Michel Ciment est mort à l’âge de 85 ans, lundi soir. Il était une des références des critiques de cinéma, écrivain et producteur de radio, chroniqueur régulier du « Masque et la plume » sur notre antenne, depuis 1970. Les auditeurs ont tenu à nous écrire pour lui rendre hommage :

Je suis profondément triste après l’annonce de la disparition de Michel Ciment, cet immense critique que j’écoute depuis trente ans dans votre émission. J’étais le plus souvent d’accord avec ses réflexions toujours justes et nuancées sur les films présentés. Je ne l’ai jamais entendu qualifier un film de « nul » et quand il n’aimait pas, il avait l’intelligence d’en donner les raisons avec des arguments objectifs (ce qui n’est pas le cas d’autres critiques). Il m’a permis de mieux connaître le cinéma et de m’inciter à aller voir les films importants, même ceux qui n’ont jamais été primés…

Je redoutais tellement ce moment… A chaque fois qu’un édito de Positif – Revue mensuelle de cinéma était signé par Yann Tobin ou Bernard Genin ou un autre rédacteur j’étais inquiet pour sa santé… On ne l’entendra plus râler contre le cinéma brancher de Mandico, Justine Triet, Yann Gonzales… Plus râler sur « Libé « , »Télérama », » et « les Inrocks » (le fameux « triangle des Bermudes »). Il ne râlera plus contre Straub et Godard et les cinéphiles qui les aiment… Il ne fera plus d’éloges démesurés de Terence Malick…. J’ai écouté pas plus tard qu’hier soir son intervention sur « Sans soleil ». Il m’énervait quand il critiquait « me too » mais Michel Ciment est un de mes critiques de cinéma préféré.

Cher M. Garcin, dans votre livre “Nos dimanches soirs”, vous aviez dressé un portrait juste et émouvant de Michel Ciment, dont je viens d’apprendre la mort. Lecteur de Positif depuis quarante ans, je suis venu à la cinéphilie avec Michel Ciment comme guide. Il n’était ni directif, ni dogmatique. Il encourageait avant tout à la curiosité d’esprit. Dans votre émission, il aimait la polémique, mais ne versait jamais dans l’exécution sommaire. Comme il détestait l’hagiographie, je me garderai bien d’aller dans cette direction. Je veux seulement me souvenir de ce qu’il écrivait dans son ouvrage le plus connu, consacré à Stanley Kubrick, lorsqu’il évoquait le choc qu’avait provoqué en lui la projection de 2001, l’Odyssée de l’espace. Il racontait avoir déambulé longuement dans les rues de Londres, presque hagard, habité par ce film qui avait pris possession de lui. Je me suis reconnu, à la lecture de ces lignes, déambulant dans les rues de Lyon, lorsque j’avais dix-sept ans, après avoir vu Hiroshima mon amour (et je demande d’avance pardon à Eric Neuhoff d’être ainsi possédé par un film d’Alain Resnais).
Ce soir, sans doute, nous serons quelques-uns à déambuler, en songeant que vos dimanches soirs ne seront plus tout à fait les mêmes.

Avec tristesse j’apprends à l’instant la mort de Michel Ciment. Full Metal Jacket venait de sortir. Je ne sais plus quand, je ne sais plus où, je le croisai un jour dans un cinéma et lui exprimai ma déception à la vision de ce film de Kubrick, mon cinéaste préféré. Je l’entends encore me répondre « Vous avez tort, c’est le meilleur film qu’on ait fait sur cette guerre ». Depuis, j’ai dû revoir ce film 6 ou 7 fois, … bien sûr, j’avais tort.
On ne perd pas seulement le plus grand des critiques de cinéma avec Jean-Louis Bory et Serge Daney, on perd un immense historien du cinéma, et avec lui un certain goût du cinéma, celui qu’on ne voyait qu’en salle. Difficile d’imaginer Le Masque sans sa voix.

Cher Jérôme Garcin,
Je vous avais écrit mon admiration et ma gratitude il y a quelques semaines et vous aviez eu la gentillesse de me répondre. Je vous faisais part, en tant que prof de maths passionné de cinéma, de ma profonde reconnaissance pour m’avoir accompagné pendant plus de 30 ans et de m’avoir construit, d’avoir forgé une partie importante de ma culture. Je vous exprimais aussi mon admiration sans borne pour Michel Ciment (je vous avouais que je venais voir les enregistrements du Masque pour le voir et l’écouter). Je viens d’apprendre à l’instant sa mort.
Inutile de vous cacher ma très grande peine.
Je lui avais également écrit, il m’avait répondu alors qu’il venait de se faire opérer suite à sa mauvaise chute. Je vous confie ses mots : « Je viens de prendre connaissance de votre lettre qui m’a touché, infiniment, et je vous remercie très sincèrement. Je suis hospitalisé depuis une semaine pour une fracture du col du fémur après une mauvaise chute et pour tout vous dire un peu déprimé. Aussi, vous comprendrez combien votre lettre m’a réconforté. Vous m’avez simplement dit que tout le travail d’une vie n’a pas été vain et rien ne peut me combler davantage. .
Bien chaleureusement à vous
Michel »
Cette lettre m’avait glacé. Je peine à m’imaginer cet esprit ouvert, érudit, « dynamique », sentant la mort approcher, incapable de se lever pour écrire, voir des films, s’emporter contre une critique prétentieuse ou moralisatrice de je ne sais quel journal du triangle des Bermudes.
Il m’avait fait découvrir Bellochio, Zviaguintsev, Brizé, Nichols, Bilge Ceylan. Je partageais son admiration pour Malick et Resnais. Il avait un regard lucide sur les modes et les combats frelatés des intégristes de la morale. Il savait prendre du recul, historique et critique, sur les films et ceux qui les faisaient. Il pouvait rejeter Match Point de Woody Allen, tout en le reconnaissant comme un très grand cinéaste. Il savait défendre Angelopoulos et Bilge Ceylan tout en atomisant les fausses valeurs, comme Weerasethakul ou plus récemment Pham Tiem An (L’arbre aux papillons d’or). Lui, le grand encyclopédiste, se moquait des films confidentiels qui fuyaient le grand public au nom d’un intellectualisme rance, mais valorisait sans béatitude les jeunes talents naissants, qui osaient l’ambition dès leur premier film (Ah, la référence Citizen Kane de Michel Ciment!!!) : Laszlo Nemes, Kantemir Balagov ou Stéphane Brizé.
Je plains les nouveaux cinéastes : ils ne seront jamais critiqués par Ciment. Ils n’auront pas la chance de s’entretenir avec lui pour un article, ou un livre.
En septembre, lors de son dernier enregistrement, où il s’était accroché avec Camille Nevers sur le dernier Garrel, je l’avais trouvé seul et fragile à la sortie : j’avais eu le courage d’oser l’aborder et de le féliciter pour son courage, le remercier pour sa pédagogie, il m’avait semblé ému, touché par cette émission : il ne comprenait pas qu’on pût mettre en doute sa capacité à apprécier les longs films lyriques comme l’Arbre aux Papillons d’Or, lui qui avait défendu Angelopoulos ! On ne se connaissait pas, on se parlait pour la première fois, mais c’est cela, tout de suite, après les remerciements d’usage, qu’il m’a dit. Lui, critique du Masque depuis 53 ans, lui qui avait ferraillé contre des pointures autrement plus redoutables que Nevers et Leherpeur sur Godard, Resnais, ou Kubrick, lui, le grand Michel Ciment se sentait blessé, incompris. Je suis triste que son parcours exceptionnel au Masque se soit achevé ainsi. Il s’est certainement confié à vous, qui étiez son ami, je ne doute pas que vous aussi, avez été touché par cette dernière prestation.
Voilà. Je souhaitais initialement vous réécrire sur un sujet plus drôle, plus littéraire, voire plus mathématique, et me voilà à partager avec vous mon hommage à Michel Ciment !
Je m’associe à votre chagrin, et vous souhaite bon courage, et bonne fin de Masque. Comme je vous l’ai déjà confié, j’espère vivement vous réentendre ou vous revoir ici ou ailleurs, échanger avec vous sur le cinéma, ou la littérature. Je vais de ce pas réécouter une conférence de Ciment sur Malick, histoire de le faire revivre ce soir, un peu…

Je suis lecteur de Positif depuis 25 ans et auditeur du Masque et la plume depuis pas beaucoup moins. Je fais partie de ceux qui regrettent encore la disparition de Projection privée sur France Culture. Inutile, donc, de vous dire que depuis hier je me sens un peu en deuil. Un phare s’est éteint. Michel Ciment a côtoyé et étudié les plus grands cinéastes du passé tout en admirant les nouveaux talents. Mon goût pour les cinémas d’Alain Resnais et de Stanley Kubrick lui doit beaucoup, tout comme la découverte de jeunes cinéastes au cours des dernières années. Michel Ciment était de ceux qui élèvent la critique au niveau de l’art. Qui va donc, maintenant, dénoncer les quatre angles du triangle des Bermudes ? Qui va accuser certains cinéastes d’avoir la carte tout en défendant des films indéfendables sur le seul nom de leurs réalisateurs ? Une page de ma vie s’est tournée. Au revoir, tonton Michel !

J’apprends aujourd’hui avec tristesse la mort de Michel Ciment. A titre personnel, je lui dois de m’être engagé dans la passion pour le cinéma en lisant son ouvrage sur Stanley Kubrick. Il avait fait comprendre au jeune étudiant que j’étais alors, en 1979, que le cinéma était un art et qu’on pouvait se passionner pour les films en tant qu’œuvres. Directeur de la rédaction de Positif depuis plusieurs décennies, c’est à mon avis le critique français le plus important par ses ouvrages et son action. Ses interventions érudites, ancrées dans l’Histoire du cinéma, et ouvertes à tous les styles, nous manqueront. Toutes mes condoléances à ses proches.
Décidément, une page se tourne au Masque.

A bientôt 70 ans, j’ai été accompagné par les voix du « Masque » depuis mon adolescence. Les plus réconfortantes furent celles de Jean-Louis Bory et puis… Michel Ciment. J’ai l’impression d’avoir perdu un vieux copain. En plus de 50 ans je ne vous ai jamais adressé le moindre courrier malgré les frissons ou démangeaisons ressentis après certaines émissions. Mais là, le chagrin est trop pesant. Alors merci Michel pour ton travail de vulgarisation avec tes livres, ton émission « Projection Privée » sur France Culture, tes animations de master class, ton envie si « positive » de partager ton savoir et tes passions.

J’ai appris avec une grande tristesse la disparition de Michel Ciment. J’appréciais son immense culture, son analyse très intelligente des films et sa voix chaleureuse. J’avais lu plusieurs de ses ouvrages dont son autobiographie “Le cinéma en partage ». Je l’avais rencontré il y a environ un an et demi lorsqu’il avait dédicacé la réédition de son ouvrage « Passeport pour Hollywood » dans la librairie. Qui se trouve près du cinéma Le Panthéon, rue Victor Cousin. Vous direz bien mieux que moi ce qu’il a apporté à l’étude du cinéma. Je voudrais lui rendre hommage sur un point. Il m’a fait comprendre à quel point Joseph Losey était un très grand cinéaste. Je percevais que Losey était un grand cinéaste, mais je ne parvenais pas à « entrer dans son œuvre » si l’on peut dire, sauf en ce qui concerne « M Klein ». Michel Ciment m’a fait comprendre quelle était la vision du monde de Losey, sa vision à la fois tragique et critique du monde, et à quel point c’était un grand cinéaste. Avec mes plus cordiales pensées.

Beaucoup d’émotion ce matin à l’annonce de la mort de Michel Ciment. Merci à lui pour tous ces samedis après-midis de cinéma si bien expliqué, c’était une joie sans cesse renouvelée de l’écouter dans Projection privée. Puissiez-vous accompagner sa mémoire ce jour.

Chers vous, sa famille de cinéma, je guettais les apparitions de Michel Ciment au Masque. Je vois encore ses dernières montées des marches de la scène de l’Alliance française.

Michel Ciment est un habitué du Festival Lumière qui fait toujours une pub énorme pour Positif.
Il y a trois ans, je trainais à la librairie du village (je feuilletais Les Archives Kubrick que j’ai achetées : c’était le dernier jour (le dimanche) et apparemment le dernier exemplaire. Un monsieur à côté de moi trainait lui aussi. Pas certaine que c’était lui, je lui ai posé la question, il m’a répondu « je ne suis pas aussi célèbre » ce à quoi je lui ai répondu « ça viendra » ! Il avait tout de même 80 ans, plus trop le temps pour se faire connaître… On s’est quitté en échangeant un regard complice. Je suis heureuse de ce bref échange.
J’espère que Rebecca Manzoni nous donnera l’occasion de rire autant ; c’est un régal de vous écouter même si on n’a ni vu ni lu les pièces de théâtre, livres ou films.

C’est un jour bien triste que celui où nous apprenons la disparition d’un être tel que Michel Ciment qui sut donner le goût de connaître et d’aimer avec autant de passion que d’exigence. L’art d’aimer était pour lui une affaire importante qui ne pouvait supporter l’approximation, le manque de culture ou les idées toutes faites. L’exercice critique obligeait celui qui décidait de s’y adonner à commencer par lui : il fallait établir des ponts entre les arts, se renseigner sur le contexte créatif, observer avec précision le cinéma dans sa spécificité d’art total.
Que ce soit dans Projection privée, émission arrêtée de manière aussi insensée que brusque (et jamais vraiment remplacée sur les antennes de Radio France) ou dans Le Masque et la Plume, j’attendais toujours le moment où Michel allait me prendre par la main pour aller vers le meilleur de ce qu’offrait le cinéma.
Aucune concession à l’air du temps surtout quand il était synonyme d’anathèmes idiots comme dans le dernier Masque et la plume à propos de Garrel ou de Woody Allen.
Au contraire, il alliait la fidélité à toute épreuve par-delà les caprices de la mode : ainsi son art et défense de Terence Mallick quand la critique décida ne plus regarder vraiment la liberté absolue du grand créateur ou son enthousiasme communicatif envers le grand Kubrick bien avant qu’il devienne une institution. Idem quand il s’agissait de voir la réussite absolue de Une vie de S. Brizé envers et contre (quasi) tous.
Michel n’était pas infaillible mais force est de constater qu’il ne s’est que rarement trompé et surtout il savait revérifier, faire évoluer son avis en jugeant sur pièces.
Selon moi, l’idéal de l’honnête homme au XX et au XXI ème siècle.
Un idéal critique qui était aussi une ligne de vie.
Il nous manque cruellement d’ores et déjà…
Merci Michel pour tout.