La très faible participation (33,3%) constitue un record, tous scrutins confondus en France hors référendum et des auditeurs estiment que les médias ont leur part de responsabilité dans cette abstention inédite : 

« J’attends toujours le mea-culpa des médias, au lieu de gloser et débattre sur le pourquoi et le comment de l’abstention, il serait plus intelligent d’expliquer le rôle des départements et régions. Le parisianisme du microcosme politico-journaleux vous met des œillères. » 

« Beaucoup de facteurs expliquent la baisse de participations aux départementales / régionales, mais le moins qu’on puisse dire, à vous entendre vous étonner que les Français ne connaissent pas le fonctionnement de ces instances, c’est que vos rédactions et équipes avez fait preuve de bien peu de pédagogie. Seules vous intéressaient les bagarres en PACA ou Hauts de France et les enjeux de têtes de listes aux présidentielles, voire la dénonciation des propos de J-L Mélenchon. » 

« Je suis navré que tous les journalistes soient incapables de tenir plus de deux questions sans se projeter sur la présidentielle. C’est un manque de respect pour ce scrutin et pour les électeurs qui se sont quand-même déplacés. » 

« Comment voulez-vous que les abstentionnistes aient envie d’aller voter quand les journalistes ne parlent que d’élection présidentielle avec leurs invités ? » 

« Pour diminuer l’abstention, les médias ne devraient-elles pas expliquer les rôles du département et de la région plutôt que de nous relater les petites phrases des uns et des autres. Comparer les programmes sur certains sujets peut être intéressant aussi » 

« Comme vous je regrette que peu d’électeurs aient voté aux élections régionales. En revanche passer tous les moments d’information à commenter les élections me parait totalement contre-productif : croyez-vous que les abstentionnistes vont écouter les statistiques ou les tactiques de regroupement des politiciens ? Ce serait beaucoup plus intéressant et efficace d’aller les rencontrer et comprendre ce qui ne va pas. Même nous qui votons sommes découragés par le paysage et les comportements politiques. Il faut reprendre le dialogue démocratique ! C’est aussi votre rôle ! » 

« Il y a eu d’énormes difficultés pour ouvrir les bureaux de vote dimanche dernier par manque d’assesseurs. Je regrette que les chaînes de radio et de télévision publiques ne fassent pas d’appel aux citoyens pour les inciter à être assesseur et pour leur expliquer leur rôle. On pourrait faire la même remarque sur les compétences des différents échelons qui sont très mal connues. Encore une fois la télévision et la radio publiques fait très peu ce rôle de pédagogie. Les politiques ont un rôle important dans l’abstention, mais les médias également. » 

Il est coutumier que les médias endossent le rôle du bouc émissaire et soient désignés « coupable idéal » mais infliger aux journalistes l’entière responsabilité de l’abstention n’est-ce pas excessif ? La faible participation à ces élections est multifactorielle. Il ne s’agit pas d’exonérer les journalistes de toute responsabilité mais de faire la part des choses et de considérer que politiques, citoyens et médias ont peut-être un degré d’implication respectif dans le résultat de ce premier tour.  

Les chercheurs, les universitaires spécialistes des médias, l’analysent et le constatent d’ailleurs depuis longtemps : « les médias ne font pas l’élection ». Dans un article de Franceinfo, Patrick Eveno sociologue des médias et vice-président du Conseil de déontologie journalistique et de médiation le répète : « les médias ne décident pas du comportement électoral des électeurs (…) l’offre politique actuelle est complètement décalée à la demande des citoyens (…) les journalistes ne peuvent pas imposer aux femmes et aux hommes politiques autre chose que ce qu’ils proposent ». 

Les auditeurs regrettent que ces élections aient été présentées comme l’antichambre de la future présidentielle. Il est vrai que ce premier tour a souvent été commenté comme un test avant la présidentielle de 2022 et l’on observe d’ailleurs un réajustement au cours de cette semaine d’entre deux tours puisque la campagne se « dénationalise » et semble se concentrer davantage sur les enjeux locaux.  

Nous évoquerons ces différentes remarques des auditeurs demain dans le rendez-vous de la médiatrice à 11h51 sur Franceinfo avec Matthieu Mondoloni directeur adjoint de la rédaction.  

La distribution des professions de foi  

Autre hypothèse avancée par les auditeurs pour expliquer ce peu de mobilisation des électeurs : les dysfonctionnements dans l’acheminement des professions de foi lors du premier tour des élections départementales et régionales. 

« Pour expliquer l’abstention, penchez-vous s’il vous plaît sur le manque d’information qui a entouré ces élections : nous n’avons pas reçu les professions de foi des candidats. La démocratie repose sur la communication, l’information. Même les personnes âgées, décontenancées, ne sont pas allées voter. Nous sommes en 2021 et l’état a été incapable d’organiser la distribution des programmes électoraux ! De quoi tuer le fonctionnement démocratique… Pourquoi avoir recourt à un prestataire privé ? Nous aimerions connaître la réponse. Merci de vous renseigner et de transmettre sur les ondes. » 

« Vous évoquez et répétez l’incidence de la non-distribution des tracts dans plusieurs régions, mais lesquelles et vous ne donnez pas le nombre de foyer/personnes concernées. Cela pourrait permettre de mieux évaluer l’impact sur les résultats. Et de plus que disent les instituts de sondages sur l’impact réel de ces tracts sur le vote sachant qu’il est intéressant de constater les poubelles remplies d’enveloppes de tracts non ouvertes donc non lus ? » 

« Chouette…on a reçu les infos pour les élections d’hier dimanche ce lundi midi !!! c’est super ! » 

« Pourquoi n’a-t-on pas reçu les professions de foi des candidats aux élections régionales ? »  

« Déni de démocratie. »  

« Je viens de recevoir aujourd’hui l’enveloppe pour les élections régionales d’hier, je peux enfin savoir pour qui j’ai voté. Quant aux départementales je n’ai rien reçu du tout. »

Outre ces concitoyens, plusieurs candidats et partis se sont plaints de problèmes dans l’acheminement des professions de foi chez les électeurs et ont mis en cause Adrexo.

Gérald Darmanin a sommé Adrexo et La Poste, les deux prestataires pour l’acheminement des tracts électoraux, de prendre « toutes les mesures afin de rétablir un service normal » pour le second tour des régionales et départementales.    
Adrexo, chargé de distribuer les professions de foi dans 51 départements de sept régions, estime à 9% le nombre de plis électoraux non acheminés à leurs destinataires pour le premier tour, a indiqué mercredi devant le Sénat le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin. La Poste annonce un chiffre équivalent. 
Le Sénat a validé le lancement d’une mission d’information sur les « dysfonctionnements constatés lors de l’organisation des élections régionales et départementales ». Lors de la séance plénière de jeudi matin, une majorité de sénateurs a accepté la demande formulée par la Commission des lois de se voir conférer « pour une durée de six mois les prérogatives attribuées aux commissions d’enquête pour mener cette mission d’information ». 

Modalités de vote : révolution copernicienne souhaitée 

Dans leurs courriels nos auditeurs se veulent également constructifs et lancent des pistes pour faire évoluer les modalités du vote, un certain nombre étant favorable au vote électronique par internet. Le modèle de l’Estonie, pays le plus avancé dans le vote électronique au monde, est cité : 

« Pourquoi est-ce que personne ne parle de vote en ligne ? Les élections ordinales se font depuis des années comme ça sans contestation, nous payons nos impôts par internet, l’Estonie vote à 44% en ligne, depuis près de 10 ans, les États Unis votent par correspondance (les contestations ont toutes été écartées après recomptage).  Une de vos rédactions pourrait-elle organiser un débat sur ce sujet ? À une époque où la politique se fait sur Twitter et Facebook, qu’on le veuille ou non, se déplacer au bureau de vote me semble très profondément daté. Il pourrait s’agir dans un premier temps d’une expérimentation à une élection « mineure » (cantonale par exemple ou législative partielle).  La question de savoir si un parti serait avantagé (car électorat plus jeune ou plus mobilisé sur les réseaux sociaux) ne doit pas se poser en démocratie où chacun doit pouvoir voter quelles que soient ses opinions (dans la limite des infractions pénales bien entendu. Merci d’avance, je pense que vous avez un rôle à jouer et j’adorerais entendre une émission de ce type. » 

« A quand le vote anticipé par correspondance type USA et le vote par internet ? Bloquer deux dimanches de rang alors qu’on est dans une société qui parle essentiellement de loisirs, de droits et non de devoirs, il serait peut-être temps de s’adapter au mode de vie de la population ne pensez-vous pas ? On parvient à gérer des fichiers phénoménaux dans suffisamment de domaines, pour parvenir à sécuriser une autre façon de s’exprimer et peut-être ramener des jeunes à voter, y compris avec « l’aide » « d’influenceurs ». On a des pubs tous les jours sur toutes les applis (hormis Radio France !). Pourquoi ces vecteurs de communication ne sont pas employés, au lieu de pérorer sur « les professions de foi » (qui, de moins de 30 ans comprend ces termes complètement désuets) … Bref, s’adapter à notre monde plutôt que s’apitoyer sur un fonctionnement périmé ! Ne pourriez-vous pas lancer ce débat au travers de vos émissions ? » 

« Comment se fait-il qu’après des élections municipales en temps de Covid qui ont fait des dégâts sanitaires voire démocratiques, aucun projet de moyen de vote alternatif sur internet n’ait été lancé ? Il y a eu quand même un an !!! Dans l’entreprise où je travaille (plusieurs milliers de salariés en France), ça fait des années que nous procédons en vote exclusivement internet en respectant tous les contrôles nécessaires et nous s’appuyant sur un prestataire externe expert en la matière qui garantit une neutralité, il n’y a jamais eu de soucis, il est même fort probable que le risque de fraude ou d’erreur de comptage soit moindre. Ce serait un moyen de réduire l’abstention à mon avis et d’éviter les « non-procurations ». Il existe déjà l’identité numérique en France qui est utilisée pour tous les accès administratifs sensibles, donc l’identification ne pose pas problème à fortiori… bref, pourriez questionner les gentils organisateurs sur ce sujet ? » 

« Dans ce contexte de sortie de pandémie, où nous avons tous dû bon gré mal gré nous mettre au numérique, passer à un niveau supérieur avec les outils informatiques, dans un contexte gouvernemental d’une politique de simplification administrative, quid du vote électronique pour lutter contre l’abstention ? » 

« Peut-être que si les élections étaient par vote électronique il y aurait un résultat avec moins d’abstention. Je me déplace pour voter mais il faut vivre avec son temps. »  

« L’abstention n’est-elle pas aussi dû au mode de scrutin. À quand le vote par internet ? »

Deuxième piste évoquée par des auditeurs : le vote par correspondance 

« Alors que les jeunes de ma grande famille sont intéressés par la politique et sensibles à tout un tas d’enjeux, aucun n’a voté ! 1° le canton est une entité qui ne leur dit rien 2° ils ne résident pas toujours là où ils sont inscrits 3° il faut aller à la police pour faire les procurations. Suggestion de ma belle-fille suisse (pays où les taux de participation sont généralement élevés) pourquoi n’y a-t-il pas de vote par la poste en France ? On sait maintenant que Biden n’aurait sans doute pas été élu sans le vote postal anticipé. » 

Comment sont accueillies ces pistes éventuelles ? 

Si certains politiques se disent très favorables à l’expérimentation de nouvelles modalités de vote, des résistances à l’évolution des procédures électorales sont multiples : les fonctionnaires du ministère de l’Intérieur feraient « preuve d’un certain conservatisme », selon une ministre, alors que Beauvau rappelle que le vote postal fut supprimé en 1975 en France tant il donnait lieu à des fraudes. 

Quant au vote par Internet, il accumule les craintes : piratage informatique, tentative de déstabilisation étrangère, vote sous emprise. Les réserves sont aussi d’ordre politique : nombreux sont les défenseurs du rituel républicain dominical, cette solennité qui garantit, selon eux, cohésion nationale et confiance dans la sincérité du scrutin. 

Du reste, si ces évolutions parvenaient à s’imposer, elles seraient difficiles à mettre en œuvre dès 2022.  

Enfin des auditeurs suggèrent un autre jour que le dimanche pour aller voter, voire une autre saison : 

« Je pense que l’abstention est aussi dû au déconfinement, les gens veulent profiter de leur liberté et malheureusement les hommes et femmes politiques n’ont plus leur écoute. Les jours d’après sont à inventer et il serait judicieux d’ouvrir les bureaux de vote pendant la semaine. » 

« Pourquoi, avec votre invité, dramatisez-vous autant la forte abstention aux élections régionales et départementales du 20 juin 2021 ? Pourquoi parler de défiance, de gilets jaunes, de rupture du contrat social etc.. ? Organiser des élections un 20 juin après un an de Covid, à l’arrivée de l’été, des week-ends entre amis, des repas de famille avec la fête des pères, des journées à la mer, à la montagne… c’est comme organiser des élections le 1er ou le 15 août ! Ne pas voter pour les régions et les départements est perçu comme sans conséquences majeures pour le pays. L’abstention n’empêchera pas la constitution d’exécutifs locaux régionaux et départementaux qui feront leur travail de gestionnaires des territoires. Pensez-vous que les Français vont annuler leurs projets de week-ends planifiés, de sorties diverses, de retrouvailles familiales pour être sûrs de pouvoir voter le dimanche entre 8 et 18h ? Bien sûr que non. Si les élections étaient organisées en décembre ou en janvier, on retrouverait très probablement une participation de 65/70%. Parmi les jeunes qui étudient ou travaillent dans une autre ville que celle du domicile parental, où ils sont toujours inscrits sur les listes électorales, il est évident que ce n’est pas fin juin qu’ils vont annuler les projets de week-ends entre amis avant les grandes vacances. Ils ne vont pas davantage accepter de perdre 3 heures au commissariat pour donner procuration à leurs parents. Ne dramatisez-pas cette élection, elle est simplement organisée à un mauvais moment, à un moment où les Français préfèrent profiter de la belle saison pour retisser du lien social et de la convivialité, quitte à se passer de vote aux élections régionales et départementales. » 

« Ne pensez-vous pas que faire un vote le jour de la fête des pères est une très mauvaise idée ? Avec en plus un déconfinement total et le beau temps les gens vont prendre un bon week-end plutôt que d’aller voter. » 

Emmanuelle Daviet
Médiatrice des antennes de Radio France