la source. Ensuite, évidemment, c’est très difficile de vérifier les chiffres, en particulier quand on n’est pas sur le terrain. C’est le cas par exemple à Gaza. Je vais vous donner l’exemple de l’explosion à l’hôpital de Gaza, c’était mardi soir. On a fait quelque chose d’assez inédit à Radio France, à France Inter, on a créé une petite cellule spécifique multi chaînes pour étudier toutes les données disponibles, vous savez, en open source, c’est à dire qui sont accessibles au public pour en tirer des conclusions. Et donc, on a eu trois journalistes qui ont analysé les images satellites, les photos, qui ont reconstitué les lieux de l’explosion. Ils ont notamment constaté qu’il n’y avait pas de cratère, donc a priori, difficile d’accréditer la thèse d’une bombe israélienne. Ils ont vu aussi qu’il n’y avait pas des centaines de familles, probablement à cet endroit. Donc on tâche de travailler ainsi à distance pour vérifier les bilans. Ce qui est un défi chaque jour.

L’attentat d’Arras

Emmanuelle Daviet : C’est à 11h que le professeur de français, Dominique Bernard, a été poignardé à mort lors d’un attentat islamiste, vendredi dernier, devant son collège à Arras. 2h plus tard, France Inter proposait une édition spéciale qui a suscité l’incompréhension de certains auditeurs. Extrait de l’édition spéciale du 13-14 de vendredi dernier. Certains auditeurs ont souligné le manque d’analyses approfondies et le recours à des témoignages émotionnels.

Marc Fauvelle, certains auditeurs n’ont pas compris cette édition spéciale, dans la mesure où, disent-ils, les journalistes disposaient alors de peu d’informations. Que peut-on leur répondre ?

Marc Fauvelle : C’est vrai que l’information est tombée relativement tard, dans la matinée de vendredi à 11h, 11h30, mais il y a eu assez vite peu de doute sur les motivations terroristes de ce geste. Alors pourquoi être partis en spécial entre 13 et 14h ? D’abord parce que 13-14h, c’est la grande tranche d’information de France Inter de la mi journée avec Jérôme Cadet. Ensuite parce que nous avons estimé que nous avions à ce moment suffisamment d’informations pour les faire partager à nos auditeurs. Nous avions également l’un de nos reporters qui était présent devant ce lycée d’Arras. Le service police justice avait également des infos sur ce qui s’était passé, sur les premiers témoignages, sur le profil du terroriste. On a dit dès le 13h qu’il était effectivement fiché S et j’ai envie de vous dire surtout, on est parti en spéciale parce qu’on a tué un prof, parce qu’on a tué un prof, parce qu’il était prof, qu’on a tous reçu ce matin là, en tout cas, ceux qui ont des push, des abonnements sur leur téléphone, ce message absolument horrible, trois ans après Samuel Paty. Donc je crois que France Inter se devait de couvrir cet événement. Je pense d’ailleurs que certains auditeurs auraient pu nous reprocher et vous écrire, Emmanuelle, si nous avions fait le choix de maintenir une grille normale et de ne pas partir en édition spéciale.

Emmanuelle Daviet : Les auditeurs sont très sensibles aux mots employés et soulèvent également pour cette actualité des questions sémantiques. Ils s’étonnent que les journalistes emploient le terme de « principal suspect » ou « assaillant présumé » pour décrire l’individu ayant tué l’enseignant. Pourquoi ne pas dire « tueur », « assassin » ou « terroriste » ? Demandent des auditeurs.

Marc Fauvelle : Parce qu’en temps normal, nous disons systématiquement, dans le cas d’un meurtre par exemple, « meurtrier présumé », il s’agit de respecter la présomption d’innocence jusqu’au procès. Je rappelle qu’en France on est innocent jusqu’à preuve du contraire, jusqu’au procès et peut être même au procès en appel. Je comprends que dans ce cas précis, cette précaution puisse heurter certains auditeurs. Mais c’est vrai que c’est difficile de faire une exception uniquement pour le terrorisme. Je n’ai pas la bonne réponse à apporter à nos auditeurs.

Emmanuelle Daviet : Ils souhaiteraient également comprendre pour quelles raisons, pendant plusieurs jours, l’identité complète de l’assaillant n’a pas été divulguée. Quelle est la justification de ce choix éditorial ?

Marc Fauvelle : Vous allez penser qu’on passe notre temps en réunion, mais là aussi, on a eu un débat au sein de la rédaction, on a réfléchi, on s’est dit qu’on ne voulait pas faire de cet homme un héros, que c’est le nom de Dominique Bernard que nous souhaitions donner à l’antenne plus souvent que celui de l’homme qui lui a enlevé la vie. Ça ne veut pas dire qu’on a interdit de donner le nom de Mohammed Mogouchkov, l’ancien élève. On l’a entendu d’ailleurs à plusieurs reprises et je viens de le donner. Mais pour nous, c’est le nom et c’est le visage de Dominique Bernard qu’il faut mettre en avant. Comme ceux de Samuel Paty il y à trois ans.

Christelle Rebière : Des auditeurs critiquent l’utilisation de certains mots de vocabulaire…

Emmanuelle Daviet : Oui des termes chargés d’affect et appartenant au cercle familial, tels que « petit frère », pour décrire les liens familiaux d’individus impliqués dans des actes terroristes. Ils estiment que cela infantilise le public. Ils proposent d’utiliser des termes comme « jeune frère » ou « frère cadet » pour maintenir un registre plus adéquat. Que pensez-vous de cette suggestion ?

Marc Fauvelle : Je suis plutôt d’accord avec ça, avec ce que disent ces auditeurs. C’est vrai que ce terme de « petit frère », met effectivement de l’affect, c’est comme si on parlait de sa « maman » plutôt que de sa « mère », dans ce cas précis, c’est vrai que sur ce point, on ne s’était pas fixé de règles et que si c’était à refaire, très honnêtement, on se poserait la question.

Emmanuelle Daviet : Donc merci les auditeurs pour leurs remarques pertinentes.

Merci également à vous Marc Fauvelle, merci Franck Mathevon. De très nombreux messages d’auditeurs évoquant le conflit entre Hamas et Israël et l’attentat à Arras sont publiés cet après-midi dans la lettre de la médiatrice que vous pouvez retrouver sur le site de la médiatrice. C’est une lettre qui recense chaque semaine toutes les remarques des auditeurs. Et vous pouvez vous y abonner. N’hésitez pas à nous écrire puisque toutes vos remarques sont relayées et les directions et les journalistes y sont extrêmement attentifs, comme vous pouvez encore l’avoir constaté au cours de cette émission. Merci aux auditeurs pour leur fidélité et leur confiance.