1. La condamnation de Nicolas Sarkozy :
– Le traitement éditorial
– Alain Finkielkraut, invité des Matins sur France Culture
2. Enlèvement de Lucie : les termes utilisés
3. La situation à Madagascar
4. Le Rassemblement national sur les antennes
5. « ChatGPT n’est pas la seule intelligence artificielle ! »
6. La nouvelle version de « Grand bien vous fasse » sur France Inter
7. Soutien à Sophia Aram après son billet « GlobalSumudFlotilla » sur France Inter
8. Le rire de François Morel
9. Les rires sur France Inter
10. Avis des auditeurs sur les auditeurs

La condamnation de Nicolas Sarkozy 

La condamnation de Nicolas Sarkozy et sa couverture journalistique sur les antennes de Radio France ont suscité une très forte réactivité des auditeurs. Leurs messages traduisent une attente claire à l’égard du service public : celle d’un traitement à la fois rigoureux et pédagogique, capable de les éclairer sur une affaire complexe, de défendre les principes républicains sans complaisance et de maintenir un haut niveau d’intervention sur les antennes. Les auditeurs ne contestent pas la légitimité d’un débat critique sur la justice, mais demandent que celui-ci soit conduit avec « précision« , « contextualisation » et « pluralité« , afin d’éviter les approximations et les effets de polarisation. L’important courrier reçu se répartit en plusieurs thématiques que nous allons détailler.  

Une partie importante des auditeurs exprime avant tout un besoin d’explications pédagogiques sur le jugement lui-même et de clarification sur le fonctionnement de la justice. Beaucoup disent ne pas comprendre comment l’ancien président peut être condamné pour association de malfaiteurs tout en étant relaxé pour les faits de recel de détournement de fonds publics libyens, de corruption passive et de financement illégal de campagne électorale. Cette incompréhension révèle, selon eux, un « manque d’éclairage sur les procédures judiciaires« , « la construction des chefs d’accusation » et la logique du raisonnement juridique. Ils auraient souhaité que les rédactions expliquent davantage les règles de droit, les preuves retenues, les différentes étapes de l’enquête et les voies de recours, afin de renforcer leur compréhension de l’institution judiciaire. 

Parallèlement, de très nombreux messages mettent l’accent sur la nécessité de défendre la justice républicaine, particulièrement dans un moment politique marqué par la défiance et la polarisation. Pour ces auditeurs, la manière dont les rédactions couvrent les affaires judiciaires impliquant des personnalités politiques joue un rôle déterminant dans la perception que le public se fait des institutions. Ils estiment que la surenchère médiatique, qu’il s’agisse de la multiplication des réactions politiques ou du rythme intensif de la couverture, peut entretenir la suspicion à l’égard de la justice, en donnant l’impression qu’elle agit sur des bases partisanes plutôt que dans le strict respect du droit. 

D’autres auditeurs rappellent que l’indépendance de la justice est un pilier fondamental de la République et soulignent que, dans une période où les discours de remise en cause de l’institution judiciaire se banalisent, les rédactions de Radio France ont une responsabilité particulière : celle de ne pas laisser prospérer les amalgames ou les insinuations sans les contextualiser ni les expliquer. Ils saluent, à ce titre, les prises de parole d’experts, magistrats, ou juristes, qui ont permis de rappeler la rigueur du travail judiciaire accompli dans l’affaire Sarkozy, en particulier l’interview très appréciée du président du tribunal judiciaire de Paris, Peimane Ghaled-Marzban lundi, dans le 7h50 de Benjamin Duhamel. Ces différentes interventions ont replacé les décisions dans leur contexte légal et procédural, soulignant la durée des enquêtes, la pluralité des magistrats impliqués et la solidité des éléments retenus par la justice. Pour ces auditeurs, il est essentiel que le service public assume pleinement son rôle d’acteur de confiance dans l’espace public en contribuant à réaffirmer la légitimité des institutions face aux discours de défiance. 

Parallèlement, de nombreux auditeurs de France Culture ont critiqué les interventions d’Alain Finkielkraut dans “Les Matins” et “Répliques”, choqués par ses propos, perçus comme une remise en cause directe de l’impartialité de la justice et une reprise de thèses sur un prétendu « agenda politique » des magistrats. Ils soulignent l’imprécision, voire l’erreur, de certaines affirmations sur la nature du jugement, et regrettent l’absence de contradiction ou de mise au point journalistique en direct. Pour plusieurs d’entre eux, laisser de tels propos sans réponse revient à entretenir la défiance envers les institutions dans un contexte où les magistrats sont particulièrement exposés. Quelques messages plus ironiques ont salué la dimension involontairement comique de cette intervention, tout en soulignant le décalage entre la posture rhétorique et la réalité juridique. 

Lucie, 12 ans, enlevée, séquestrée, violée mais « saine et sauve » 

Ce week-end, des auditeurs nous ont écrit pour réagir à une formule entendue à plusieurs reprises dans des journaux de France Inter : une fillette de 12 ans, enlevée, séquestrée et violée, aurait été « retrouvée saine et sauve ». Ces messages bouleversés et justes soulignent une maladresse journalistique qui n’est pas anodine. 

Revenons tout d’abord sur l’expression « saine et sauve » : elle signifie littéralement qu’une personne est sortie d’une situation dangereuse sans avoir subi ni blessures ni dommages. « Saine » renvoie à l’intégrité physique et mentale : ne pas être blessée, ne pas avoir été atteinte dans sa santé corporelle et psychique. « Sauve » signifie avoir échappé à un danger. En résumé, dire qu’une personne a été retrouvée « saine et sauve » revient à affirmer qu’elle est « indemne », qu’elle n’a subi aucun dommage. 

Or, dans le cas d’un viol, employer cette expression est réellement inadapté et choquant. La formule nie, même involontairement, l’ampleur des violences éprouvées. Elle suggère une absence de préjudices alors que la victime a subi de graves atteintes, physiques et psychologiques.  

Les auditeurs ont raison de rappeler que « les mots ont un sens ». Dire qu’une victime de viol est « saine et sauve », c’est en réalité invisibiliser son traumatisme. C’est une formulation qui, sans le vouloir, perpétue une vision dépassée de la violence sexuelle, comme si seules les atteintes physiques immédiates comptaient. Or les blessures psychologiques sont immenses, invalidantes, durables, et il est essentiel de les reconnaître dans la manière d’informer. 

Dans ce cas précis, la dépêche AFP rapportait une citation de la gendarmerie : « selon la gendarmerie qui a procédé à l’interpellation, la jeune fille est “saine et sauve” ». C’est une information factuelle, qui restitue entre guillemets les mots des forces de l’ordre. Le problème survient lorsque, dans la présentation orale du flash, le/la journaliste reprend cette formulation telle quelle, sans la distance nécessaire. En la citant à l’antenne sans contextualisation ni nuance, il/elle en fait, volontairement ou non, sa propre expression. Ce glissement est dommageable : il ne s’agit plus alors d’un simple compte rendu d’une déclaration, mais d’une reprise journalistique qui endosse et diffuse cette expression, avec tout ce qu’elle véhicule d’incomplet sur l’état réel de la victime. 

La rigueur journalistique impose dans ce type de situation de restituer les faits avec précision, mais aussi de faire preuve de discernement dans le choix des mots employés à l’antenne. Il aurait été possible, par exemple, de citer la gendarmerie en indiquant clairement qu’elle parle de « saine et sauve », tout en reformulant ensuite de manière journalistiquement juste, en précisant que la jeune fille a été retrouvée vivante, mais victime d’un viol. Autrement dit, rapporter une citation ou reprendre une dépêche AFP ne dispense jamais d’un travail éditorial.  

Cet épisode oblige à une vigilance accrue. Il rappelle que les expressions toutes faites n’ont pas leur place lorsqu’il s’agit de crimes aussi graves. 

Nous remercions les auditeurs pour leurs remarques et leur exigence d’un journalisme responsable, pleinement conscient du pouvoir des mots.  

La présence des représentants du Rassemblement national sur les antennes 

Chaque semaine nous recevons du courrier à ce sujet : la fréquence des invitations de représentants du Rassemblement national sur les antennes de Radio France, en particulier dans les matinales de France Inter et de Franceinfo, trouble des auditeurs. Avec des interventions dans les émissions politiques ou dans les journaux, parfois même sur plusieurs antennes au cours d’une même journée, la présence de ce parti est jugée « répétitive » et « disproportionnée » par rapport aux autres formations politiques, donnant le sentiment d’une « surreprésentation du RN » dans l’espace éditorial. 

Certains auditeurs relient cette tendance à l’affaire Legrand/Cohen, estimant que la rédaction chercherait à « montrer patte blanche » sur la question du pluralisme. Mais pour eux, cette stratégie aboutit paradoxalement à une forme de déséquilibre. Plusieurs évoquent un véritable « tapis rouge » déroulé aux élus RN, s’étonnant de la longueur et de la mise en valeur de leurs prises de parole dans les journaux, avec des titres jugés accrocheurs et peu nuancés, comme s’il s’agissait d’annonces prioritaires. Plusieurs auditeurs fidèles affirment ne plus reconnaître « leur » radio et confient changer de station par « lassitude » ou « exaspération » lorsqu’un nouveau représentant RN est invité.  

Il est essentiel de rappeler que Radio France ne dispose pas d’une totale liberté dans la répartition du temps de parole politique sur ses antennes. Cette question est strictement encadrée par la loi et fait l’objet d’un suivi rigoureux. Même en dehors des périodes électorales, chaque interview politique diffusée sur France Inter, Franceinfo ou France Culture doit être comptabilisée à la seconde près et transmise chaque mois à l’ARCOM, l’autorité de régulation de la communication audiovisuelle. Cette instance indépendante veille au respect du pluralisme sur l’ensemble des médias audiovisuels, publics comme privés. Si ce principe n’est pas respecté, Radio France s’expose, comme tous les autres médias, à des sanctions. 

Il faut également distinguer clairement le temps de parole politique du temps d’antenne. Le premier correspond aux interventions directes de responsables politiques invités à s’exprimer sur l’actualité. Chaque formation dispose d’un quota proportionnel à son poids dans la vie publique. Ainsi, par exemple, l’exécutif, c’est-à-dire le président de la République et le gouvernement, bénéficie légalement de 33% de ce temps. Le temps d’antenne, lui, englobe un champ plus large. Il inclut les prises de position exprimées dans les émissions par des chroniqueurs, des éditorialistes ou des invités qui ne sont pas des responsables politiques. Ce temps est également pris en compte pour garantir un équilibre global.  

Demain, dans le rendez-vous de la médiatrice sur Franceinfo à 15h53 et 18h50 Erik Kervellec, secrétaire général de l’information de Radio France, répondra aux questions des auditeurs sur les règles qui encadrent le temps de parole politique en dehors des temps de périodes électorales.  

La situation à Madagascar  

Des auditeurs font part de leur incompréhension face à l’absence de traitement, sur les antennes de Radio France, des événements dramatiques en cours à Madagascar. Alors que la situation dans le pays s’est fortement dégradée, avec des coupures d’eau et d’électricité massives, des manifestations étudiantes violemment réprimées et au moins 22 morts selon l’ONU, ces auditeurs constatent que cette actualité n’a fait l’objet d’ « aucune mention dans les journaux d’information » , contrairement à des mouvements similaires ailleurs, comme au Maroc. 

Parmi ces messages, plusieurs proviennent d’auditeurs franco-malgaches ou proches du pays, « blessés » par ce qu’ils perçoivent comme une forme d’invisibilisation « d’un peuple en souffrance », d’autant plus incompréhensible qu’ils associent habituellement Radio France à un traitement attentif et indépendant de l’actualité internationale.  

Vérification faite, il s’avère que les antennes ont très largement traité cette actualité dans les journaux d’informations. Dans cette Lettre, nous proposons aux auditeurs une sélection des sujets consacrés à la situation à Madagascar, afin de leur permettre de retrouver ces reportages diffusés sur France Inter, Franceinfo et France Culture. 

Emmanuelle Daviet
Médiatrice des antennes