Emmanuelle Daviet : On commence avec cette proposition d’un auditeur : « il serait bien de faire intervenir des auditeurs lambdas pour réagir aux diverses paroles de vos intervenants. Pour ma part j’ai de bonnes questions et souvent je reste avec des interrogations. »
Sandrine Treiner que répondez-vous à cet auditeur qui souhaiterait que le standard de votre antenne soit ouvert aux auditeurs ?
Sandrine Treiner : Et comment faire pour pouvoir répondre à toutes les questions que toutes les auditrices et les auditeurs se posent ? Après avoir peut-être entendu une vigneronne parler de son métier ? Écoutez, c’est vrai que France Culture n’est pas une antenne qui ouvre un standard à ses auditeurs et je pense que aujourd’hui, si on le faisait, on aurait le plaisir de se revoir Emmanuelle et des personnes diraient, « mais vous n’allez pas vous mettre à faire une libre antenne comme le font les autres ». Il est évident qu’on vit dans un monde où la question de l’interactivité, de l’horizontalité, des relations est important. Et on a appris à instaurer un échange avec les gens qui viennent nous voir dans les forums, par exemple dans les masterclass que nous organisons avec des artistes, avec des intellectuels, etc. etc. C’est vrai qu’on ne le fait pas aujourd’hui à l’antenne. Il ne faut jamais dire qu’on boira jamais d’un vin, par exemple. Je ne dirai pas qu’on ne le fera jamais, mais aujourd’hui, je crois que la singularité de cette antenne tient au fait qu’elle est portée par le recours à des paroles d’artistes, de chercheurs, d’intellectuels, etc. Et qu’il est important que ça reste en tout cas très, très largement ça.
Emmanuelle Daviet : On poursuit avec cette remarque « Je suis attentivement certaines de vos émissions – d’une très grande qualité pour celles que j’ai sélectionnées. Je reçois votre Lettre du jour écrite en écriture inclusive – ce qui vous discrédite à mes yeux. Que France Culture soit le transmetteur du politiquement correct est un signe des temps. C’est triste. »
Sandrine Treiner, France Culture a-t-elle une ligne éditoriale en matière d’écriture inclusive ?
Sandrine Treiner : Alors, d’abord, une petite réponse technique la lettre, en l’occurrence, il s’agit de la lettre qui est envoyée aux abonnés de la lettre d’information de France Culture. L’extrait qui a été lu par cette lectrice ou ce lecteur n’était pas en fait un texte de France Culture. C’était en fait un texte de présentation issu de la page de l’émission, d’un texte de la productrice de l’émission en question. Il ne s’agissait pas d’un texte officiel. Alors peut-être pour commencer, dire qu’il faudrait réussir à pouvoir parler de la question de l’écriture inclusive avec un peu de calme et de sérénité. Et l’hystérisation tous azimuts des débats, dès qu’il est question de certains sujets, empêche de parler raisonnablement des choses. Moi, par exemple, dans les courriels internes que j’envoie à nos équipes, je l’emploie assez régulièrement. Néanmoins, il y a deux types d’arguments et je n’en fais pas évidemment une politique. Mais il y a deux types d’arguments : il me semble qu’il y a des arguments raisonnables et des arguments déraisonnables. Dans les arguments raisonnables que j’entends, mais mille fois et on a eu l’occasion d’en parler à l’occasion d’une semaine spéciale que l’émission « le Cours de l’histoire » avait consacré à la question du handicap et où un certain nombre de personnes handicapées sur les réseaux sociaux ou de chercheurs à l’antenne nous ont expliqué les problèmes que posait l’écriture inclusive. Et en fait, quand on parle d’écriture inclusive, on parle surtout de ce qu’on appelle le point médian. Vous savez ce point qui vient se mettre entre le E et le S et qui pose des problèmes pour un certain nombre de handicaps. Et ça, c’est un véritable problème, souligné encore plus par l’activité numérique. Parce qu’en fait, on ne sait pas coder sur le numérique de telle sorte de traduire pour les gens pour lesquels cela pose un problème l’écriture inclusive. Donc, il convient évidemment de prendre totalement en compte cet élément social, sociétal essentiel, et de parvenir à régler ces questions-là si elles peuvent l’être, avant de généraliser quoi que ce soit. C’est ce que j’appelle non seulement les arguments raisonnables et les arguments importants, impératifs. Et puis il y a les arguments déraisonnables et les arguments déraisonnables, à mes yeux, ce sont des arguments qui consistent à voir dans l’introduction d’un point à la place de ce qui fut une parenthèse, un signe de violence contre la langue. Je vous invite à écouter la très bonne émission qu’a fait Frédéric Martel dans Soft Power, dimanche dernier, où il recevait une chercheuse, une linguiste qui s’appelle de mémoire Julie Neveux et qui nous invitait à regarder sur notre carte d’identité, là où en dessous de votre nom. Là où il y a écrit né le, aujourd’hui, il y a « né(e) le », de sorte de pouvoir s’adresser aussi bien aux hommes qu’aux femmes. Il est bien évident qu’aujourd’hui, si on transformait cette parenthèse en un point, ça suffirait à agiter la twittosphère pendant très longtemps. Donc voilà, je crois qu’il faut garder la mesure sur ce sujet-là. Moi, je la garde. En tout cas.