Au programme du Rendez-vous de la médiatrice : l’émission Questions Politiques et la façon de mener les interviews. Pour en parler, Emmanuelle Daviet reçoit Ali Baddou et Carine Bécard. Au micro de la médiatrice également, Thomas Legrand revient sur l’idée d’un « journalisme militant » suite à l’affaire Taha Bouhafs.

Un rendez-vous intégralement consacré à la politique cette semaine. Pour en parler, Carine Bécard, Ali Baddou et Thomas Legrand sont avec nous. Nous allons revenir sur Questions Politiques du 26 janvier, dont l’invité était Jean Michel Blanquer. Au programme : la manière de mener les interviews. Avec Thomas Legrand, nous aborderons aussi le journalisme militant lié à une nouvelle forme de reportages et d’expositions sur les réseaux sociaux.

La chanson de Frédéric Fromet : mise au point

Mais avant cela, juste une mise au point, pour revenir sur ce qui a généré le plus de messages ce mois-ci à France Inter : la chanson de Frédéric Fromet diffusée le 10 janvier dernier. Cette prestation a suscité des milliers d’interpellations sur les réseaux sociaux, des centaines de mails de la part de catholiques, de la droite, de l’extrême-droite et d’associations LGBT.
J’ai pris connaissance de tous ces courriels et je comprends l’indignation, la colère, également la tristesse.
Laurence Bloch, la directrice de France Inter, et Frédéric Fromet, ont répondu à tous les auditeurs. Je me suis également largement exprimée sur le sujet dans mon édito du 17 janvier dernier. J’invite tous ceux que ces réponses intéressent à consulter le site de la médiatrice de Radio France

Je voudrais également ajouter ici que tout aussi inacceptable soit-elle pour une ou plusieurs communautés, la prestation d’un artiste qu’il soit chansonnier ou caricaturiste, ne vaut pas des menaces de mort. Cela ne vaut pas non plus l’agression d’un journaliste de France Inter qui couvrait le dimanche 19 janvier la manifestation anti-PMA.

Retour sur l’émission avec Jean-Michel Blanquer

Chaque lundi matin, nous découvrons les messages envoyés par les auditeurs au cours du week-end. Et chaque lundi matin, dans le courrier une émission écrase toutes les autres c’est « Questions politiques ». Vous êtes nombreux à écrire à Ali Baddou, Carine Bécard et leurs acolytes du Monde et de France télé.

Ali Baddou : Gros succès, c’est la première émission politique du week-end, et j’en suis très fier car il y a maintenant, 1 million et demi de personnes qui écoutent l’émission. C’est assez comparable au nombre de personnes qui l’écoutaient pendant la campagne électorales des présidentielles…cela montre qu’il y a encore une passion pour la politique en France.

Emmanuelle Daviet : Jean-Michel Blanquer était l’invité de « Questions politique » le dimanche19 janvier. Son passage a fait vivement réagir des auditeurs-enseignants estimant que la contradiction n’avait pas été suffisamment apportée à leur ministre.
Un message parmi d’autres : « Il est dans le déni de ce qu’il se passe dans les écoles et collèges-lycées et il aurait fallu vraiment le mettre devant les faits ! Lui avancer les chiffres ! ».
Ali Baddou la contradiction a-t-elle été apportée au ministre ? Ou auriez-vous pu être plus incisif ? Cela manquait-il de joute ?

Ali Baddou : J’avais l’impression, au contraire qu’on lui avait apporté trop de contradictions et qu’on l’avait parfois trop interrompu. Ce qui est vrai c’est que cette question de l’éducation nationale concerne tout le monde. Tout le monde a été allé à l’école, tout le monde ira à l’école, tout le monde a un avis sur ces sujets qui concernent l’ensemble de la communauté nationale.
On a fait dire à Jean-Michel Blanquer que 99,9 % des enseignants du bac soutenaient la réforme. Et ça pour le coup c’est faux. Il ne l’a pas dit. Je lui ai fait remarquer que beaucoup d’enseignants aimaient leur métier et que ça ne les empêchaient pas d’être d’accord avec lui. Et Jean-Michel Blanquer a répondu que 99% des enseignants sont d’accord avec l’idée qu’on peut aimer son métier sans perturber les épreuves du bac. Le diable est dans les nuances, il est aussi dans les détails. Il y a parfois des perceptions erronées. On entend une émission et parfois dans le flux de ce qui est dit, on en retient quelques mots, ils sont ensuite repris sur internet, twetter, retwetter, et on s’éloigne de plus en plus de ce qui a été dit à l’antenne, à mesure que les réseaux s’en emparent.

Interruptions des invités

Emmanuelle Daviet : « Pourquoi inviter un personnage politique et l’empêcher de parler. Les journalistes lui coupent la parole, posent des questions et y répondent, je ne vois pas l’intérêt ? » écrit un auditeur.
Ali Baddou, vous empêcher vos invités de s’exprimer ?

Ali Baddou : Je ne les inviterais pas. La parole qui compte c’est celle de l’invité. En revanche le micro de France Inter, n’est pas un micro dans un meeting, une tribune dans laquelle un homme politique peut venir, et parler sans être contredit. Nous on est là pour le contredire, le relancer, discuter, débattre avec lui, mais d’abord pour l’écouter.

Emmanuelle Daviet : Je vais citer Yvonne, c’est une fidèle auditrice, elle vous fait régulièrement cette remarque Carine Bécard: « Votre seule stratégie est de tenter de mettre votre interlocuteur en difficulté ».
Et puis Marie, une auditrice m’écrit ceci :
« Elle coupe sans arrêt ses invités, ne les écoute pas et sa manière de se comporter laisse très clairement apparaître qu’elle est loin d’être neutre or un journaliste doit rester neutre et en aucun cas l’auditeur doit percevoir les tendances politiques de l’intervieweur. » Carine Bécard que répondez-vous à Marie ?

Carine Bécard : Marie je la met au défit de me dire ce que j’ai voté aux dernières présidentielles. Il y a quelque chose de systématique, quand on reçoit un invité macroniste, je reçois de nombreux messages pour me dire que je suis une affreuse insoumise, et quand on reçoit un insoumis, je suis une très farouche macroniste. Donc effectivement, on joue ce jeu de la contradiction, on essaie de mettre l’invité dans sa contradiction. Là où Marie a raison c’est que je coupe beaucoup….L’invité politique est là pour prendre son temps puisqu’on l’invite sur une émission d’une heure. C’est important de le laisser parler, mais il n’est pas pour nous dire que ce qu’il a envisagé de nous dire. Donc nous on est obligé d’aller le chercher, car sinon il va dérouler ses arguments …

Emmanuelle Daviet : « Carine Bécard n’aime ni le parti communiste, ni la France Insoumise c’est son droit le plus strict mais qu’elle le montre à ce point en coupant la parole à l’invité c’est désagréable. »
Carine Bécard le fait d’interrompre l’invité est perçu comme un manque de neutralité de la part des journalistes….On est ok avec ses idées politiques on le laisse dérouler ses arguments, on est contre on l’interrompt. Comment analysez-vous cette perception des auditeurs ?

Carine Bécard : Déjà je la comprend parfaitement. Il faut accepter deux secondes, de se mettre dans notre rôle de journaliste. Si on laissait l’invité dérouler ses arguments, ça nous serait reproché aussi.

Emmanuelle Daviet : N’y a-t-il pas parfois chez certains auditeurs confusion entre pugnacité et agressivité ?

Ali Baddou : Je ne sais pas si c’est une confusion car moi j’assume la pugnacité. Quand je rentre dans le studio de Questions Politiques, je suis combatif, ça n’empêche pas d’être respectueux, ni d’écouter l’invité… c »est une ligne de crête qui peut parfois donner l’impression d’être agressif. J’essaie de sourire même quand j’apporte la contradiction. J’aime cette émission qui nous apporte une liberté d’expression.

Emmanuelle Daviet : Où réside la principale difficulté quand on interviewe un politique ?

Ali Baddou : Le plus difficile est d’écouter ce que disent les auditeurs, trouver ce point d’équilibre entre un questionnement sans concession, le plus précis possible et la nécessité d’être à l’écoute, de laisser l’invité dérouler ses arguments. Il faut toujours garder en tête qu’on ne fera pas dire à un politique ce qu’il ne veut pas dire. C’est frustrant pour ceux qui posent les questions, frustrant pour ceux qui écoutent l’émission mais cela fait partie de l’exercice.

Thomas Legrand : on n’est pas des débatteurs, on est des accoucheurs. Parfois pour accoucher, il faut utiliser des outils un peu violents….On se positionne en contradicteur.

Carine Bécard : quand on prépare les interviews, on doit imaginer toutes les réponses que peut faire l’invité, pour être au bon endroit, au bon moment et satisfaire les auditeurs. Car les auditeurs sont compliqués aussi, il en a une partie qui apprécie l’invité et l’autre partie qui ne l’apprécie pas forcément et qui attendent de la pugnacité…

Emmanuelle Daviet : Une émission politique peut-elle/ doit -elle être le lieu d’une joute verbale ?

Ali Baddou : oui et non. Non si la joute est un pur plaisir, à la polémique de plus en plus répandu dans le PAF aujourd’hui. Oui, si on pense que notre société, notre époque on besoin de retrouver quelque chose comme l’art du débat démocratique…

Emmanuelle Daviet : Un auditeur souhaite un peu de calme et de sérénité dans Questions Politique pour débuter l’année est-ce possible dans une émission politique … le calme et la sérénité Ali Baddou ?

Ali Baddou : je crois qu’il a raison. C’est la formule « keep calm et carry on », « Restez calme et continuez » c’est la devise de Marc Voinchet, le directeur de France Musique. Cela devrait être la devise de Questions Politiques

Taha Bouhafs et le journalisme militant

La police est intervenue en force vendredi 17 janvier alors que plusieurs dizaines d’opposants à Emmanuel Macron s’étaient rassemblés devant le théâtre des Bouffes du Nord où il passait la soirée. Ils ont tenté d’entrer avant d’être repoussés par les forces de l’ordre. La présence du président de la République avait été signalée sur Twitter par Taha Bouhafs. Ce dernier se présente comme un « journaliste des luttes » et son cas suscite questions et scepticisme chez les auditeurs : voici un message :« Je ne considère pas que les seules vidéos de son téléphone portable soient des actes de journalisme ! Je sais qu’il y a des soutiens des médias envers ces nouveaux journalistes autoproclamés ,je ne comprends pas.
Autre question posée aux rédactions :« Les journalistes font état de la qualité de « journaliste-militant » de Taha Bouhafs. Peut-on avoir une définition permettant aux auditeurs que nous sommes de cerner cette nouvelle espèce journalistique ? ».
Thomas Legrand qu’est-ce qu’un journaliste militant ?

Quelle est la différence entre le journalisme d’opinion et le journalisme militant ? (Ce qui est important c’est le rapport aux faits)

Thomas Legrand : c’est un journaliste qui poursuit un but politique mais qui est journaliste dans son rapport aux faits. On a l’habitude de dire qu’un journaliste de Libération et qu’un journaliste du Figaro, quand ils débattent entre eux, ils ne se disent pas « tu mens », non, ils respectent les faits. Le rapport aux faits doit être journalistique. Les faits doivent être réels, recoupés . Il y a des codes et une procédure pour être journaliste. Mais il y a une limite, c’est de ne pas provoquer les faits.
Taha Bouhafs a été un grand journaliste quand il a révélé l’affaire Benalla (c’est grâce à ses images que l’affaire a pu naître). Par ailleurs, il a créé une infox avec Tolbiac… Il a une formation de journaliste et il a travaillé pour de grands médias, il est journaliste d’opinion, puis il dérive… Et moi si j’étais chef d’une rédaction, je ne l’embaucherais pas.

Thomas Legrand : je fais une différence entre journalisme d’opinion et journaliste de point de vue. Moi je suis journaliste de service public et je donne un point de vue.

Différence entre Journaliste et éditorialiste politique

Emmanuelle Daviet : Lorsqu’on est journaliste politique sur une antenne de service public quels sont les principes à appliquer pour ne pas confondre carte de presse avec carte d’électeur?

Thomas Legrand : Lorsqu’on est journaliste il faut avoir cette capacité de schizophrénie. Ce n’est pas une maladie mais en l’occurrence c’est plutôt positif. C’est à dire que je suis électeur, et puis à côté je suis journaliste. Quand je suis journaliste, je me fiche de savoir, pour qui j’ai voté. En 1988 j’ai voté Mitterrand et deux ans après vous publiez un livre « La main droite de Dieu » et qui dénonce François Mitterrand.