Jacques Monin, directeur des enquêtes et de l’investigation de Radio France et Marie Dupin, journaliste à Franceinfo qui a signé cette enquête. Ils sont au micro d’Emmanuelle Daviet pour répondre aux questions des auditeurs.
Emmanuelle Daviet : Nestlé, numéro un de l’eau en France et d’autres industriels ont caché l’existence de pollutions dans leurs eaux de source. Ces eaux contaminées ont été purifiées en ayant recours à des traitements frauduleux. C’est ce que révèle une enquête Radio France Le Monde. Et vous signez cette enquête, Marie Dupin. Des auditeurs souhaiteraient savoir ce qui vous a le plus surpris au cours de votre investigation.
Marie Dupin : Ce qui nous a d’abord le plus surpris, c’est le côté absolument tentaculaire de cette affaire, qu’on peut qualifier, enfin, ce sera à la justice de le dire, mais qui relèverait a priori de la tromperie, puisque ça concerne les consommateurs qui achètent de l’eau en bouteille et donc à peu près tous les Français, puisqu’il nous est tous arrivé d’acheter un jour de l’eau en bouteille en pensant que c’était de l’eau qui était pure. Et en fait on se rend compte qu’elle a été contaminée et traitée exactement comme l’eau du robinet. Donc c’est une tromperie qui concernerait absolument tous les consommateurs. L’autre chose qui nous a le plus surpris avec mon confrère du monde, eh bien c’est le fait que le gouvernement était au courant de cette affaire. Et là encore, c’est absolument tentaculaire puisque beaucoup d’administrations ont été mêlées, plusieurs ministères, mais aussi l’Agence nationale de sécurité sanitaire, l’Inspection générale des affaires sociales, les agences régionales de santé. Donc, c’est une affaire qui est absolument tentaculaire.
Emmanuelle Daviet : Jacques Monin, une auditrice, écrit « On imagine que les intérêts financiers en jeu sont énormes. Avez-vous reçu des pressions pour que vos infos ne sortent pas ? «
Jacques Monin : Alors des pressions ? Non. Je veux dire, les gens qui sont à la tête de ces sociétés savent que les pressions ne servent à rien. Les pressions directes contre nous en tout cas. En revanche, il y a eu un stratagème qui s’est mis en place. Effectivement, quand on fait une enquête dans la phase finale, on informe la personne ou l’entreprise qu’on va mettre en cause des éléments qu’on a trouvés pour lui permettre d’y répondre. Et on le fait suffisamment à l’avance pour lui laisser le temps justement de préparer cette réponse. C’est ce qu’on a fait en l’occurrence. Sauf que Nestlé a mis en place une contre-communication, c’est à dire une stratégie qui avait pour but d’affaiblir en fait l’impact de nos révélations. Sachant qu’on allait raconter qu’ils étaient pris la main dans le pot de confiture, ils ont préféré finalement faire leur coming out, dire eux mêmes ce qu’ils avaient commis, mais avec leurs éléments de langage à eux. Et ils les ont transmis à un quotidien dont ils devaient considérer, j’imagine, qu’il était bienveillant à leur encontre. Ils ont donc donné l’information aux Échos, Les Échos qui ont publié lundi dernier un article expliquant que cette multinationale avait utilisé des procédés qui étaient des procédés interdits, mais dans la défense du consommateur pour protéger le consommateur. Je ne sais plus quelle était la formule. C’est dans un souci de protection de nos clients. Nous avons un peu perdu de vue l’aspect réglementaire des choses. Donc personne n’a rien compris à ce qui avait été écrit. Mais ce qui s’est passé, c’est qu’évidemment il y a eu des reprises dans d’autres médias et ça nous a contraints, nous à avancer la diffusion de notre enquête. Mais c’est vrai qu’on l’a anticipé du coup, parce qu’on considérait que les informations qui sortaient étaient parcellaires, incompréhensibles et qu’il fallait que nous publiions la vérité en fait. Donc l’opération a fait flop. Mais c’est vrai qu’il y a une stratégie qui s’est mise en place.
Marie Dupin : Et juste pour préciser. Pour revenir deux secondes sur ce que je disais ans qu’effectivement, quand le papier est sorti dans la presse économique lundi matin. Il faut savoir que Nestlé, à qui on avait envoyé nos questions il y a dix jours, Nestlé nous a envoyé les réponses à nos questions le dimanche soir et le lendemain matin. Eh bien, il y avait leur version, leur storytelling, leur version de l’histoire dans la presse économique.
Emmanuelle Daviet : Jacques Monin, au-delà des questions essentielles de transparence, quel problème majeur pointe votre enquête ?
Jacques Monin : Ça montre quelque chose de plus grave finalement, que la tromperie qu’on vient de décrire. Ça montre que la planète ne peut plus absorber tout ce qu’on envoie dans la Terre, que ce soit des métabolites de pesticides, des polluants éternels et toutes sortes d’autres produits. La terre n’absorbe plus. On se rend compte qu’il n’y a plus de véritable eau pure. Certaines sources qui étaient pures ne le sont plus aujourd’hui. Donc ça veut dire d’une part qu’on se demande si l’eau en bouteille est encore pertinente. Cette question se posera à terme. Et ça veut dire aussi qu’on va devoir mettre en place des systèmes de filtration supplémentaires qui seront payés de toute façon par le consommateur au final. Donc, ce sont des milliards d’euros qu’on va devoir dépenser pour réparer les erreurs qu’on a commises depuis plusieurs générations.
Emmanuelle Daviet : Marie Dupin, quelles sont les conséquences de votre enquête ? S’interrogent les auditeurs.
Marie Dupin : Les conséquences, elles, vont être à long terme. Effectivement, il y aura des conséquences politiques et des conséquences juridiques. Donc politiques. Il y a déjà des parlementaires en France qui se sont saisis du sujet. Il y a aussi une question écrite qui a été posée à la Commission européenne, puisque normalement la France aurait dû prévenir dès qu’elle a été au courant de la fraude, le gouvernement aurait dû prévenir les autres Etats membres et la Commission européenne, Ça n’a pas été fait. Donc c’est une affaire nationale, mais c’est aussi une affaire européenne, voire internationale. Et puis après, il y aura tous les aspects juridiques. On sait que deux enquêtes préliminaires sont ouvertes pour tromperie. Mais il y a aussi l’usine de Perrier dans le Gard, pour laquelle, à ce jour, aucune enquête n’est ouverte, alors qu’on sait que des traitements interdits y ont été utilisés et sont encore utilisés. Des traitements non conformes. Et il y a une association de consommateurs qui s’appelle Foodwatch qui a déjà porté plainte. Il y aura peut être d’autres plaintes qui seront déposées pour tromperie. Donc tout ça, ça va être du long terme. Mais oui, on peut imaginer que cette affaire aura de nombreuses conséquences.