Cette semaine, les auditeurs ont été encore très nombreux à nous écrire à propos du mouvement des Gilets jaunes. Pour leur répondre, Emmanuelle Daviet reçoit Éric Valmir, Secrétaire Général de l’information, et Lucas Menget, directeur adjoint de la rédaction de franceinfo.
Les conditions de travail des journalistes qui couvrent les manifestations
Des journalistes sont victimes de violence lors de rassemblements en lien avec le mouvement de Gilets jaunes. Des auditeurs souhaitent savoir dans quelles conditions les journalistes de franceinfo et plus généralement de Radio France travaillent sur le terrain.
Éric Valmir : Ils travaillent comme ils peuvent. Il y a une situation inédite à Radio France : nous avons fait appel à une protection rapprochée ces dernières semaines parce qu’il y avait eu de nombreux incidents auparavant. Nous étions contre puisque les journalistes préfèrent avoir une certaine latitude et marge de manœuvre pour travailler. Ce sont des journalistes aguerris qui ont travaillé en zone de guerre. On aurait pu penser que pour une manifestation en France, ils n’auraient pas eu besoin de cette protection. Mais des incidents à répétition, surtout en régions auprès de nos journalistes de France Bleu, nous ont incité à mettre un protection rapprochée : un ancien militaire, ancien RG, des gens spécialisés qui vont être au plus près pour protéger et éviter les débordements et agressions.
Nous déplorons cette situation mais nos jeunes journalistes se sont fait interpellés, agressés verbalement voire physiquement, poussés, menacés… Il n’y avait pas d’autres solutions pour sécuriser les directs et rassurer ces journalistes qui évoluaient sur le terrain.
On est habitué à penser contre nous-mêmes : on accepte le débat, les critiques du traitement de l’info mais les violences ne sont pas acceptables.
Quelles sont les mesures pour samedi 19 janvier ?
Éric Valmir : Il y aura des protections de certaines locales de France Bleu puisqu’il y a eu des menaces que nous prenons au sérieux.
Pourquoi continuer à les envoyer ?
Certains auditeurs nous demandent pourquoi vous continuez à envoyer des journalistes sur le terrain pour couvrir les manifestations de Gilets jaunes alors qu’ils sont obligés d’exercer leur mission dans les conditions que l’on vient de décrire ? Un auditeur pose la question: Franceinfo ne devrait-elle pas cesser toutes ces émissions spéciales pour couvrir des événements rassemblant finalement assez peu de manifestants ?
Lucas Menget : Parce que c’est de l’information. On couvre toute l’information. Il se passe quelque chose en France qui est important. Les manifestations en sont un des aspects, on les couvre comme on couvre les autres aspects de cette crise des Gilets jaunes. Ce n’est pas parce que c’est dangereux que la rédaction de franceinfo ou de Radio France va s’arrêter. Franceinfo couvre des événements à l’étranger, en zones de guerre, c’est dangereux mais on continue à les couvrir.
La violence est inacceptable mais elle fait partie d’un certain nombre de conditions du métier de journaliste. On était plus habitué à cette violence dans des zones dangereuses loin de chez nous.
Le nombre de manifestants ne fait pas partie du choix éditorial, sinon il y a beaucoup de choses que l’on ne couvrirait pas, qui concernant peu de gens mais qui ont des conséquences politiques nationales importantes.
L’affaire Benalla : un « non-événement » ?
« Premier titre du journal de franceinfo ce 16 Janvier : l’utilisation abusive par M. Benalla d’un type de passeport dont l’usage est normalement restreint. Je suis surpris de constater qu’aux yeux de la rédaction en chef cette information semble plus importante que celle du Brexit ou que la progression du grand débat dans le contexte national que nous connaissons. »
Alors ce message n’est pas isolé, pour des auditeurs cette affaire relève du sensationnel, certains la qualifie même de « non-évènement ».
Lucas Menget : Ce n’est pas un « non-événement », c’est un événement important dans la vie politique de notre pays et qui peut avoir des conséquences. Sur la hiérarchie de l’information, cet auditeur a peut-être écouter qu’un journal. Sur franceinfo il y a des journaux et des titres toute la journée, l’affaire Benalla n’a pas fait l’ouverture de tous les journaux. La journée était riche en informations, et l’avantage d’une chaîne comme franceinfo c’est la hiérarchie et la variété de l’information.
Reportage dans une école de Joigny
« J’ai été choquée, qu’à l’occasion d’un reportage dans une école de Joigny, on puisse entendre des élèves de primaire crier « Macron démission ». Où va-t-on si des adultes responsables/ professeurs /journalistes/ laissent faire sans aucun commentaires ? Je suis atterrée par un tel laisser aller. »
Une auditrice ajoute : « Comment peut-on ensuite demander aux enfants de respecter les adultes, les enseignants ? »
Lucas Menget : Ce reportage de Benjamin Illy est absolument passionnant parce que justement on y voit ces enfants qui interviennent en criant « Macron démission ». Un reportage, c’est des faits et un contexte. Benjamin Illy est à ce moment en train d’interroger un retraité de l’éducation nationale qui lui aussi est un peu éberlué par cette scène, il lui demande ce qu’il en pense et il dit que ça le choque, que si on en est arrivé là, c’est qu’il y a eu des cassures. Ils se demandent alors pourquoi ils ont dit ça ? En voyant le reporteur de franceinfo par provocation ou amusement, il faut toujours remettre les choses dans leur contexte, or cet homme montre bien à quel point c’est une situation nouvelle. Est-ce qu’ils entendent ça à la maison ou dans des débats ? Il faut toujours aller jusqu’au bout du reportage, au bout des récits.
Est-ce que cela ne soulève pas un autre problématique, qui est que la population n’a pas forcément envie de voir la réalité des faits ?
Le rôle des journalistes n’est pas de cacher des choses. Le reporteur aurait pu se dire qu’il n’allait pas mettre cette scène qui pourrait choquer. Mais le but ce n’est pas de cacher, c’est de le montrer et de l’expliquer. L’éthique du journaliste c’est de montrer ce qu’il voit autour de lui.