Diffuser des reportages sur des gens qui transgressent les consignes gouvernementales, qui ne respectent pas les gestes barrières, qui partent se « confiner » à la campagne : est-ce le rôle des journalistes ? Les auditeurs nous posent régulièrement la question, pour leur répondre, Emmanuelle Daviet reçoit Matthieu Mondoloni, directeur adjoint de la rédaction de Franceinfo.

Emmanuelle Daviet : Des auditeurs ont été choqués par un reportage qu’ils ont entendu dimanche dernier. Voici un message : « Scandaleux, ce reportage sur un groupe de trentenaires faisant la fête et bravant les directives gouvernementales un samedi soir, ce n’est plus de l’info, c’est de l’encouragement à la désobéissance civile et cela mériterait d’être sanctionné. Que cherche les journalistes ? Mettre un peu plus de pagaille dans la société ? » Et puis, un autre auditeur estime « qu’il s’agit d’un reportage pousse au crime » . Et cet auditeur ne comprend pas que l’on puisse diffuser « cette horreur alors que tous les jours, près de 400 personnes décèdent du Covid en France. »

Matthieu Mondoloni, il y a probablement là un éclairage à faire sur la mission d’information des journalistes.

Matthieu Mondoloni : Exactement. Alors effectivement, on a fait ce reportage. Il ne s’agit pas du tout de mettre en avant des pratiques ou en tout cas d’en faire la promotion, mais tout simplement de pouvoir informer sur des choses qui se passent. Et en l’occurrence, il y a effectivement des jeunes qui font des fêtes quand même, malgré les restrictions, malgré les demandes gouvernementales. Ça permet aussi d’illustrer parfois un certain ras le bol dans la population pour montrer que tous ne respectent pas les consignes, parce que ça fait un an que ça dure, parce que certains ont du mal. Et ça ne veut évidemment pas dire qu’on souscrit nous mêmes en tant que journaliste à ces pratiques. Pour preuve, on a aussi couvert le Carnaval sauvage à Marseille, qui a eu lieu ce même jour. On en a beaucoup parlé, mais parce que là aussi, c’était un fait d’information 6 500 personnes dans les rues de Marseille qui ont défilé sans masque. C’est une information qui nous permet, là encore, de dire : attention, effectivement, certaines personnes ne supportent plus les restrictions. Il faut en parler.

Emmanuelle Daviet : On poursuit avec cet auditeur qui s’étonne que les journalistes ne prennent pas parti lorsqu’ils observent les Parisiens quitter la capitale le week end dernier. Voici un message : « aucune réaction face aux agissements des Parisiens qui fuient le confinement et se réfugient en province. Ils n’ont aucun complexe à aller propager le virus dans les départements moins touchés. Je suis choqué qu’on laisse faire et que vous en parliez sans aucun sens critique ».

N’y a t il pas, dans cette remarque également une confusion sur le rôle des journalistes ?

Matthieu Mondoloni : Effectivement, parce que nous, notre rôle, c’est évidemment de ne pas prendre parti. C’est ce qu’on expliquait juste avant, ni pour un camp, ni pour l’autre. Pour simplifier un peu la chose, au contraire, on est des observateurs. Donc on rend compte d’une situation, et d’ailleurs, ce même week-end, on a diffusé d’autres reportages avec des gens, par exemple sur la côte normande, qui étaient très en colère de voir l’arrivée des Parisiens. Eux prenaient parti, défendaient leur point de vue, mais nous, nous ne sommes que des observateurs. On rend compte de la chose et après, on équilibre évidemment ça. On a aussi des invités à l’antenne qui vont pouvoir dire à quel point c’est irresponsable de quitter la capitale parisienne, d’autres qui vont les défendre. Mais nous, on rend compte encore une fois d’une situation.

Emmanuelle Daviet : Le rôle des journalistes consiste en effet à être factuel, tout au long du mois de mars, en association avec la Conférence des écoles de journalisme, vous avez donné la parole aux étudiants avec le Club des jeunes Reporters. A ce sujet, un auditeur écrit : « super idée de donner l’antenne à des étudiants en journalisme pour montrer aux auditeurs la qualité et le temps de leur travail. Pour ces étudiants, c’est une belle expérience à mettre sur leur CV. Mais un bémol sur le commentaire du présentateur évoquant l’opportunité pour ces jeunes de parler de leur génération. Je ne suis pas d’accord » nous écrit cet auditeur. « Un journaliste étudiant ou confirmé parle de tous les sujets. C’est un problème actuel de vouloir tout cloisonner. Or, il ne faut surtout pas rester dans sa communauté. C’est le très gros défaut des réseaux sociaux. La radio et la télé sont là justement pour ouvrir le public vers d’autres communautés d’idées ou communautés sociales. »

Matthieu Mondoloni, que répondez vous à cet auditeur ? Quel bilan faites vous de ce club des jeunes reporters ?

Matthieu Mondoloni : Alors d’abord, je vais dire qu’il a tout à fait raison. Il ne s’agit pas du tout de cloisonner ou d’enfermer les gens dans des catégories. D’ailleurs, les étudiants en journalisme, je suis moi-même enseignant en école, on leur fait faire des sujets très différents et ils rendent compte de la société de façon beaucoup plus large que les seuls sujets qui les concernent eux. Après nous, on avait un angle effectivement, avec ce club des jeunes reporters, c’était que ces étudiants en journalisme, qui sont aussi des étudiants et pas seulement des futurs journalistes, puissent parler de la situation des étudiants, mais des jeunes de façon plus générale, puisqu’ils sont au cœur des préoccupations de ces jeunes, justement. On trouvait ça très important de pouvoir leur donner la parole puisqu’ils baignent eux-mêmes dans ce milieu et donc pour le bilan de ce club des jeunes reporters. On en tire un bilan très satisfaisant. On a diffusé, à l’heure où je vous parle, 42 reportages issus des 14 écoles reconnues par la profession, regroupées au sein de la Conférence des écoles de journalisme. Et puis, on va récompenser aussi un vainqueur par un prix du Club des jeunes reporters. Il va y avoir un jury qui va se rassembler. Chaque école va proposer un de ses candidats, le meilleur reportage qui a été diffusé sur notre antenne. Et puis, après un jury composé de journalistes de la rédaction de Franceinfo va décider de la gagnante ou du gagnant de ce prix qui aura la chance de venir passer deux mois avec nous.