pour en parler Philippe Lefébure directeur de la rédaction de France Inter et Danielle Messager spécialiste santé au micro d’Emmanuelle Daviet médiatrice des antennes
Je suis ravie de vous retrouver dans ce rendez-vous de la médiatrice, programmé chaque dernier vendredi du mois sur France Inter.
Ce rendez-vous c’est surtout le vôtre auditeurs puisque ce sont vos questions qui sont posées aux journalistes.
Vous êtes toujours très nombreux à nous écrire :
la saison dernière nous avons reçu 184 000 messages et pour la seule période du confinement 60 000 auditeurs nous ont écrit, et c’est considérable.
Vous pouvez d’ailleurs retrouver l’essentiel de ces remarques sur le site de la médiatrice et dans la lettre publiée chaque vendredi. Cette Lettre fait le point sur tout ce qui passe à l’antenne et qui fait réagir les auditeurs
Et ce qui domine encore largement dans leurs remarques en ce mois de septembre, c’est évidement la couverture journalistique de la crise sanitaire et nous y revenons aujourd’hui dans cette émission avec Danielle Messager spécialiste santé et Philippe Lefébure, directeur de la rédaction de France Inter
La Covid-19 conditionne désormais notre quotidien et elle interfère même dans notre rapport à l’information :
Certains la délaissent car ils la jugent trop anxiogène, d’autres , au contraire, la veulent exhaustive, notamment quand il s’agit des chiffres de la Covid, sujet sensible dans les messages des auditeurs.
Une épidémie de chiffres
Emmanuelle Daviet : Et une critique : les auditeurs qui reprochent aux journalistes de ne mentionner que le chiffre des testés positifs à la Covid,
Pour eux, ce n’est pas une présentation « éthique », « fidèle et complète » de la réalité.
Voici un message : « Pouvez-vous mettre en parallèle, lors de vos journaux, le nombre de cas Covid positifs avec les trois chiffres les plus importants que sont : le nombre d’hospitalisations, le nombre en réanimation et le nombre de décès. À force d’assommer les auditeurs avec le premier chiffre qui ne reflète absolument pas la réalité, vous faites de la désinformation. »
Des auditeurs plaident donc pour une remise en perspective de tous les chiffres.
Philippe Lefébure, une auditrice nous demande même si « la question du décompte des personnes infectées par la Covid-19 » a fait l’objet d’une réflexion de la rédaction.
Philippe Lefébure : On réfléchit tous les jours, oui il y a une réflexion sur ce qu’on fait à l’antenne et ça évolue
Premier point : cette information existe, donc on la donne, on ne peut pas cacher une information. On la donne le soir, vous l’entendez sans doute dans les flashs du soir, un peu moins ensuite le lendemain matin et le reste de la journée.
Ces chiffres sont publiés, chaque soir, par les autorités sanitaires. Il est de notre devoir de les donner. J’ai longtemps traité l’économie, et je sais le piège que constituent les chiffres.
Donc un chiffre brut ne veut rien dire. La consigne est donnée de rendre public le chiffre et le nombre de cas.
Et ils ne se limitent pas, d’ailleurs, au nombre de nouveaux cas. Sont publiés aussi : les clusters (foyers de contamination) en cours, le nombre de décès, les nouvelles hospitalisations, les nouvelles entrées en réanimation. Le taux d’incidence, également, est publié. Le second point, c’est que la consigne est donnée de contextualiser le plus possible. C’est bien-sûr plus facile dans un journal que dans un flash, plus facile dans un papier que dans une brève. Mais il est redit régulièrement que nous ne sommes pas, actuellement, dans la configuration du printemps dernier.
Il y a deux pièges dans cette crise, c’est d’être au jour le jour, regarder les chiffres chaque soir et d’en tirer des enseignements, chercher un virage, un tournant, l’autre c’est de ne pas contextualiser, de ne pas chercher à expliquer ces chiffres. On est dans un moment important, cette critique arrive depuis début août, on nous a beaucoup reproché de donner le nombre de cas positifs par jour, parce qu’on pensait qu’on était sorti de cette période. on a eu une parenthèse enchantée en juillet. On nous a reproché d’en faire trop sur ces chiffres. Aujourd’hui quand même il faut les regarder attentivement c’est ce qu’on fait tous les jours, en contextualisant.
Emmanuelle Daviet : Des auditeurs nous demandent comment vous procédez pour communiquer les chiffres des autres pays où la réalité est différente.
Philippe Lefébure : On avait expliqué cela au début, on ne l’a pas refait mais on fait très attention car d’un pays à l’autre on ne compte pas de la même façon. On a beaucoup fait, des encadrés (des explications). On sait que la Belgique avait un taux important, ramené à sa population globale, mais elle avait décidé de compter tous les morts les mettre dans le cas Covid. La France, c’était plus compliqué, on a eu du mal à savoir, les morts dans les Ehpad, les morts ailleurs, les cas Covid. La comparaison internationale est très très compliquée. Quand on ramène à la population, on a un autre classement et là les auditeurs nous disent « c’est trop facile, parce que la statistique est différente d’un pays à l’autre. Je ne sais pas comment l’OMS travaille, mais les chiffres ne sont pas ramenés de la même façon. Il y a des totalisations mondiales que sortent les agences, je préconise plutôt de s’en méfier, de ne pas les donner comme ça sans rappeler que les calculs sont un peu différents.
Danielle Messager : puisqu’on parle des chiffres, je peux ajouter, qu’on n’a toujours pas officiellement le nombre de chiffre de personnes décédées à domicile. Les chiffres de morts qui sont donnés actuellement, ne les comptent pas car c’est très compliqué à faire le décompte des décès, car il y a plein de notifications qui se font par papier et pas électroniquement. Donc c’est très long à remonter. Nous on a donné un chiffre qui avoisinait les 2000 morts parce que l’INSEE avait sorti un certain nombre de données estimant que au-delà de ces chiffres on pouvait en parler mais ces chiffres n’ont toujours pas été repris, on peut le constater au quotidien par le Ministère de la santé pour l’instant.
Philippe Lefébure : N’oublions pas les chiffres bruts quand même 200 000 morts aux Etats Unis, c’est 200 000 familles endeuillées, on approche, 1 million de morts dans le monde. Ces chiffres parlent et disent l’ampleur de la crise sanitaire.
Emmanuelle Daviet : Comment informer la population pour qu’elle se protège sans être accusé de suivisme vis-à-vis des autorités ?
Philippe Lefébure : Nous ne sommes pas aux ordres, nous ne recevons aucune indication pour nous dire ce qu’on doit traiter sur notre antenne. Nous sommes des journalistes responsables et on essaie de traiter cela le plus intelligemment possible. Face à cette crise on a un réflexe légitimiste, c’est dans l’adn de cette maison. Surtout dans cette période de défiance généralisée, envers les institutions, envers les politiques, on a un réflexe légitimiste et on a raison. Il faut quand même, et c’est ce qu’on a fait depuis le départ, relayer les messages de prévention, le message sanitaire du gouvernement et des autorités sanitaires du pays, cela me paraît essentiel. Ensuite, on a beaucoup donné la parole à ceux qui ont critiqué cette parole officielle, sur les masques, sur les tests. On a entendu toutes ces voix discordantes. Beaucoup ont dit que c’était trop flou, que le discours changeait. On a signalé les incohérences, on a questionné les ministres, les responsables sanitaires, qui sont venus sur nos plateaux. Il ne faut pas oublié la période de février mars, qui n’est pas celle d’aujourd’hui. Il faut donner la parole à tout le monde, et je crois que c’est ce qu’on fait.
Emmanuelle Daviet : Comment relater les enjeux éthiques, les inégalités sociales engendrées par cette crise sanitaire ? Vous pouvez nous définir en quelques mots la ligne éditoriale de France Inter pour couvrir cette actualité
Philippe Lefébure : On a fait des sujets, on est allé en reportages, il y a le « débat éco » qui enrichit notre couverture, on entend la voix de Thomas Piketty face à Dominique Seux, tous les vendredis (cela donne aussi une autre lecture de la crise), et puis évidemment nos invités sont venus contester, sont venus dire les conséquences de cette crise sur l’antenne. Il me semble que nous avons pointé les inégalités qu’ont provoqué cette crise.
Informer en temps de Covid-19
Emmanuelle Daviet : Une mission exigeante et délicate pour de multiples raisons. Le travail des journalistes est constamment soumis à la critique, le public souhaitant à la fois une information médicale et scientifique exhaustive mais dénuée de tout caractère anxiogène. C’est ce qui ressort des courriers. Comment parler du coronavirus sans générer de l’angoisse ?
Danielle Messager : Il y a des faits, on ne va pas nier le fait qu’on atteint bientôt le million de morts. Qu’il y a 200 000 morts aux Etats Unis, que la progression augmente. On fait notre travail d’information. Les faits sont là. ça c’est le côté anxiogène auquel on ne peut pas échapper. Mais il y a aussi des éléments positifs qui ont été modifiés ces derniers mois. On évoquait les améliorations de traitements, de prise en charge des malades, ça c’est un élément positif. Les chiffres augmentent mais on tempère avec des éléments positifs. On prend mieux en charge. Certains infectiologues disent que la mortalité peut être réduite de moitié aujourd’hui. On oxygène mieux, il y a des médicaments comme les corticoïdes, un vrai tournant dans la prise en charge, les anti-coagulants. On prend mieux en charge, on va moins mourir. C’est une épidémie, il faut la considérer comme telle.une épidémie comme on en a jamais connu avant. On sait mieux prendre en charge les malades, et ça c’est un élément d’espoir.
Emmanuelle Daviet : Le traitement journalistique de cette crise sanitaire hors norme est truffé de difficultés. Comment procédez-vous concrètement pour accomplir ce travail d’informations quand l’actualité est à ce point évolutive… et c’était particulièrement vrai au printemps dernier.
Danielle Messager : Le temps de la recherche, n’est pas le temps des médias. Françoise Barré-Sinoussi prix nobel de médecine et présidente de Care l’a rappelé. On ne peut pas rendre compte de tout, ce qu’on peut constater c’est qu’en terme de recherches, il y a un foisonnement, ça c’est le côté positif. Beaucoup d’équipes se sont lancées dans des tas de recherches, en se disant il faut absolument parvenir à quelque chose tellement cette épidémie est compliquée. Le côté négatif, c’est qu’il y a eu trop de recherches. Ce sont de petites équipes qui se sont montées un peu partout. C’est l’ANSM, l’agence du médicament qui donne l’autorisation qui a le droit de dire « ça c’est redondant, il y a déjà une équipe qui travaille là dessus, d’obliger les chercheurs à se mettre ensemble. A l’arrivée pour nous, journalistes, c’est très compliqué de faire la part des choses. Donc il faut attendre que ce soit des vraies publications qui étaient relues par les paires scientifiques pour s’autoriser à en parler, parce qu’on n’y comprend plus rien et l’auditeur non plus.
Karine Lacombe cheffe du service « maladies infectieuses » à l’hôpital Saint-Antoine (Paris), invitée du grand entretien avec Lea Salamé et Nicolas Demorand le 24 août .
Question des auditeurs : est-ce que tous les points de vue médicaux et les différentes voix scientifiques sont entendus sur vos sujets de reportage ?
Danielle Messager : Sont entendus les scientifiques qui ont légitimité à être entendu, un certain nombre de chefs de service, de chercheurs. Si vous faites référence à l’hydroxychloroquine, on en a beaucoup parlé. On a aussi entendu le professeur Raoult. Mais on a aussi démontré que les essais ne pouvaient être validés que lorsqu’ils étaient randomisés. Je peux vous citer la grande chercheuse à l’INSERM Dominique Costagliola qui dit « Affirmer le contraire est malhonnête ». On a donné la parole, on ne va pas le faire en permanence car maintenant le débat sur l’hydroxychloroquine est clos.
Philippe Lefébure : Il faut dépersonnaliser le débat. On a essayé de ne pas trop parler du personnage et de rester sur le traitement qu’il proposait
Danielle Messager : on l’a traité aussi à une époque ou le LANCET s’est fourvoyé sur une étude qui finalement qui n’était pas intéressante .
Emmanuelle Daviet : Le 16 septembre dernier la députée L-R-E-M Céline Calvez, a dévoilé les résultats de son rapport sur la place des femmes dans les médias durant la période de crise sanitaire.
Le constat est sans appel : de mars à juin 2020, les femmes ont beaucoup pris la parole comme mères ou infirmières mais trop rarement en tant qu’expertes ou dirigeantes.
Pour la mission parlementaire, l’urgence liée au Covid-19 a « bousculé les pratiques des médias et fait reculer leur vigilance sur la présence des femmes expertes dans leur contenu ».
Danielle Messager Vous partagez cette analyse?
Danielle Messager : C’est en fait comme si il y avait eu un effacement des femmes pendant cette crise. Je crois avoir lu qu’il y avait eu 3000 experts interviewés pendant cette crise, 20 % de femmes. C’est le reflet que à la tête de ces services infectiologie et réanimation, ce sont beaucoup d’hommes. C’est un paradoxe car dans le milieu médical, ce sont les femmes qui sont le plus représentées. Il y a 52 % de femmes médecins à l’hôpital et on a entendu énormément d’hommes, donc il y a quand même un équilibre à rétablir.
Emmanuelle Daviet : En tant que journaliste qu’avez-vous appris de cette période ? Dans le traitement de info y a- t- il des choses que vous referiez pas ?
Danielle Messager : j’ai appris énormément de choses, en quelques mois j’ai l’impression d’avoir passé un examen en infectiologie, réanimation, épidémiologie. J’ai appris aussi qu’il faut prendre beaucoup de recul et qu’il y a des choses que je ne dirai plus aujourd’hui. Moi aussi journaliste j’ai relayé des messages. Je prends l’exemple des masques : au début, on nous disait les masques, ça ne sert à rien d’en porter, on ignorait qu’il n’y avait pas de masque. On a relayé des messages sur lesquels on aurait du plus travailler et regarder plus les populations asiatiques qui savent se comporter face à des épidémies et qui portent en permanence des masques.
Emmanuelle Daviet : Comment enfin renforcer la lutte contre la désinformation qui gangrène cette crise sanitaire sur laquelle prospèrent les infox (fake-news) ?
Philippe Lefébure : on s’appuie sur nos expertes, nos experts comme Danielle Messager, présente ici. Je suis un peu contre le systématisme du « fact checking », il y en a trop et on légitime d’une certaine façon la fake news . On repère les plus grosses pour les désamorcer le plus rapidement possible. On n’a pas une équipe, nous de « fact checkers » permanents
Emmanuelle Daviet : Les auditeurs se disent exaspérés d’entendre parler du coronavirus, que leur répondez-vous Philippe Lefebure ?
Philippe Lefébure : on ne peut pas faire autrement, quand on parle du tour de France, on ne parle que des mesures sanitaires, Roland Garros bientôt. On espérait tous une rentrée différente. La deuxième vague à commencé en été, on est tous « plombé » par cette rentrée sous Covid