Les crises multiples générées par le Covid 19 ont bousculé les pratiques professionnelles des journalistes. L’information est confrontée à de nouveaux enjeux. Vincent Giret, directeur de Franceinfo souhaite une alliance de la connaissance entre les rédactions et le monde scientifique. Il est au micro d’Emmanuelle Daviet.

Emmanuelle Daviet : Comment cela peut se mettre en place entre deux univers aux temporalités diamétralement opposées ? 

Vincent Giret : Oui, je crois que c’est vraiment une première leçon de cette crise, de cette année absolument incroyable qui nous a tous mis à l’épreuve qu’on vient de vivre. On a besoin pour essayer de produire et de diffuser de l’information la plus fiable, la plus solide, d’avoir des connaissances scientifiques. On se rend compte que de plus en plus de sujets ont une résonance scientifique : l’alimentation, l’agriculture, le climat et l’environnement, bien sûr, mais aussi les questions qui touchent à la santé. Et vous voyez bien que dans une rédaction qui est tout à fait représentative des autres rédactions de la place, la culture scientifique n’est pas la première compétence acquise de nos journalistes font qu’on dise la vérité. Dieu merci, ils sont généralistes, ils travaillent, ils ont du métier, une éthique, des règles. Et donc ils ont pu produire de l’information tout à fait importante, décisive et fiable. Mais il y a besoin d’un nouveau temps, d’une relation particulière. On a vécu quelque chose de tout à fait singulier, une controverse scientifique à ciel ouvert, et on a besoin aujourd’hui d’apprendre de cette expérience et de tisser des liens durables avec les experts de la santé, avec les scientifiques, avec le monde de la recherche pour être capable de donner une information la plus pédagogique et la plus fiable possible.

Emmanuelle Daviet : Très concrètement, comment ça peut se mettre en place ?

Vincent Giret : D’abord à Franceinfo, par exemple, nous avons, on peut le dire à nos auditeurs, nous avons structuré un service sciences, santé, environnement, technologies. Ensuite, ça veut dire qu’il faut entretenir des liens, des relations avec des grandes institutions scientifiques. Franceinfo, par exemple, a un partenariat avec la Cité de la science. À Médias en Seine, qui était le Festival des médias de demain que nous organisons avec Les Échos. Nous avons fait venir des scientifiques. Moi, je suis prêt tout à fait à ce qu’on accueille dans nos rédactions quelques scientifiques qu’on aurait choisi, qui auraient envie de travailler avec nous pour qu’ils nous fassent grandir, qu’on apprenne aussi à travailler avec le milieu de la science et qu’on apprenne aussi à expliquer à nos auditeurs ce que c’est, par exemple, qu’un consensus scientifique. Et pourquoi la science procède aussi de la controverse.

Emmanuelle Daviet : Le sociologue et historien Marc Lazar fait le constat que l’expertise est de plus en plus considérée comme une domination sociale et donc suscite du rejet. Dans ce contexte, comment lutter contre le relativisme et la désinformation ?

Vincent Giret : C’est une très vaste question, mais c’est sans doute la plus cruciale, la plus décisive. On sait qu’aujourd’hui, le champ de l’information est extrêmement toxique, pollué. Nous sommes dans un « tsunami d’informations ». Nous sommes tous dans un univers saturé. Cet effet de saturation produit une sorte de relativisme ambiant qui, effectivement, va mettre toutes les paroles à égalité. Celle d’un expert reconnu par ses pairs, certifiés, sérieux, etc. Et puis la parole d’un groupe d’opinion. Et ça, nous devons faire le tri, il y a une énorme responsabilité du journalisme. Aujourd’hui, il y a une demande de transparence et une demande aussi de vérification des conflits d’intérêts potentiels. Et ça, nous devons l’expliquer. Nous devons aussi choisir nos experts le mieux possible pour produire de l’information impartiale.

Emmanuelle Daviet : On termine par une question récurrente des auditeurs depuis le début de la pandémie : un point de vue différent de l’opinion dominante relève-t-il du complotisme ? « Complotisme, est un mot commode, devenu une sorte de joker idéologique permettant de disqualifier toute analyse divergente » écrit un auditeur. 

Des auditeurs qui en ont assez d’être pris pour des « débiles » (je cite le mot employé par l’un d’entre eux, qui est universitaire) donc ils en ont assez d’être pris pour des imbéciles parce que leur avis ne correspond pas à la doxa, c’est à dire à l’ensemble des opinions reçus sans discussion. Que répondez-vous à ces auditeurs ?

Vincent Giret : C’est une bonne question. D’abord, ici, sur cette antenne, nous ne prenons personne pour des imbéciles. Bien évidemment, ça serait totalement contreproductif. Le débat contradictoire, oui, c’est l’oxygène de la démocratie. En revanche, toutes les opinions ne se valent pas. Nous faisons nous, un média, une radio d’information, avec une exigence d’impartialité et de fiabilité. Dire que les scientifiques ne sont pas d’accord sur tel ou tel sujet, c’est intéressant. On doit le dire à nos auditeurs, expliquer pourquoi. Ensuite, le complotisme, ça n’est pas simplement « une grille idéologique » pour reprendre ce que disait notre auditeur. Le complotisme, c’est une vague mondiale. Il y a des agents actifs du complotisme et il faut apporter une contradiction au complotisme. Ça, c’est notre boulot de journaliste. Quand quelqu’un dit que la terre est plate, que le virus du Covid a été inventé par l’Institut Pasteur ou que la 5G facilite la propagation du Covid. Autant d’inepties totales qu’on ne peut pas laisser sans réponse. Et nous avons une cellule spécifique à Franceinfo qui lutte contre la désinformation et ses théories du complot, plus farfelues les unes que les autres.