Au micro d’Emmanuelle Daviet cette semaine, Stéphane Pair, journaliste et chef adjoint au service police justice de Franceinfo, pour évoquer la couverture médiatique du procès des attentats de Charlie-Hebdo et de l’Hyper-Cacher.
Emmanuelle Daviet : On commence avec cette remarque : « Franceinfo nous impose ce matin, mercredi 2 septembre d’écouter et réécouter la bande son de l’assaut à l’Hyper Cacher de janvier 2015 parce que le procès des attentats commence. Cette bande son ne nous apporte aucune information… sauf de faire peur. C’est du sensationnalisme morbide. Franceinfo ne doit pas alimenter le climat ambiant qui fait monter la peur ou le sentiment d’insécurité dans la population française. Au contraire, Franceinfo doit résister et garder mesure et objectivité sur les faits même les plus violents. »
Que répondez-vous à cet auditeur ?
Stéphane Pair : C’est une question de fond dans les médias, qui sont confrontés aujourd’hui à une crise économique sans précédent, ils sont tentés par la sensation, par l’émotion, avant l’information. Je rejoints totalement votre auditeur, Franceinfo ne doit pas et ne veut pas verser dans le sensationnalisme, encore moins sur des questions aussi graves, aussi lourdes que le terrorisme quand il y a des morts, ou que des vies sont en jeu au moment où nous vous parlons à l’antenne, évidemment c’est très important. Cette facilité de jouer sur la peur pour capter l’attention de nos auditeurs, ce n’est pas le service public, ce n’est pas Franceinfo. Je le dis de manière un peu solennelle, c’est une préoccupation que nous avons, nous, au service police justice, en permanence, car avec nos collègues nous avons du couvrir toute cette vague d’attentats, en studio, en direct, sans filet. Ces attentats de janvier 2015, nous en avons gardé cette responsabilité chevillée au corps.
Là où je ne suis pas d’accord : ce document que je me suis procuré (cette bande son) de l’assaut de l’Hyper Cacher, côté policier, cette bande son de l’assaut policier, au-delà du fait que vous ne l’ayez jamais entendu, c’est un document sonore saisissant qui raconte l’attention absolue, l’incertitude, les imprévus de cet assaut qui a permis de sauver des otages et nous sommes donc très fiers de l’avoir diffusée.
Emmanuelle Daviet : On en vient à l’anonymat des terroristes. Voici le message d’une auditrice : « pourriez-vous éviter de prononcer toute la journée le nom de ceux qui ont commis les attentats.. c’est leur faire trop d’honneur… « Assassins » est le terme que vous pourriez employer. ». Cette question est régulièrement posée et le grand public a parfois du mal à comprendre ce choix journalistique. Comment peut-on le justifier ?
Stéphane Pair : Sur cette question, sauf à divulguer l’identité de suspects mineurs qui tombent sous le coup de la loi, à Franceinfo, on ne s’interdit rien. Notre travail c’est de rapporter les faits, et une identité c’est une réalité, c’est un fait, c’est même une information clef pour les enquêteurs, qui peut intéresser aussi potentiellement nos auditeurs. Nous ne donnons pas toujours l’identité, c’est important. Plusieurs critères entrent en jeu, et c’est cela qui devient complexe finalement, dans le traitement, sur une radio d’info continue, il faut aller très vite : il y a la présomption d’innocence, dont on parle souvent sur nos antennes, régulièrement en matière de terrorisme, puisque c’est le sujet. Les services antiterroristes interpellent des suspects par erreur (ou prévention), des gens qui n’ont rien à voir avec les faits, il ne s’agit pas de donner leur identité trop tôt.
Il y a le risque aussi de révéler l’identité d’un suspect et de gêner les enquêteurs. Exemple : durant les attentats de 2015, nous savions assez tôt l’identité d’Amedy Coulibaly, sa photo nous l’avions, mais nous n’avons pas révélé cette identité car nous savions que cela pouvait gêner le travail des enquêteurs. Je termine volontairement sur ce point, est-ce que donner l’identité d’un terroriste c’est le valoriser, lui donner une notoriété qu’il espérait ? Peut-être, oui. Le valoriser auprès de personnes favorables aux attentats, et ce n’est pas la majorité de nos auditeurs.
Emmanuelle Daviet : On termine avec une question éditoriale plus générale : comment FranceInfo couvre ce procès historique ?
Stéphane Pair : Nous mettons beaucoup de moyens pour ce procès : la préparation en amont de ce procès, puis désormais la couverture permanente et pour deux mois par deux voire trois journalistes. Sur un procès aussi important, toute l’équipe multimédia, du web va aussi apporter sa touche, avec de la profondeur aux différents temps forts, au récit des survivants, aux coups de théâtre potentiels de ce procès. La difficulté va être de donner à raconter ce procès sans être trop technique, sans être trop répétitif, car l’objet de ce procès, je vous le rappelle, c’est juger la logistique de ces attentats, juger ceux qui ont fourni du matériel, de l’aide aux frères Kouachi et à Amedy Coulibaly.