Nathalie Iannetta, directrice des sports de Radio France est au micro d’Emmanuelle Daviet
Emmanuelle Daviet : Beaucoup de messages d’auditeurs sur la Coupe du monde de football au Qatar. Ils estiment que c’est une aberration écologique avec des stades climatisés remplis de spectateurs venus en avion. Ils évoquent également le coût humain de construction des stades par une main d’œuvre immigrée maltraitée. Et puis la situation du Qatar, un Etat ultra conservateur qui rogne sur de nombreux droits humains fondamentaux. Et ces auditeurs souhaitent savoir si, vu ce contexte, vous envisagez, par souci de cohérence, de ne pas envoyer sur place de journalistes pour couvrir cette compétition.
Nathalie Iannetta : Emmanuelle, moi je comprends les questions de ces auditeurs et en même temps je ne les comprends pas. Je m’explique. Cela revient en fait à demander à des journalistes de ne pas traiter d’un événement d’actualité au motif que l’endroit où il se déroule pose des problèmes et des questions, aussi existentielles et essentielles soient-ils, et soient-elles, ces questions. Lorsqu’on couvre des élections ou quand, par exemple, on fait des événements internationaux de type planétaire, je pense par exemple en ce moment même à la COP 27. On ne demande jamais aux journalistes de considérer le pays dans lequel ils doivent se rendre par rapport aux droits humains, à l’égalité hommes femmes, à la liberté d’expression, etc. C’est exactement la même chose pour cette Coupe du monde. Il faut comprendre qu’une Coupe du monde c’est un objet d’actualité. Ce n’est pas des garçons qui font mumuse à la baballe. De tous temps, c’est un objet d’actualité à part entière qui nécessite un traitement à part entière sur et en dehors du terrain. Cette Coupe du monde quand même, elle dit ce qu’une partie du monde est devenue, Emmanuelle, c’est à dire un endroit ou le cynisme et l’argent ont pris le pas sur les valeurs et sur l’humain. La raconter, c’est aussi raconter le monde dans lequel on vit.
Emmanuelle Daviet : Un auditeur écrit : « J’aimerais savoir si, au sein de la rédaction de Franceinfo, le débat a ou a eu lieu sur le traitement de l’information de la Coupe du monde au Qatar ? ».
Nathalie Iannetta : Alors il y a toujours énormément de débat avec la rédaction des sports et la rédaction de Franceinfo. Nous nous sommes évidemment demandé comment traiter cette Coupe du monde. Pourquoi ? Parce qu’elle est inédite et particulière à tous points de vue. Elle est inédite par sa nature, par ses conditions d’attribution. La question, évidemment, des morts sur les chantiers pour la construction des stades. Plus globalement, sur la question des droits humains et de leur respect. Mais elle est aussi inédite sportivement, avec un calendrier qui est décalé en plein hiver pour la première fois, des équipes qui ne vont pas avoir de préparation physique. Enfin bref, c’est vraiment un événement qu’on n’a jamais, d’une certaine manière, couvert de cette manière et à ce moment là de l’année, il a fallu qu’on mette en place évidemment un dispositif particulier pour une Coupe du monde encore une fois particulière, avec certes des commentateurs pour les matchs et suivre les événements et notamment les matchs de l’équipe de France. Les auditeurs de Franceinfo, ils ont l’habitude d’avoir les compétitions et les rencontres de l’équipe de France en intégralité, mais aussi pour raconter tout ce qui entoure cette Coupe du monde dans sa globalité. Et là, on a aussi de nombreux reporters qui vont couvrir cette Coupe du monde.
Emmanuelle Daviet : On termine avec cette question fréquente des auditeurs « est-il envisageable de boycotter cet événement ou estime-t-on que la tranche sport est à part, dénuée de considérations morales ?«
Que peut-on répondre aux auditeurs qui nous écrivent à ce sujet ?
Nathalie Iannetta : Mais comme je l’ai dit tout à l’heure, que le sport, c’est un objet d’actualité à part entière qui est couvert par des journalistes à part entière et que notre métier consiste à regarder le monde tel qu’il est, pas tel qu’on aimerait qu’il soit. Cette Coupe du monde, elle est telle qu’elle est, c’est à dire avec de nombreuses questions qu’elle suscite. Notre boulot, c’est d’être sur place pour donner toutes les informations nécessaires à nos auditeurs afin qu’ils puissent répondre en leur âme et conscience à toutes les questions qu’ils se posent. C’est valable aussi pour ce qui concerne notre équipe nationale. La seule différence peut être et j’en terminerais par là avec les autres Coupes du monde, c’est que c’est vrai que ça ne suscite pas un enthousiasme aussi léger et pétillant que d’habitude.