Dans les messages d’auditeurs, deux actualités ont suscité des questionnements : le procès de Nicolas Sarkozy et Donald Trump.
Emmanuelle Daviet reçoit Charlotte Piret du service Police/Justice de la rédaction, Sébastien Paour correspondant à Washington et Rémi Sulmont, directeur de la rédaction

Le procès de Nicolas Sarkozy

Jérôme Cadet: Comme chaque mois dans ce 13/14, le rendez-vous de la médiatrice des antennes de Radio France avec trois invités aujourd’hui. On commence par Nicolas Sarkozy, ce procès, il comparait depuis le 6 janvier dernier, pendant quatre mois devant le tribunal correctionnel de Paris dans l’affaire dite du financement libyen, de sa campagne présidentielle victorieuse, celle de 2007.

Emmanuelle Daviet: L’Ancien président de la République est jugé pour corruption passive, association de malfaiteurs et recel de détournement de fonds publics libyens. Nicolas Sarkozy a toujours plaidé la thèse du complot dans cette affaire qu’il qualifie de « fable », une affaire « trop peu évoquée sur l’antenne », nous écrivent des auditeurs qui s’étonnent, je cite, « d’une information minimale sur ce procès ». Rémi Sulmont, vous êtes le directeur de la rédaction de France Inter. Est-ce un ressenti de la part des auditeurs ou bien un choix éditorial puisque ce procès, on le sait, est particulièrement long, il dure quatre mois.

Rémi Sulmont: Alors, il y a bien eu un choix éditorial, c’est de suivre ce procès quasiment en continu et d’en rendre compte très régulièrement à l’antenne. Pour vous, je suis allé compter le jour de l’ouverture du procès, donc le 6 janvier dernier nous avons fait la Une sur ce procès à 5 h, à 6 h, à 7 h, à 8 h, à 13 h, à 19 h. Autant vous dire que c’est rare qu’on en fasse autant. Ça arrive, mais c’est rare. Ça se justifie par le caractère exceptionnel du procès : pacte de corruption, ex président de la République. Vous allez me dire que c’était le premier jour, mais nous avons fait le choix et nous ne sommes pas nombreux à l’avoir fait, Charlotte Piret, dans la salle d’audience, pourra en témoigner tout à l’heure, de suivre ce procès quasiment en intégralité. Charlotte a suivi quasiment toutes les audiences, mais j’entends ses auditeurs. Vous nous dites que le procès est peu évoqué. J’entends ce ressenti. Effectivement, malgré l’investissement et le travail de Charlotte, ça s’explique. Les audiences n’ont lieu que trois fois par semaine et l’après-midi, donc on fait plus de compte rendu dans le 18/20 que dans le journal de 13 h de Jérôme par exemple. Mais malgré ce procès, disons par intermittence. On a aussi proposé des sujets régulièrement, des avant sujets en matinale, avant les audiences clés. Et puis après, il y a aussi Charlotte, qu’il faut suivre sur les réseaux parce qu’il y a de la vidéo. Et ça, c’est quand vous voulez.

Emmanuelle Daviet: On poursuit avec cette remarque : « la différence de couverture concernant le procès de Mazan d’une part et le procès Sarkozy-Kadhafi d’autre part est flagrante », regrette un auditeur. Charlotte Piret. Que vous inspire cette comparaison ?

Charlotte Piret: En fait, c’est une comparaison qu’on ne peut pas faire en réalité, c’est ce que disait Rémi Sulmont c’est qu’ici on parle d’un procès en correctionnelle pour le procès de Nicolas Sarkozy, qui a lieu donc trois après-midi par semaine. C’est discontinu, à la différence de ce qui s’est passé pour le procès Mazan, qui était devant une cour criminelle départementale. C’est le même fonctionnement pour une cour d’assises et ce sont donc des audiences qui se tiennent en continu du matin au soir. Donc évidemment, il y a déjà cet aspect-là, purement factuel et d’organisation, qui fait qu’on ne peut pas comparer l’un et l’autre. Et puis en correctionnelle, il y a aussi une dimension qui est qu’il y a beaucoup plus de part de technicité purement juridique à l’audience. Alors, effectivement, c’est intéressant et ça peut avoir un impact. Et quand c’est le cas, on le raconte à l’antenne de France Inter, mais ça fait un peu moins de choses purement liées à l’affaire à raconter également. Donc ça se prête un peu moins à des sujets pour nous sur France Inter, pour ces deux raisons là, vraiment comparer non seulement des affaires, mais de plus généralement un procès de correctionnelle et un procès d’assises ou de cour criminelle départementale, ça n’a pas de sens.

Jérôme Cadet: Emmanuelle, vous avez aussi reçu des questions de nos auditeurs sur ce qui se passe dans la salle d’audience.

Emmanuelle Daviet: Oui, alors quand même, Charlotte évoquait la technicité. La question rejoint ce concept. Donc comment équilibrez vous la complexité juridique de l’affaire avec la nécessité de la rendre compréhensible pour le grand public ?

Charlotte Piret: Oui, c’est une bonne question, parce que c’est d’autant plus vrai dans ce procès. Non seulement il y a la technicité juridique dont je parlais, mais il y a aussi la technicité de l’affaire en elle même qui est tentaculaire. Il y a eu dix ans d’enquête d’ailleurs, et il y a énormément d’histoires différentes. Alors, cette question là, elle se pose pour tous les procès aussi. C’est un peu tout l’enjeu de la chronique judiciaire que de pouvoir raconter. On sait qu’en radio, les temps sont très limités. On a une minute pour faire un compte rendu d’audience. En général, quand on déborde sont les présentateurs, Jérôme par exemple, qui grincent des dents pour la suite du journal. Moi j’essaye déjà de faire de la pédagogie parce qu’en fait le monde de la justice intéresse, mais il est grandement méconnu des citoyens. Pourtant, c’est au nom du peuple français qu’est rendue la justice en France. Donc j’essaye de faire de la pédagogie avec un mélange de citations de ce qui s’est passé vraiment à l’audience, de ressenti aussi. Parfois ça vaut la peine de prendre le temps de raconter un visage qui est défait, des épaules qui s’affaissent, etc. Parce que ça en dit long sur ce qui est en train de se jouer. Et puis des explications pour aider l’auditeur à comprendre ce qui est en jeu. Ici dans cette affaire, il y a quelque chose qui m’aide aussi, c’est que c’est une affaire avec beaucoup de tiroirs, je le disais. Et donc souvent j’essaye de raconter, tiroirs par tiroirs, si on peut dire, ce qui à chaque fois fait une histoire en soi et qui permet, je pense, d’avoir un aperçu de ce qu’est ce dossier.

Emmanuelle Daviet: Comment percevez-vous l’atmosphère générale dans la salle d’audience entre les protagonistes et le public ? Demande un auditeur.

Charlotte Piret: Alors, une salle d’audience, c’est très codifié. C’est pas l’Assemblée nationale, c’est à dire que c’est très aseptisé. L’espace est extrêmement délimité entre ce qu’on appelle le prétoire, où se tiennent les gens qui participent réellement aux procès, les prévenus, les avocats, le parquet, etc. Il y a la zone de la salle avec la zone de la presse qui est extrêmement remplie tous les jours, la zone du public qui l’est encore plus tous les jours à cette audience. Le public est extrêmement présent. Il y a des gens qui restent sur le carreau tous les jours dans la file d’attente. Donc il n’y a pas d’interaction en tant que telle. Malgré tout, il y a un public très assidu et qui suit. Et quand il y a parfois un bon mot, un peu qui se veut humoristique, notamment Nicolas Sarkozy, la salle réagit, peut rigoler. Parfois aussi on entend une salle qui gronde ou qui souffle, etc. Ça existe dans ce procès comme dans d’autres, mais ça reste assez aseptisé parce que ça reste un procès en correctionnelle.

Donald Trump

Jérôme Cadet: Tout autre sujet qui a suscité ces derniers jours de très nombreux messages d’auditeurs. Donald Trump. Depuis son investiture, le président américain est omniprésent.

Emmanuelle Daviet: Des auditeurs ont l’impression que Donald Trump occupe une place démesurée dans les tranches d’information. L’un d’eux écrit : « Pourquoi en parler autant? Il me semble que chaque déclaration ou action de sa part fait systématiquement l’objet d’un sujet ou d’une brève. » Rémi Sulmont, que répondez-vous à cet auditeur ?

Rémi Sulmont: C’est vrai que nous sommes face à un animal médiatique, un président américain qui est vraiment rodé à un mode de fonctionnement qui repose sur la provocation, en tout cas qui recherche de la réaction permanente. Et ça, la saturation de cet espace médiatique, ça peut provoquer, disons de la « Trump fatigue ». J’allais dire que même Sébastien Paour qui est en ligne avec nous pourrait être atteint du syndrome de la « Trump fatigue » de temps en temps. Ma première réponse, ça serait de vous dire :continuez à nous faire confiance, si vous avez choisi France Inter, c’est que vous savez qu’ici on dose, on fait le tri pour vous entre ce qui a du sens, ce qui est de l’écume et ce qui mérite une brève de dix secondes dans un journal ou ce qui mérite un débat de dix minutes dans une matinale. Donc si on vous en parle vraiment, comme pour tout ce qu’on vous dit ici, c’est qu’on a réfléchi avant, qu’on a débattu, qu’on s’est parfois engueulés avant. On fait des erreurs, bien sûr, on n’est pas parfait, mais en tout cas, si on fait de la place sur l’antenne à Trump, sur un aspect, c’est qu’on y a vraiment réfléchi. Deuxième réponse on aurait sans doute beaucoup moins parlé de Kamala Harris si elle avait été présidente, si elle était arrivée à la Maison-Blanche. Mais parce que Donald Trump, au delà de la méthode, a un agenda qui bouscule les équilibres politiques, les équilibres internationaux, les équilibres économiques et qu’il aura des incidences sur notre vie quotidienne, qu’il en a déjà, sur notre vie quotidienne, politique, économique. Et j’ajoute qu’il est entouré de patrons de la tech, Elon Musk en premier et d’autres dans son sillage qui ont plus de pouvoir, plus de puissance que certains chefs d’État.

Jérôme Cadet: Des auditeurs qui ont parfois l’impression Emmanuelle d’un « Trump bashing ».

Emmanuelle Daviet: Un auditeur écrit : « En écoutant votre antenne, j’ai l’impression que les journalistes adoptent un ton très critique envers Donald Trump. Je comprends que ses déclarations prêtent à controverse. Cependant, un traitement équilibré serait bénéfique pour éviter une perception de parti pris. » Sébastien Paour que vous inspire cette réflexion ?

Sébastien Paour: Et bien que, comme Rémi, disait que Trump est très présent médiatiquement, évidemment c’est très différent. Ça vous a pas échappé des quatre années de Biden que j’ai couverte. Il parle plusieurs fois par jour, il parle sur les réseaux, notamment sur le sien. Il parle en conférence de presse. Parfois, ça dure 1 h derrière la moindre signature de décret, devant les caméras. Il s’exprime beaucoup. Il dit beaucoup de choses, très vite, en passant d’une idée à l’autre, il affirme parfois sans preuve, assez souvent même sans s’appuyer sur des faits. Le dernier exemple, c’était hier après l’accident entre l’avion de ligne et l’hélicoptère militaire, il a mis en cause dans cet accident les politiques de diversité et d’inclusion que les démocrates ont mis en place et qui ont permis d’après lui et bien de laisser travailler dans des tours de contrôle d’aéroport des personnes handicapées, diminuées intellectuellement ou épileptiques. Je cite ces mots. Ça, ce sont des déclarations que nous on doit vérifier, on doit contextualiser, on doit expliquer. Ça fait partie du travail de journaliste ici de dire que telle ou telle affirmation n’est pas étayée, même si c’est le président de la première puissance mondiale.

Jérôme Cadet: Ce n’est pas du Trump bashing ? C’est ce que vous nous dites ?

Sébastien Paour: Non, je reconnais que le contraste avec les déclarations de Biden en son temps peut donner l’impression qu’il y a un Trump bashing comme vous dites. Mais objectivement, il s’agit d’être au plus près de ce qu’il dit et d’essayer de contextualiser.

Emmanuelle Daviet: Pour les auditeurs, ils estiment que maintenant que Donald Trump est à la Maison-Blanche et qu’il est adepte des vérités alternatives, comment vous envisagez, c’est une question qu’ils vous posent, en tant que journaliste, de démêler le vrai du faux et de rendre compte de son mandat ?

Sébastien Paour: D’abord avec plusieurs méthodes. D’abord en rappelant, comme je le disais, que telle ou telle information est faite sans preuves ou sans chiffres précis. Trump, par exemple, dit souvent « Millions and millions » of quelque chose. Il dit qu’il a battu Kamala Harris à la présidentielle « de millions and millions » de voix. C’est faux. Il y a eu qu’un peu plus de 2 millions de voix, en tout cas dans le vote populaire. Donc il faut sans cesse mesurer les propos de Trump, les ramener à la réalité ou au contexte. Et pour ça, le deuxième moyen, c’est d’aller chercher les données, les chiffres, de faire parler les spécialistes, d’aller en reportage, de donner la parole à ceux qui vivent les réalités que Trump dit décrire. C’est ce qu’a fait Isabelle Labeyrie qui m’épaulait ici depuis l’investiture avec Loig Loury à New York et Loïc Pialat à Los Angeles. Elle a par exemple donné la parole aux immigrés sans papiers à Chicago. Vous savez que Trump veut expulser en masse du pays parce qu’ils sont, d’après lui, des criminels, des violeurs, des tueurs. Évidemment, ils ne sont pas tous des tueurs et donc on leur a donné la parole sur Inter pour être équilibrés et tempérer les affirmations du président américain.

Jérôme Cadet: On a aussi Emmanuelle Daviet des questions sur les traductions, sur la sémantique, les mots qu’on utilise.

Emmanuelle Daviet: Oui, un message qui revient très fréquemment. Je vous lis, l’un d’entre eu : « vous utilisez parfois le mot déportation pour évoquer les expulsions mises en œuvre par Donald Trump. Le terme anglais « deportation » est couramment utilisé pour désigner une expulsion. Mais en France, le mot déportation a une connotation historique extrêmement forte, évoquant le génocide perpétré pendant la Seconde Guerre mondiale ». Rémi Sulmont, avez-vous passé des consignes particulières pour la traduction de ce mot ?

Rémi Sulmont: Absolument. C’est assez rare qu’on passe des consignes, mais là, on l’a fait. On a demandé et les rédactions de Franceinfo et France Culture ont pris la même décision. On a pris une décision commune. On a demandé à nos journalistes de ne pas employer le terme déportation pour parler des expulsions massives décidées par l’administration Trump. Alors, du point de vue linguistique, ça n’était pas faux. Mais nous avons estimé dans ce contexte précis que traduire expulsion était plus adapté étant donné que les médias et les politiques américains qui emploie le mot anglais de déportation ne le faisaient pas en référence à la Shoah, alors que c’est le cas quand on emploie le mot en français ici en Europe dans le contexte européen.

Emmanuelle Daviet: Sébastien Paour, « Comment réagissez vous aux attaques directes de Donald Trump contre les médias et les journalistes qu’il nomme « les fake news » ? » S’interroge une auditrice. Et il l’a fait d’ailleurs encore le jour de son investiture.

Sébastien Paour: Oui, oui, il le fait quasiment à chaque discours. On a quasiment le droit. On est pointé du doigt régulièrement. Comme tous les autres médias américains, qu’on soit en meeting de campagne depuis cinq ans ou à la salle de presse de la Maison-Blanche, quand il nous stigmatise comme ça, et bien on laisse faire, on pose nos questions. Lui, il aime le spectacle. Il adore vous donner un petit nom, se moquer des gens. Il l’a fait avec Biden l’Endormi, Kamala Harris l’extrême gauchiste. Il fait pareil avec la presse. On a l’habitude. Tant que ça ne nous empêche pas de travailler, j’ai envie de dire. Il est libre de dire ce qu’il dit.