Alors que les prises de parole quotidiennes de Donald Trump s’intensifient, les auditeurs se posent des questions sur la manière dont les journalistes décident de l’importance de ces discours. Franck Mathevon, directeur de la rédaction internationale, répond aux questions des auditeurs au micro d’Emmanuelle Daviet.
Emmanuelle Daviet: Depuis le 20 janvier dernier, pas une journée sans déclarations chocs du président des Etats-Unis. Des auditeurs se demandent comment les journalistes travaillent et sélectionnent les sujets qui méritent de passer à l’antenne au regard des prises de parole répétées de Donald Trump. Franck Mathevon, en tant que directeur de la rédaction internationale, selon quels critères jugez-vous qu’une déclaration ou une action de Donald Trump nécessite une couverture approfondie ?
Franck Mathevon: Je crois qu’il ne faut pas se méprendre. On vit une période historique. Il est fort possible que les manuels d’histoire retiennent ce second mandat de Trump comme un moment charnière dans les crises internationales. Et bien plus souvent que lors du premier mandat, les déclarations de Trump sont suivies des faits, ça va très vite. On ne peut pas juste dire c’est n’importe quoi, c’est excessif, ça ne mérite pas d’être traité. Quand Trump annonce qu’il va faire le ménage dans l’administration fédérale américaine avec l’aide d’Elon Musk, il le fait. Usaid, l’agence en charge du développement économique et de l’aide humanitaire des États-Unis, a été littéralement démantelée. Même quand une déclaration semble déconnectée de la réalité. On pourrait dire ça des propos de Trump sur Gaza, qui doit devenir la « Côte d’Azur du Moyen-Orient ». C’est un tel changement de pied de la part d’un président des États-Unis que les conséquences sont considérables. Donc c’est impossible de passer à côté. Alors évidemment qu’il faut traiter de telles déclarations, mais toujours en en revenant, et ça c’est l’essentiel, aux faits.
Emmanuelle Daviet: Précisément, comment gérez-vous la fréquence élevée de ces déclarations sans noyer l’information essentielle?
Franck Mathevon: Il y a beaucoup de déclarations, il y a surtout des décisions. Donald Trump a pris des dizaines de décrets depuis son retour à la Maison-Blanche. Donc, on s’efforce de hiérarchiser : naturellement ses récentes déclarations sur l’Ukraine méritent qu’on s’y attarde longuement. Elles ont un impact majeur en Ukraine, en Europe, en Russie. Ça entraîne des métastases dans le monde entier, donc on y accorde une grande importance. À l’inverse, quand Trump dit, par exemple, qu’il veut faire du Canada le 51ᵉ État des États-Unis, on a un peu l’impression que c’est une plaisanterie. On va peut être y accorder un peu moins d’importance. Et puis il y a beaucoup de déclarations dont on a du mal à mesurer l’impact. Donc, encore une fois, on s’attache d’abord aux faits quelles peuvent être les conséquences de telle ou telle déclaration? Et si c’est significatif, il faut traiter.
Emmanuelle Daviet: Question d’une auditrice : « Quelles mesures prenez-vous pour garantir une couverture équilibrée et éviter toute polarisation compte tenu du caractère souvent polémique des déclarations de Donald Trump? »
Franck Mathevon: Ah ça, c’est un sujet passionnant! Moi je l’ai sans arrêt en tête. Je crois qu’il faut avoir l’honnêteté de dire qu’en France, on est très peu trumpistes. On a dans nos rédactions des journalistes qui sont d’abord citoyens, qui peuvent être heurtés par des déclarations, des comportements jugés trop radicaux, trop agressifs. Mais tout ça, ça ne doit jamais transparaître sur nos antennes. Donc dans notre métier, il faut sans arrêt penser contre soi même. On peut, on doit raconter l’émotion que provoquent des déclarations. Par exemple, la stupeur des Européens après les propos de Trump et son face à face avec Poutine. Mais on doit aussi raconter en quoi la hausse des droits de douane, par exemple, peut avoir un intérêt. Pourquoi des programmes de l’agence Usaid, dont on parlait tout à l’heure peuvent être discutables? C’est en cela qu’on est équilibré, je crois. Et puis bien sûr, en faisant entendre aux États-Unis toutes les voix, les opposants à Trump comme ceux qui le soutiennent. En ne perdant pas de vue quand même, que Trump est aujourd’hui un président très populaire.
Emmanuelle Daviet: Franck Mathevon, pourriez-vous nous donner un exemple concret où vos choix éditoriaux ont permis de contextualiser efficacement une déclaration de Donald Trump et d’en limiter les dérives?
Franck Mathevon: Notre rôle, ce n’est pas de limiter les dérives d’une déclaration, mais c’est vrai c’est de contextualiser. On pourrait citer l’exemple des déclarations de Trump sur le canal du Panama. Vous savez, il dit vouloir en reprendre le contrôle. C’est tonitruant, mais ça suscite beaucoup de questions. Quelle est l’histoire de ce canal, qui a été construit par les Etats-Unis au début du XXᵉ siècle? Est-il vrai qu’il est contrôlé par la Chine? Des entreprises chinoises, c’est vrai, sont impliquées dans la gestion du canal, les navires américains sont-ils lésés? Non, en fait, tous les navires payent les mêmes droits de passage. Donc voilà en gros les questions qu’on peut, qu’on doit se poser dans ces cas là avec une priorité, désolé d’y revenir Emmanuelle, le retour aux faits sans arrêt.