Un féminicide trop détaillé ? 

Sandra, 41 ans, est morte le 1er mai 2015 sous les coups de son compagnon, Hocine Hamoudi, 35 ans, jugé pour viol et meurtre par la cour d’assises du Nord à Douai depuis mardi. La journaliste Sophie Parmentier, du service police-justice de France Inter, couvre ce procès. Dans le journal de 19h mardi dernier, elle a relaté la séance du jour au tribunal où les photos de la scène de crime ont été projetées. Son papier a vivement fait réagir des auditeurs : 

« Mardi 14 mars, j’écoute le journal de 19h dans la voiture comme d’habitude. Je suis très choquée par la description crue de photos présentées lors d’une audience de féminicide. Et si ma fille était dans la voiture ? Les chiffes des violences faites aux femmes sont atroces, je suis ravie de que Radio France mette l’accent sur cela. Mais entendre la description de 5 heures de torture subies, viol avec le pied d’une chaise… cela ne me semble pas adapté à cette heure d’antenne. » 

« Je suis choquée d’entendre la description d’un féminicide ultra violent. Je m’interroge sur l’utilité de la description de détails macabres des souffrances de la victime. De plus, cela intervient à une heure de grande écoute pouvant être écoutée par des enfants. » 

« Quel intérêt y a-t-il à donner autant de détails sur un féminicide ? Doit-on exposer à tout le monde cette atrocité détaillée ? Ce n’est pas de l’information à mon sens. C’est écœurant. » 

Les courriels des auditeurs soulèvent deux questions : est-il choquant de diffuser à la radio un reportage où l’on entend les détails du crime commis ? La description d’un féminicide est-elle nécessaire pour faire prendre conscience de la violence de cet acte ? Questions a priori complexes et qui peuvent être sujettes à débat. 

Rappelons que le traitement d’un sujet à l’antenne, quel qu’il soit, fait toujours l’objet de réflexions et d’interrogations préalables. Les journalistes sont conscients de leur responsabilité envers le public. En l’espèce, les spécialistes police-justice savent faire preuve de discernement et évaluer les conséquences potentielles de la diffusion de détails spécifiques dans leur manière d’aborder la couverture des féminicides et autres crimes violents, les actes terroristes par exemple, eu égard aux victimes et au grand public. 
Il n’empêche. La diffusion des détails d’un féminicide peut être considérée comme choquante pour toute personne qui écoute le reportage, inappropriée pour les proches de la victime et traumatisante pour les survivantes de violences domestiques. 
Cependant, il est important de noter que les journalistes ont un rôle crucial à jouer dans la diffusion de l’information relative aux violences mortelles commises contre les femmes. En l’occurrence, la mention des détails de ce féminicide souligne les conséquences des failles du système de la justice et peut encourager les efforts de prévention de la violence au sein des couples. 

Rappelons les faits : 

Sandra, mère de quatre enfants, nés de précédentes unions, est décédée chez elle à Hazebrouck dans le Nord, à 41 ans, en 2015,  » démolie, fracassée, suppliciée« , selon l’avocate de la famille, Maitre Blandine Lejeune. L’autopsie a recensé 20 fractures et 143 lésions, dont certaines  » évocatrices de violences sexuelles« . Son agonie a duré cinq heures. Prévenus par un fils de la victime, les policiers ont découvert l’appartement de la mère de famille totalement dévasté par les violences. 

Un an avant les faits, en juin 2014, Sandra avait déjà porté plainte pour de multiples coups de poing et de tournevis. Puis, sous la pression avait retiré sa plainte. Elle avait ensuite déposé des mains courantes. Les policiers étaient intervenus à trois reprises en 2015 pour éloigner l’accusé de son domicile. Moins d’un mois avant d’être tuée, elle dépose une nouvelle plainte, blessée, lorsque Hocine Hamoudi avait tenté de rentrer de force chez elle. Il est convoqué pour plus tard, mais sans mesure d’éloignement. Sandra, elle, écope d’un rappel à la loi pour avoir brandi un couteau pour sa défense.  » C’est le monde à l’envers« , a fustigé à la barre l’avocate de sa famille, Maitre Blandine Lejeune.  » Sandra a peut-être aussi été victime de ces errements judiciaires« , insiste-t-elle, déplorant l’absence de toute mesure de protection. 

Dans son réquisitoire, hier, l’avocat général, a requis la réclusion criminelle à perpétuité contre Hocine Hamoudi, qualifié de  » prédateur conjugal« . L’avocat général, Sébastien Piève, a décrit  » un véritable tsunami pour tuer » avec « la volonté de faire souffrir la victime« ,  » cinq longues heures de calvaire« ,  » quelque-chose qui relève du supplice« . Il a également précisé qu’en vingt ans de carrière et cent procès, il n’avait jamais vu un tel massacre :  » Ce sont les faits les plus graves que j’ai eu à examiner« . Précisons encore que le magistrat qui représente la société et porte l’accusation, a mis en exergue « le barreau métallique de la chaise » utilisé comme une arme des crimes commis sur Sandra. Le verdict est attendu ce vendredi. 

Lorsque l’on couvre un tel procès, les faits, aussi violents soient-ils, doivent être rapportés. C’est tout l’enjeu du travail journalistique de Sophie Parmentier qu’elle détaille ici : « Rendre compte d’une audience, c’est raconter ce qu’on entend, ce qu’on voit, comme pour tout reportage. Aux assises, ce qui est jugé est souvent terrible et en tant que chroniqueuse judiciaire, je suis habituée à entendre des choses très dures que je ne retranscris pas telles quelles sans me soucier de l’auditeur. Il y a très souvent des détails horribles que nous ne relatons pas, quand ils ne sont pas indispensables, par pudeur et pour ne pas choquer au-delà du supportable. Néanmoins, je considère que notre métier de journaliste est avant tout de raconter le monde tel qu’il est pour mieux le comprendre. Dans ce procès d’assises à Douai, un homme de 35 ans est jugé pour le meurtre et le viol de sa compagne, qui était mère de quatre enfants. Il risque la perpétuité. Au premier jour de cette audience, la cour a projeté les images des crimes jugés. Les images étaient tellement choquantes, et montraient tellement l’ampleur du calvaire, du déchaînement de violence que cette femme avait subi pendant cinq heures, qu’il m’a semblé indispensable de décrire l’essentiel de ce qui a été montré. Rappelons que le procès est public. Je n’ai pas détaillé chaque blessure à l’antenne, ça aurait été trop. Le détail du pied de chaise en fer ayant sans doute servi au viol n’est pas juste un détail sordide que j’ai choisi de préciser au hasard. Ce détail a été souligné exprès par l’enquêteur à la barre. Et dans cette affaire, l’accusé nie le viol, dit que sa compagne était totalement consentante ce jour-là. La voyant à terre, nue, défigurée, couverte d’ecchymoses, une chaise en fer cassée à mains nues à côté d’elle et ayant donc probablement servi à la torture, chacun comprend que le consentement était impossible. Ces détails font partie intégrante de cette affaire. Affaire par ailleurs emblématique car c’est l’histoire tragique d’une femme qui porte plainte un an avant les faits et la justice qui classe sans suite. Dans mon papier de 19h, je n’ai pas raconté seulement la violence du crime, mais aussi les enfants de cette femme et leur chagrin, et le pardon de l’accusé sans émotion. Le papier était un tout. ». 

Ajoutons que des auditeurs pourront regretter qu’aucune mise en garde n’ait été formulée avant la diffusion du sujet, car il va de soi, et c’est la règle, qu’un auditeur doit être averti que les propos d’un papier ou les sons d’un reportage « éprouvant » peuvent heurter sa sensibilité. 
Il faut savoir que lorsqu’un journaliste sur le terrain, en extérieur, s’exprime en direct dans un journal, le présentateur ou la présentatrice en studio, s’il connait bien sûr le thème de l’intervention du reporter, n’a pas toujours connaissance de son contenu dans les moindres détails. Ce fut le cas mardi dernier, d’où le lancement du sujet sans avertissement préalable. 

Nous remercions les auditeurs pour leurs courriels, ils nous invitent à réfléchir à nos pratiques, que nous tentons d’expliquer à travers cette Lettre, et nous permettent de rappeler, si tant est qu’il soit nécessaire de le faire, que les journalistes évaluent les conséquences potentielles de la diffusion de détails spécifiques d’un crime avant de prendre une décision quant à la pertinence de la diffusion de ces informations à la radio. 

Emmanuelle Daviet