« C’est désolant de ne plus pouvoir commenter cette émission », « Radio France a visiblement décidé de se couper de ses auditeurs », « Pourquoi ne peut-on plus passer que par le médiateur ou les réseaux sociaux ? ». Plusieurs auditeurs s’étonnent de voir se fermer progressivement les commentaires sur bon nombre d’émissions de leurs chaines favorites. Mais est-ce vraiment la fin des commentaires ?

 

En fait, il s’agit d’une réorientation des commentaires. Notamment grâce aux réseaux sociaux. La plupart des émissions disposent d’un compte Facebook ou Twitter, sur lesquels il est possible de laisser un avis ou de participer à une discussion. Et le médiateur est également là pour recueillir les commentaires, les suggestions et les relayer auprès des intéressés ou des responsables des chaines.

Propos racistes, sexistes, violents

Nous le savons tous, les commentaires ouverts sont bien trop souvent un lieu de défoulement anonyme et irresponsable ; nombreux sont ceux qui perdent tout sens de tolérance, d’ouverture d’esprit et de respect de l’autre. Certains confondent liberté d’expression et insultes, menaces, diffamations… Christophe Israël, l’ancien directeur du numérique de France Inter, l’expliquait dans le Rendez-vous du médiateur : « C’est là que l’on trouve le plus de propos racistes, sexistes, voire menaçants, qui n’ont aucun lien avec le contenu de l’émission ».

Cette décision de fermer les commentaires pénalise évidemment les auditeurs qui souhaitent faire part de remarques constructives, pertinentes, qui veulent entamer une discussion avec d’autres auditeurs. Vous nous l’écrivez et nous vous comprenons. Mais journalistes, animateurs et producteurs manquent de temps pour assurer modération et réponses. Et nous sommes responsables de ce qui est publié sur nos sites ; ce qui n’est pas le cas pour Twitter et Facebook, qui assurent leur propre responsabilité.

De plus en plus de réticences aux commentaires

Avec l’arrivée d’internet, les médias avaient imaginé que l’ouverture des commentaires sur les pages de leurs émissions, de leurs articles, de leurs vidéos allait offrir un fantastique espace d’échanges, d’interactivités et de débats. Mais comme le dit Vincent Génot, rédacteur en chef-adjoint du site de l’hebdomadaire belge Le Vif/L’Express (Télérama – 13/01/2017) : « Ces espaces ont ouvert la boite de Pandore », ajoutant « Nous estimons que le caractère trop souvent virulent et irrespectueux des échanges y rend impossible tout dialogue constructif ». Les commentaires ont donc été fermés sur tous les sites de ce groupe de presse belge.

C’est le cas pour de plus en plus de médias, notamment aux Etats-Unis. De grands groupes, comme CNN, Bloomberg ou Reuters, sont réticents à ces espaces de haine, plutôt que de liberté. C’est évidemment l’anonymat qui a engendré cette déresponsabilisation et cette désinhibition dans la façon de s’exprimer et de ne pas respecter ses semblables.

Appel au viol

Peu après ma nomination au poste de médiateur, j’ai été confronté à une vague de messages odieux, ignobles, visant une journaliste de Radio France. Certains appelaient même à un des pires crimes, le viol. Tout cela pour un changement de titre sur un de nos sites, pour lequel, qui plus est, elle n’était pour rien… J’ai vraiment découvert ce que je n’imaginais pas : un être humain peut se révéler une bête abjecte, dès l’instant où, lâchement, il se cache derrière l’anonymat.

Le Guardian, journal de référence britannique, s’est plongé dans un travail titanesque : étudier les 70 millions de commentaires reçus entre janvier 1999 et mars 2016. Et le premier enseignement est le caractère sexiste des réactions de lecteurs d’un quotidien pourtant réputé « intello de gauche ». Les journalistes femmes sont les premières cibles de commentaires très violents. « Depuis 2010, les articles écrits par des femmes ont systématiquement attirés un plus grand nombre de commentaires bloqués que les articles écrits par des hommes, constate le Guardian (repris par les Echos). Dans le Top 10 des auteurs les plus souvent visés par ces commentaires, se trouvent huit femmes et deux hommes noirs. A contrario, les dix auteurs d’articles les moins « trollés » sont tous des hommes ».

 

Les messages

Que deviennent vos messages ?

Pour Vincent Génot, toujours cité par Télérama : « Fermer les commentaires n’a apporté que du positif : nous gagnons du temps et nous nous concentrons à nouveau sur notre cœur de métier, informer ». Est-ce pour cela que les auditeurs ne peuvent plus s’exprimer et ne sont plus écoutés, comme nous l’écrivent plusieurs d’entre eux ? Bien sûr que non. Comme on l’a dit, il y a les réseaux sociaux, mais, également et surtout, le médiateur des antennes.

Tous les messages qui nous parviennent sont lus (23 000 en 2016). Après avoir éliminé ceux à caractère injurieux, raciste ou violent, ils vont suivre des chemins différents selon leur teneur :

  • être envoyés aux intéressés pour les informer ou leur demander une réponse ou une explication qui sera retournée à l’auditeur et/ou publiée sur le site
  • le médiateur peut aussi répondre directement ou écrire un article comme celui-ci
  • tous les messages les plus pertinents sont repris dans une lettre interne diffusée chaque semaine à tous les responsables des chaines, des rédactions et des programmes de Radio France, puis dans une lettre mensuelle adressée à tous les journalistes et producteurs.
  • les messages les plus nombreux sur une thématique précise alimentent les Rendez-vous du médiateur diffusés sur franceinfo (chaque semaine), France Culture (une semaine sur deux) et France Inter (le dernier vendredi du mois).
  • enfin, le médiateur relaie également les réactions des auditeurs chaque semaine dans la réunion des directeurs de rédaction, toutes les deux semaines dans la réunion de direction autour du directeur des antennes et des programmes de Radio France et, régulièrement, au COMED (Comité éditorial) autour des directeurs de chaines et du président de Radio France.

Moins de commentaires directs sur les pages des émissions, mais l’écoute des auditeurs ne s’est pas relâchée. Au contraire… Depuis un an et demi, elle s’est particulièrement intensifiée en interne, avec une véritable attention aux messages relayés par l’équipe du médiateur.

Bruno DENAES.