Dans son édito de la Lettre#22, Emmanuelle Daviet répondait aux auditeurs concernant de traitement journalistique des faits divers.
Au menu des interrogations et des remarques, le traitement de plusieurs faits divers sur les antennes et notamment les éléments de profil des agresseurs, communiqués ou non, lors des journaux ou des reportages : pourquoi le nom d’un forcené n’est-il pas systématiquement donné à l’antenne ? Pourquoi, dans certains cas, le nom d’un assassin est passé sous silence comme s’il s’agissait d’éviter une forme de stigmatisation ? Comment justifiez-vous l’omission de l’origine d’un suspect ?
Voici les remarques d’auditeurs :
« J’écoute assez régulièrement votre radio. Je ne connais toujours pas le nom du « forcené » qui a attaqué au couteau une policière à côté de Nantes il y a trois jours, mais le nom bien français de Terry Dupin qui a tiré sur des flics hier matin en Dordogne tourne en boucle. Peut-on savoir pourquoi ? »
« Alors que Radio France n’a jamais daigné donner le nom du tueur du policier Éric Masson, alors que l’on n’a jamais su le nom du tueur de cette femme honteusement brûlée vive, alors que l’on ne nous dit pas le nom du tueur de la jeune fille de 17 ans, votre radio se croit habilitée à marteler le nom du tueur des Cévennes, Valentin Marcone, cela quand bien même il a été récupéré par la police hier soir.
Comment justifiez-vous ce deux poids deux mesures entre le tueur de policier, le tueur de la femme brûlée vive, le tueur hier soir de la jeune fille et ce tueur des cévennes, lui-même rattrapé par la police ? Quel intérêt aujourd’hui à donner son nom ???? Quel intérêt journalistique s’il vous plaît ? »
« A Avignon, un jeune dealer tue un policier. On ne dit pas ni son nom ni son prénom mais on s’empresse de dire qu’il est Français. Sa mère parle, on ignore son nom et son prénom et on ne filme que ses pieds. Dans le Gard, un jeune tue deux personnes et s’enfuit. On cite son prénom et son nom : Valentin Marcone. A Ivry, une jeune fille de 17 ans est assassinée par un jeune garçon en fuite. On donne le prénom de la victime, Marjorie, et le prénom de sa mère, Odile, dont on voit le visage. Mais on ne donne pas le prénom et le nom du tueur. Pourquoi cette différence de traitement de l’information ? Seuls les Français sont-ils répertoriés et nommés quand ils sont Français ? Doit-on cacher les noms des étrangers ou des Français récemment naturalisés quand ce sont des assassins ? Qui discrimine-t-on ? »
Il est important d’indiquer que dans les affaires « Valentin Marcone » et « Terry Dupin » les identités ont été communiquées sur les antennes à la suite des conférences de presse des procureurs de la République et des avis de recherche, des appels à témoins lancés par la police pour retrouver les fugitifs. Il s’agit là d’une mission de service public.
Dans les autres cas, il convient de rappeler qu’il est interdit de diffuser l’identité d’un mineur délinquant. Il est également impératif de respecter le cadre du secret de l’instruction et d’une enquête en cours, or divulguer le nom d’un suspect peut entraver le travail des enquêteurs et le bon déroulement des recherches.
Au tout début d’une enquête, lorsqu’une personne est en garde à vue mais pas encore mise en examen les journalistes restent extrêmement prudents quant à la communication des identités. Tout dépend également de la nature et de la gravité de l’affaire : on ne présente pas comme suspect une personne qui n’aurait été qu’entendue par la police puis remise en liberté sans aucune charge retenue contre elle.
Communiquer, ou non, l’identité d’une personne dans le cadre d’une enquête ne fait pas l’objet d’une charte spécifique au sein des rédactions de Radio France ; en revanche Franceinfo applique pour le traitement du terrorisme des principes spécifiés dans sa charte déontologique dont nous publions ici un extrait :
« L’événement terroriste est d’une nature si particulière qu’il exige une déontologie adaptée. Et ce, pour plusieurs raisons :
– depuis qu’il existe, le fait terroriste a toujours intégré une dimension médiatique. Les auteurs de cette violence visent à chaque fois à utiliser les médias comme « caisse de résonance » de leurs actes.
– le terrorisme n’attend plus seulement la publication par les médias de l’attentat qui vient d’être commis. Il assure lui-même sa propagande, obligeant les médias à une prudence accrue.
– le terrorisme s’en prend aux personnes. Le respect à l’égard des victimes doit primer sur le devoir d’informer.
– la préservation de l’intérêt public est l’un de nos principes majeurs dans le choix de publication de nos infos.
Franceinfo applique, pour le traitement du terrorisme, les principes suivants :
– Franceinfo n’anonymise pas les terroristes. Les rédactions le font dans le but d’expliquer quels sont leurs parcours et leurs réseaux. Dans le cas contraire, elles se verraient accusées de censure et encourageraient le complotisme.
– Franceinfo ne diffuse pas, conformément à la loi, d’images attentatoires à la dignité des personnes : victimes meurtries, terroristes présumés tués par les forces de l’ordre… La décision de diffuser des images relatives à une scène d’attentat, au nom du droit à l’information, relève de l’autorité de la direction de l’info.
– si la situation l’exige, Franceinfo peut décider de ne pas traiter en direct mais en différé une intervention policière.
– Les images fixes ou animées, les sons produits par les terroristes eux-mêmes, intuitu personae ou via leurs organisations, doivent être obligatoirement identifiés en tant que tels (incrustes à l’antenne, et/ou mention en voix). Leur usage est soumis à une indispensable contextualisation. »