Le 7 avril 2020, dans l’émission “Par Jupidémie”, la chronique de l’humoriste Constance intitulée « Journée mondiale de réflexion sur le génocide au Rwanda », a suscité des réactions d’auditeurs, d’historiens, de chercheurs, de la Présidente de la communauté rwandaise de France, du Président de SOS Racisme dont nous publions ici le courriel qu’il a adressé samedi 11 avril 2020 à la Médiatrice de Radio France.
Emmanuelle Daviet a pris attentivement connaissance de chacun de ces messages et communique ci-dessous les réponses formulées par Laurence Bloch, Directrice de France Inter, Charline Vanhoenecker, productrice de l’émission et Constance Pittard, humoriste et auteure de cette chronique.
Madame la médiatrice,
En tant que président national de SOS Racisme, je vous écris afin de dire mon indignation suite à la chronique lue par Constance lors de l’émission « Par Jupiter » en date du 7 avril 2020. Ce jour-là, qui est également le jour de la commémoration du génocide dont les Tutsi furent victimes en 1994 au Rwanda, la chroniqueuse a tenu, sous couvert d’humour, des propos de nature négationniste, en renvoyant dos-à-dos les bourreaux et les victimes de ce crime contre l’Humanité présenté par elle comme « des gens qui vivaient ensemble depuis des années et se sont mis à se découper à la machette ». La Shoah, ça n’est pas des Juifs et des nazis qui se sont mis à s’entre-tuer. Le génocide contre les Arméniens, ce ne sont pas des Arméniens et des forces « Jeunes-Turcs » qui se sont mis à s’entre-tuer. Au Rwanda, ce ne sont pas des Tutsi et des Hutu qui se sont mis à s’entre-tuer. La chronique, de façon plus générale, ne replace jamais ce drame à son niveau de gravité, s’inscrivant dans une mécanique du rire qui crée un irrépressible malaise. Car renvoyer dos-à-dos les Tutsi et les Hutu procède de deux logiques: celle des négationnistes du génocide qui essaient par-là de noyer la responsabilité du « Hutu power ». Mais également cette logique très coloniale qui consiste à ne concevoir, pour l’Afrique, que des scènes où se déroulent des luttes ancestrales entre ethnies ou tribus qui se massacrent dans des batailles croisées. Le malaise est d’autant plus tenace que cette chronique – potentiellement validée avant qu’elle ne soit lue à l’antenne – est saluée, dans sa chute, par un tonitruant éclat de rire venu des autres protagonistes du plateau.
Depuis que cette chronique a été connue, des voix se sont élevées pour s’en indigner. Pas trop de voix, il est vrai car, lorsque l’on rit d’un génocide en des termes aussi sidérants, l’on ne risque pas d’avoir beaucoup de personnes qui s’en plaindront, vu que celles qui sont susceptibles de le faire sont mortes ou murées dans le silence ou la sidération. Pourtant, des indignations se sont exprimées. Et, malgré cela, aucun mot, aucune excuse, aucune communication sur cette chronique de la part de l’ensemble des interpellés: l’auteure, les animateurs de l’émission et la station France Inter. C’est pourquoi je me tourne vers vous afin que, en passant par un canal dédié à ce type de situation, l’évitement ne soit pas l’issue que je suspecte être souhaitée par les protagonistes de cette affaire desquels les rescapés dont en droit d’attendre une réparation à leur égard. Dans l’attente de votre retour, je vous prie, Madame, de recevoir mes salutations distinguées. Dominique SOPO
Président de SOS Racisme
La réponse de Laurence Bloch, directrice de France Inter
Madame
Monsieur
Vous avez été nombreux à vous indigner de la chronique de Constance dans l’émission Par Jupidémie du 9 Avril dernier dont une partie portait sur la commémoration du génocide des Tutsi.
Je voudrais d’abord vous assurer qu’il n’est pas question pour France Inter d’accréditer la thèse d’un conflit de voisinage dans lequel les responsabilités seraient partagées et de nier de quelque façon que ce soit le fait que le massacre d’un million de personnes entre le 7 Avril 1994 et le 17 Juillet au Rwanda a été préparé, planifié, organisé par le pouvoir extrémiste hutu.
Il ne s’agit pas, comme on l’entend trop souvent, du génocide rwandais mais bien du génocide des Tutsi par les Hutu.
Je voudrais vous dire aussi qu’en aucun cas Constance qui est chroniqueuse régulière dans l’émission de divertissement Par Jupiter n’a eu la volonté de nier ces massacres et moins encore de moquer la douleur des familles de victimes.
Vous trouverez à la suite de cette lettre la réponse qu’elle souhaite vous apporter ainsi que la réponse de Charline Vanhoenacker elle-même productrice de l’émission.
Reste que la formulation utilisée par Constance dans cette chronique résumant le génocide comme « des personnes qui se seraient découpées à la machette entre voisins » est problématique car elle reprend la thèse de ceux qui souhaitent réviser l’histoire et nier la responsabilité des Hutu dans ce massacre et qu’elle a été diffusée sur la chaîne dont j’ai la responsabilité.
Je voudrais donc exprimer toutes mes excuses et mes plus profonds regrets auprès des familles des victimes qui outre la douleur du deuil ont à souffrir trop régulièrement du négationnisme volontaire ou involontaire.
Par ailleurs cette formulation reflète l’ignorance dans laquelle sont encore la plupart de nos concitoyens et notre incapacité à transmettre la vérité de ce génocide.
Je prends donc l’engagement de saisir toutes les occasions possibles sur l’antenne de France Inter pour que cette vérité soit dite et répétée.
Vous remerciant de votre confiance et de votre vigilance je vous adresse madame, monsieur l’expression de mes sentiments les plus cordiaux.Laurence BLOCH
Directrice de France Inter
La réponse de Charline Vanhoenecker, productrice de « Par Jupidémie »
Chers auditeurs,
« Libération » a consacré un article à la chronique de Constance, intitulé « Le virus de l’ignorance », qui explique très bien que sa maladresse est révélatrice d’une ignorance assez généralisée sur le génocide des Tutsi du Rwanda. La lecture de cet article m’a fait comprendre une chose : je suis plus à blâmer que Constance car je n’ai pas l’excuse de l’ignorance.
En tant que journaliste d’abord, j’ai couvert pour « Le Soir » le procès de Pierre Péan pour « racisme anti-Tutsi » : dans un livre, il avait avancé la thèse négationniste d’un prétendu « double génocide ». Et en tant que personne ensuite : j’ai lu les nombreux articles d’une référence en la matière, ma consoeur du « Soir » Colette Braeckmann, ainsi que le livre de Patrick de Saint-Exupéry, « Complices de n’inavouable », sur la responsabilité de la France. Justement, ce livre rappelle à quel point la France n’a toujours pas reconnu sa responsabilité et ses manquements dans ce massacre, et je mesure donc que lorsque la maladresse est le fait d’un Français, elle est d’autant plus mal reçue par les rescapés.
J’aurais donc du réagir à la fin de la chronique, mais j’ai manqué de lucidité. Pour assurer la liberté d’expression des chroniqueurs de l’émission, je ne relis jamais les textes. Je me suis laissée prendre de court.
Pour vous prouver ma bonne foi, je vous renvoie à ma chronique du 1er avril 2019, il y a un an dans la matinale, après le témoignage de Jeanne, rescapée du génocide.
Charline s’adresse à Jeanne Allaire – Le Billet de Charline
Jeanne Allaire, rescapée du génocide des Tutsi au Rwanda est l’invitée d’Alexandra Bensaïd à 7h50. Charline Vanhœnacker lui rend hommage. Le Billet de Charline dans le 7/9 par Charline Vanhœnacker (7h55 – 1 Avril 2019 – ) Retrouvez toutes les chroniques de Charline Vanhœnacker sur https://www.franceinter.fr/emissions/le-billet-de …
www.youtube.com
Ayant à cœur de défendre l’humour comme moyen d’affirmer la supériorité de l’homme sur les malheurs qu’il traverse, je continue de penser que ce sujet, si terrible soit-il, peut être traité avec un regard distancié, s’il est conscient et informé.
Si cet épisode malheureux de « Par Jupiter » peut permettre de rappeler que ce génocide est « le génocide des Tutsi » et faire reculer un peu l’ignorance, j’en serais consolée.
Bien à vous, chers auditeurs.
La réponse de Constance
Chers auditeurs,
Ma chronique du 7 avril sur France Inter a suscité une très vive émotion dans la communauté Tutsi et au-delà. A tous ceux qui ont été choqués, je voudrais dire que mon intention n’était pas de blesser, de minimiser l’importance des faits et encore moins de nier la réalité du génocide qui s’est déroulé en 1994 au Rwanda.
Pour m’éloigner du sujet qui ne prêtait pas à rire, j’ai usé de formules lapidaires qui ont jeté du sel sur des blessures immenses. Telle n’était pas mon intention.
J’ai depuis reçu de très nombreux messages faisant part, parfois de manière parfaitement outrancière, de leur colère. J’ai bien entendu leur émotion. Je veux leur dire qu’elle me touche et que je la comprends.
Je suis humoriste, pas éditorialiste. Mon rôle est de faire rire, et d’apporter un peu de bonheur aux gens. Alors quand mon travail soulève autant d’émotion, qu’il heurte toute une communauté, force est de reconnaître que l’objectif est manqué. Je vous prie de bien vouloir m’en excuser.
Constance