Emmanuelle Daviet reçoit Catherine Nayl , directrice de l’information de France Inter.
La couverture journalistique de la réforme des retraites
Emmanuelle Daviet : Nous avons reçu des milliers de messages sur la réforme des retraites. Les auditeurs nous donnent leur point de vue sur cette réforme, bien sûr. Ils formulent aussi des critiques sur le traitement journalistique de cette actualité. Dans leurs courriels, trois thématiques se dégagent :
– On entend trop les opposants à la réforme.
– Il y aurait de la partialité dans le traitement des faits de violence.
– Et enfin, les auditeurs s’interrogent sur les invités dans la matinale.
Nous allons voir tout cela avec Catherine Nayl, directrice de l’information de France Inter.
On commence tout de suite avec la voix des opposants à la réforme.
Depuis maintenant plusieurs semaines, les auditeurs estiment que dans les reportages, on entend surtout les opposants à la retraite. Voici des messages. « Je vous fais part de ma déception du traitement de l’information sur la réforme des retraites. Je n’entends sur France Inter que des sujets sur la grève, les syndicalistes, les opposants à la réforme, la voix du peuple, la mobilisation et une culture d’opposition systématique. » Autre message « fidèle auditrice de France Inter j’avoue mon malaise quant au traitement de la réforme des retraites et des grèves. Je suis choquée de la partialité des journalistes. Le fait d’entendre que tous les Français sont contre la réforme, de donner la parole à des personnes non représentatives, cela me laisse dubitatif sur la déontologie et l’impartialité de France Inter. » Et on termine avec ce courriel, « comme de nombreuses personnes vivant dans le monde parallèle de ceux qui soutiennent la réforme des retraites. Je suis à bout nerveusement de ce micro tendu du matin au soir aux syndicats. Nous sommes des millions de silencieux qui travaillent et que l’on n’entend pas. »
Catherine Nayl, quels ont été les choix éditoriaux de la rédaction pour traiter de la réforme des retraites ?
Catherine Nayl : Comme d’habitude, Emmanuelle. En conférence de rédaction, on regarde les événements de la journée. Et effectivement, tous les sons que vous venez d’entendre émanent de manifestations. Nous en sommes à la 10ᵉ journée de manifestation en France. Donc oui, nous traitons ces événements et donc oui, bien sûr que nous relatons et que nous faisons effectivement parler des gens qui manifestent. Mais je comprends parfaitement, en fait, ce que veulent dire ces auditeurs parce qu’il est plus facile d’entendre des opposants à la réforme des retraites, notamment parce qu’ils s’organisent, qu’il y a des manifestations, qu’il y a des grévistes dans différents secteurs de l’économie française, que des gens qui soutiennent et qui s’expriment beaucoup moins. Et c’est vrai qu’il faut aller les chercher ou il faut les accueillir. Alors il y a les reportages, mais il y a aussi le « Téléphone sonne ». Vous savez combien cette émission est l’un des piliers de l’antenne de France Inter ? Vous savez que le principe, c’est que les auditeurs prennent la parole, nous appellent pour donner leur leur avis. Et nous l’avons vraiment particulièrement destiné, je dirais justement à cette parole qui devait remonter quelle qu’elle soit, des pros réforme des retraites, des anti réforme des retraites autour d’énormément de « Téléphone sonne » sur la réforme des retraites, sur des points très précis : parfois la pénibilité, le travail des seniors, le 49.3. Enfin des choses institutionnelles et moins pour que justement nos auditeurs puissent prendre cette parole.
Emmanuelle Daviet : Alors vous parlez du « Téléphone sonne ». Il y a également les invitations en studio et au sujet des invités en studio, des auditeurs estiment qu’il y a trop de complaisance de la part des journalistes à l’égard des ministres venus défendre la réforme.
Extraits de messages : « Les journalistes ne font pas leur travail de contradicteur lorsqu’ils reçoivent un représentant du gouvernement. Cette allégeance au pouvoir est insupportable ! » Alors un autre message « Emission extrêmement complaisante à l’égard de l’invité appartenant à la majorité présidentielle. Aucune question embarrassante, aucun rappel sur les erreurs. Rien sur le rejet du projet par la majorité des citoyens. Faites votre boulot de journaliste, arrêtez de servir la soupe au gouvernement, c’est insupportable ! » Catherine Nayl, que vous inspire ces remarques ?
Catherine Nayl : Vous voyez que nous avons des auditeurs très, très, très largement réprésentés puisqu’ils y en a qui nous reprochent de n’entendre que des personnes qui seraient anti réforme et quand on invite le gouvernement, nous sommes trop gentils avec les ministres. La réalité c’est qu’il y a eu et si on essaye de chiffrer un peu parce que c’est important de rester factuel dans ce traitement des retraites, nous essayons en tout cas de l’être, même si parfois ce n’est pas facile. Depuis le mois de janvier, depuis le 1ᵉʳ février, nous avons eu 40 invités dans la matinale sur cette réforme des retraites. Sur ces 40, il y a environ 12 représentants de la majorité, notamment des ministres, qui sont là aussi pour quand même faire de la pédagogie. On a besoin de savoir, surtout que les informations ont été évolutives quand même. Souvenez vous les 1 200 €, les femmes, etc. Donc on a besoin de faire évoluer cette information et de poser des questions aux ministres. Nous avons une dizaine d’invités qui, pour le coup sont des invités d’opposition dont certains d’ailleurs soutenaient ou soutiennent la réforme des retraites, comme Bruno Retailleau ou le président du Sénat, Gérard Larcher. Et puis nous avons eu des invités experts, c’est à dire des politologues, des économistes, des constitutionnalistes qui. Ils sont là aussi pour éclairer, varier les points de vue et essayer de laisser finalement à l’auditeur le choix de se faire son opinion. Encore une fois, ce n’est pas toujours facile. Je suis prête à reconnaître que parfois, une actualité écrase effectivement le reste des choses dont il faut parler. Et je suis prête aussi à reconnaître qu’effectivement, c’est sans doute plus facile d’aller tendre le micro chez ceux qui manifestent que chez ceux qui ne manifestent pas. Dont acte. Et il faut faire très attention.
Nous essayons vraiment chaque jour de se poser les bonnes questions. Mais effectivement sans doute, il y a sur l’antenne plus de anti réforme des retraites que pros réforme des retraites. Mais nous ne sommes pas ni conciliants ni passifs par rapport à la voix des opposants politiques ou la voix des ministres. Les questions sont posées par Léa Salamé, par Nicolas Demorand. De la même façon, pour chaque personne qui se trouve dans ce studio, et croyez moi, je n’ai pas le sentiment que les invités sortent de notre studio en ayant le sentiment que tout s’est bien passé et que l’interview était un long fleuve tranquille.
Emmanuelle Daviet : Justement, je vous propose d’écouter un extrait du grand entretien de lundi dernier qui nuance justement les critiques des auditeurs sur cette complaisance que certains soulignent. Christophe Béchu, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, était au micro de Léa Salamé et Nicolas Demorand.
Le traitement éditorial de la violence
Emmanuelle Daviet : Catherine Nayl, abordons à présent le traitement éditorial de la violence.
A propos du traitement des faits de violence, les auditeurs évoquent la partialité de l’antenne. Un auditeur écrit : « Depuis le conflit sur le recul de l’âge de la retraite, on entend qu’un son, celui des émeutiers, avec des commentaires orientés exclusivement sur des violences policières. Quid des exemples de la violence gratuite des casseurs et des émeutiers ? J’aimerais entendre des points de vue contrebalancés et plus honnêtes et pas Radio Mélenchon. » Et puis cette auditrice nous écrit « Je trouve insupportable d’entendre tous les propos à charge sur la police. L’atmosphère générale est devenue très violente. Inutile d’alimenter celle-ci. Les forces de l’ordre sont là pour maintenir l’ordre et non pour violenter. Inutile de monter en épingle les dérives de certains policiers, surtout que jamais vous ne faites de papier sur les violences reçues par eux.
Catherine Nayl, quelle est votre politique éditoriale sur la couverture des violences lors des journées de mobilisation ?
Catherine Nayl : Je reprendrais exactement les propos de notre auditrice, de celle qui qui vous a écrit. C’est à dire que lorsqu’on traite de phénomènes de violence, et il y en a et de chaque côté, nous essayons justement de parler de cas individuels et de ne pas généraliser. La police ne commet pas des violences intrinsèquement comme ça parce que c’est la police et les manifestants pareillement. En revanche, il y a effectivement des faits de violence et il y a un certain nombre d’enquêtes, par exemple que l’IGPN a commandité, s’est emparé de ces sujets du côté des policiers et il y a un certain nombre de manifestants qui sont arrêtés et nous le disons pour des faits de violence. Donc c’est ça qu’il faut relater et effectivement ne pas généraliser des phénomènes qu’il faut traiter de manière très ciblée et très directement en parlant de cas concrets.
Mais je ne pense pas que sur notre antenne, nous ne faisions pas entendre… Alors vous savez, quand on interroge pas des policiers, ils ne témoignent pas eux mêmes, je dirais sur des faits de violence qu’ils auraient pu subir. En revanche, nous avons invité Laurent Nunez, qui est le préfet de police de Paris et qui lui, a pu exprimer un certain nombre de choses. Je pense que ces voix là sont équilibrées et en aucun cas effectivement, il ne faut généraliser ce genre d’événement.
Emmanuelle Daviet : À propos de partialité, dans un sondage Viavoice pour les Assises internationales du journalisme qui se tiennent à Tours jusqu’à demain. Un sondage en partenariat avec Radio France, France Télévisions, France Médias Monde et Ouest-France. La partialité des journalistes est pointée du doigt par 70 % des sondés, tous médias confondus. Et pour une personne sur deux, cette information trop orientée ou pas assez impartiale, contribue à une baisse de la qualité de l’information.
Les invités de la matinale
Emmanuelle Daviet : La qualité de l’information, cela passe également par le profil des invités en matinale. Selon quels critères sont-ils choisis ? Qui décide ? Catherine Nayl, directrice de l’information, nous détaillera les coulisses des arbitrages faits par sa rédaction.
De nombreux auditeurs nous demandent de les éclairer sur les règles. Qui préside au choix des invités dans la matinale ? Voici un message « Je me permets de vous écrire pour vous faire part de mon étonnement concernant le choix des invités politiques du Grand entretien de la matinale de France Inter. Beaucoup de représentants de la droite, des représentants du gouvernement également, qui se taillent la part du lion. « Comment sont sélectionnés les invités et de quelle marge de liberté bénéficient vos talentueux journalistes dans ce domaine ? » Vous demande cet auditeur, Catherine Nayl.
Catherine Nayl : Alors peut-être que je peux expliquer, Emmanuelle ces trois temps d’interviews au sein de la tranche 7h 9h30. Bien évidemment, il y a le 7h50 : c’est un peu l’interview évènementielle, on va dire de cette matinale. Soit c’est la femme ou l’homme qu’il faut avoir, soit c’est le pas de côté. Vous savez, on peut avoir aussi bien un ou une politique et un rappeur par exemple. C’est un peu cette interview de 7h50. A 8h20, on se pose un peu plus. D’abord, il y a cette interactivité avec les auditeurs. Et puis on essaye de prendre le temps d’aborder des problèmes. Bien sûr, ce peut être aussi une interview politique, mais des problèmes de la société civile. Et souvent, nous faisons des plateaux, l’intelligence artificielle, ce matin, les problèmes de l’eau, de la fin de vie… ça nous donne du temps pour se poser un peu et expliquer un peu tous les grands défis de la société. Et puis le 9h10, l’interview de Sonia Devillers, c’est un peu une rencontre, c’est un témoignage, c’est une tranche de vie. Donc ces trois interviews donnent beaucoup de complémentarité et sont très complémentaires et ouvrent un peu la fenêtre sur un monde un peu différent de ce qu’on vit au jour le jour, et notamment depuis le mois de janvier avec les manifestations et avec la réforme des retraites. Ceci étant dit, justement, depuis le mois de janvier, nous invitons, et c’est l’actualité qui le veut, plus de politiques, plus de syndicalistes, avec toujours le souci évidemment de respecter les temps du CSA. Vous savez que nous sommes soumis à ces temps de parole. C’est 1/3 pour le gouvernement, 2/3 pour les partis, dont le parti Renaissance qui est le parti majoritaire. Nous nous sommes tenus à cet équilibre de temps de parole et nous le faisons. Je vous disais tout à l’heure, sur 40 invités, nous avons eu douze majorité ou gouvernement et une dizaine d’opposants. Donc voilà, nous devons tenir compte aussi de ces critères là pour faire nos invitations et lancer nos invitations.
Emmanuelle Daviet : Alors allons un peu dans les coulisses de la rédaction qui sélectionne les invités ?
Catherine Nayl : Alors, il y a des réunions de programmation, une en début de semaine, une en fin de semaine avec l’équipe de la matinale évidemment, Léa Salamé, Nicolas Demorand, Sonia Devillers et toutes les personnes qui travaillent avec eux, qui sont chargées à la fois de réfléchir à l’idée des invités et puis de surtout de les appeler et de les faire venir. Et puis Adèle Van Reeth, qui est la patronne de France Inter, et moi-même, nous participons à ces réunions. En fait, c’est nous essayons de réfléchir ensemble à ce qui sera le mieux. Bien sûr, il faut avoir la personne adéquate au bon moment, faire surgir des informations, mais aussi, encore une fois, avoir des séquences complémentaires au sein de notre matinale.
Emmanuelle Daviet : Une auditrice demande : « Est’ce que certaines personnalités demandent à être invitée sur votre antenne « ?
Catherine Nayl : Il peut effectivement y avoir des gens qui, parce qu’ils ont une actualité politique, parce qu’eux ils ont des informations à nous faire parvenir, parce qu’ils sont dans l’activité culturelle et dans l’information culturelle et qu’ils ont un livre, qu’ils ont un film… Après, je dirais que c’est assez normal et c’est le fruit de réflexions que l’on peut avoir dans ces réunions de programmation, qui décide réellement de si oui ou non ils seront les invités de cette matinale.
Emmanuelle Daviet : Il y a aussi l’envie chez les auditeurs d’entendre des voix nouvelles, des experts ou bien des témoins de la société civile. Et l’un des enjeux importants, c’est le taux de présence à l’antenne des femmes invitées. Dans un rapport publié au début du mois, l’ARCOM, le régulateur des médias, souligne que les femmes ont été un peu plus présentes à la télévision ou à la radio en 2022, mais elles ont continué à disposer d’un temps de parole bien moindre. Alors, on peut rappeler quand même que les femmes représentent 52 % de la population française et l’ARCOM estime qu’elles doivent être représentées avec un temps égalitaire. Qu’en est-il dans la matinale ? Et plus globalement, est-ce qu’inviter des femmes, c’est une difficulté à laquelle vous êtes confrontés ?
Catherine Nayl : Alors un Nicolas Demorand qui est dans ce studio ne me démentira pas. Inviter des femmes est une forme d’obsession chez moi. Et quand nous faisons des 8h20 consacrés à des plateaux sur la société civile, effectivement, c’est un impératif d’avoir une experte ou d’avoir un témoin qui qui participe à ces plateaux. Parce que je pense qu’on ne peut pas faire sans, tout simplement. Donc oui, ça ne veut pas dire pour autant que c’est facile. Vous prenez l’exemple de ce début d’année où nous sommes évidemment sans doute sur une surreprésentation des politiques et des syndicalistes. Comment vous dire ? Il y a encore trop peu de femmes politiques et des syndicalistes, alors ça va changer puisque Sophie Binet va maintenant représenter la CGT. Mais jusqu’alors, nous n’avions que des hommes syndicalistes.