Le traitement éditorial de la mort d’Elizabeth II, la disparition de deux émissions, le nouveau format de la matinale, les rediffusions à l’antenne… Pour répondre aux auditeurs, Adèle Van Reeth, directrice de France Inter, est au micro d’Emmanuelle Daviet.
Emmanuelle Daviet : La mort de la reine d’Angleterre, la disparition de deux émissions, « Une heure en séries » et « Le temps d’un bivouac », le nouveau format de cette matinale, les rediffusions à l’antenne. Voilà quelques-uns des thèmes que l’on va évoquer, qui ont été abordés dans les milliers de messages reçus en cette rentrée. Evidemment, vous le savez, les auditeurs de France Inter sont exigeants. Ils aiment leur radio, ils ont beaucoup écrit en ce mois de septembre, notamment pour exprimer soit du mécontentement, soit de la frustration. Et on commence tout de suite par ce qui a généré le plus de courrier ce mois ci : le traitement éditorial de la mort d’Elisabeth II.
Nous avons reçu des centaines de messages d’auditeurs sur la couverture journalistique de la mort d’Elizabeth II, tous de la même teneur. Je vous lis quelques extraits. « Je suis scandalisé par la couverture de France Inter. Cela dure depuis dix jours, date de son décès. Le paroxysme a lieu avec vos éditions spéciales. Nous sommes en France et nous ne sommes pas concernés. Dépenser l’argent du service public pour cela, ce n’est pas normal, c’est indécent, hallucinant ! Le procès en déconnexion qui vous est fait me semble extrêmement justifié. »
Adèle Van Reeth, que répondez vous aux auditeurs ?
Adèle Van Reeth : Déjà, merci de me donner l’occasion de leur répondre et merci Emmanuelle Daviet de proposer ce rendez vous. Les auditeurs ont la parole et peuvent exprimer ce qu’ils ressentent, ce qu’ils pensent de l’antenne. C’est extrêmement précieux et donc je vous en suis très reconnaissante. Alors évidemment, vous pensez bien qu’on s’est posé la question au moment où la reine est morte : comment traiter son décès, comment l’inscrire, comment l’analyser ? Et en fait, le constat a été très rapidement établi et partagé je dois dire par l’ensemble, je crois, de la rédaction et des programmes qui ont décidé de concert, de proposer des éditions spéciales. Le décalage entre la réaction des auditeurs et l’importance de l’événement venait sans doute du fait qu’on se disait finalement la reine on savait qu’elle allait mourir. Ce n’est pas un scandale, ce n’est pas comme un attentat qui mérite qu’on bouleverse toute la programmation. En revanche, je crois que ce qui s’est passé là, c’est autre chose que le décès d’une souveraine. C’est une page de l’histoire qui s’est tournée et notre mission sur France Inter et en tant que service public, c’est d’enregistrer ce présent pour justement faire en sorte que l’histoire puisse s’écrire aussi, pour que l’histoire de demain puisse continuer à s’écrire. Donc on avait un rôle et une mission à jouer. Il aurait été impensable de ne pas proposer le traitement que nous avons fait de la mort de la reine d’Angleterre.
Emmanuelle Daviet : On poursuit avec la suppression de deux émissions qui suscitent beaucoup de courriers : l’arrêt d’Une heure en série de Xavier Leherpeur et Le temps d’un bivouac de Daniel Fiévet. « Impossible de comprendre pourquoi Un heure en série a brutalement disparu des ondes », dit un auditeur. Et pour le temps d’un bivouac, ils sont nombreux à regretter ce grand moment d’évasion qu’ils écoutaient le samedi après midi. Adèle Van Reeth, quelle explication peut on apporter aux auditeurs ?
Adèle Van Reeth : C’est vrai que l’arrêt d’une émission a toujours quelque chose d’assez violent pour les auditeurs, parce qu’on crée un rapport tellement intime avec les émissions qu’on écoute, que parfois on a l’impression que c’est comme une partie de nous-même qui s’en va. Donc je comprends ces réactions là. Je voudrais préciser que l’arrêt de l’émission « Une heure série » ne signifie pas que les séries n’ont pas leur place sur la chaîne. Au contraire d’ailleurs. Éditorialement, les séries sont très présentes sur la chaîne. Vous venez d’entendre Xavier Leherpeur qui, tous les vendredis matins, vous propose sa chronique autour des séries. On les retrouve dans de nombreux rendez-vous de la chaîne. On les entend dans « la bande originale », dans « C’est encore nous ». Nous sommes partenaires de Séries Mania, le festival de séries qui se tient au printemps à Lille. Donc voilà tout de même à l’inverse, je pense que les séries ont une telle place aujourd’hui qu’il s’agit de les accueillir comme on accueille le cinéma, comme on accueille la littérature. Mon vœu, mon rêve, ce serait qu’un jour même, elles aient leur place dans le masque et la plume. C’est pour vous dire. Ce n’est pas non plus un geste contre la critique qui a été initié. Quant au Temps d’un bivouac, sachez que Daniel Fiévet, qui est très apprécié des auditeurs et de l’antenne et que nous aimons beaucoup, va vous proposer un nouveau rendez-vous qui se passera en podcast autour des naufragés. C’est absolument passionnant. Il va vous raconter les naufrages les plus célèbres et avec à la fois le sens du détail, du suspense et de la profondeur de champ qu’il est capable d’apporter.
Emmanuelle Daviet : À partir de quand ?
Adèle Van Reeth : on les trouvera courant 2023. Puis vous l’entendrez sur la chaîne l’été prochain.
Emmanuelle Daviet : D’accord, parfait. Autre sujet d’interrogation en cette rentrée le changement de forme de cette matinale allongée jusqu’à 9 h 30. Des auditeurs un peu perdus, très respectueux du travail de Sonia Devillers. Ils saluent d’ailleurs régulièrement son professionnalisme. Mais ils ont du mal à trouver leurs marques dans cette nouvelle formule proposée par la direction. Vous avez d’ailleurs fait récemment des modifications. Pour quelles raisons ?
Adèle Van Reeth : Eh bien justement pour les raisons que les auditeurs ont bien identifié. Vous savez, une grille d’antenne n’est jamais complètement fixée. C’est comme un organisme vivant qui a besoin parfois d’un médecin pour venir ausculter le bon fonctionnement de chaque membre et de chaque partie. Et qui, quand on commence fin août et que la grille est lancée, surtout quand il y a des nouvelles formules, a besoin d’ajustements d’auscultation très proche pour essayer de faire en sorte que la meilleure mécanique soit trouvée. Quand nous avons décidé d’élargir la matinale et de passer du 7/9 au 7/9h30, l’idée était de continuer à rester dans l’actualité et de la faire entendre différemment grâce à Sonia Devillers et à ses talents d’intervieweuse que vous connaissez sur la chaîne et qui sont régulièrement loués. Alors voilà. On a essayé de trouver la meilleure formule et je crois que nous y sommes parvenus puisque vous l’aurez remarqué désormais, l’invité de Sonia Devillers qui arrive à 9h10 au fond, c’est un rendez-vous supplémentaire dans la matinale. Il y a l’interview de 7h50 avec Léa Salamé, de 8h20 avec Léa Salamé, Nicolas Demorand et 9h10 avec Sonia Devillers. Il me semble que c’est lisible, que ça fonctionne et on en est vraiment très contents.
Emmanuelle Daviet : Dans votre réponse Adèle Van Reeth, je retiens un élément que je trouve tout à fait essentiel de souligner c’est l’influence que peuvent avoir les messages des auditeurs, des auditeurs qui parfois, lorsqu’ils m’écrivent, me disent finalement ça ne sert à rien puisque vous ne prenez pas en compte nos réflexions. Vous nous dites précisément l’inverse. Finalement, il y aurait peut être une co-construction de la grille entre les réflexions collectives que vous avez au sein de la rédaction et des programmes. Et puis également ce que font entendre les auditeurs à travers les messages qu’ils m’adressent.
Adèle Van Reeth : Sans les auditeurs, nous n’existons pas. Donc évidemment que nous prenons en compte les remarques, les questions et les réflexions des auditeurs. Il y a deux choses : il y a un cap éditorial à tenir et ça, c’est le rôle de l’équipe de direction de cette chaîne. Et il y a le ressenti et l’écoute des auditeurs qui est extrêmement important que nous prenons en compte, dès que nous faisons évoluer cette grille, évidemment.
Emmanuelle Daviet : Adèle Van Reeth, la directrice de France Inter, répond aux questions des auditeurs jusqu’à 9 h 30. Dans la suite de ce rendez vous, nous parlerons de l’émission que vous avez lancée en cette rentrée L’inconscient avec le docteur Nasio. Puis nous évoquerons les rediffusions sur France Inter.
Des chanteurs mettent en paroles et en musique ce que d’autres confient sur un divan, en psychanalyse ou au micro du docteur Nasio dans l’inconscient. Chaque dimanche à 15 h.
…Extrait de la dernière émission du docteur Nasio, L’inconscient consacrée à la mélancolie et des auditeurs qui s’interrogent depuis le lancement de cette émission. Voici un message « Vous mettez à l’honneur la psychanalyse et c’est un vrai problème. Il s’agit de croyances et non de connaissances « . Un point de vue largement partagé dans le courrier, comme ce message d’une auditrice. « La psychanalyse, bien qu’elle ait pignon sur rue en France, n’a pas de forte validité scientifique ». Que vous inspirent ces réflexions Adèle Van Reeth ?
Adèle Van Reeth : Elles m’encouragent et elles valident le fait qu’on ait proposé une émission sur l’antenne de France Inter qui parle de psychanalyse et de psychiatrie et qui s’intéresse au cas des patients reçus par le docteur Nasio. La psychanalyse a toujours été transgressive depuis sa naissance, et le fait qu’elle n’ait pas de validité scientifique n’est pas une objection à mon sens, puisque finalement on parle aussi de poésie qui n’a pas de validée scientifique, on parlait des séries voilà. La science n’est pas un critère d’évaluation de la qualité d’un propos quand celui-ci n’est pas proprement scientifique. Je précise en plus que le docteur Nasio est psychanalyste et psychiatre, donc il a fait des études de médecine puisque je sais que sa légitimité a pu être questionnée. En fait, ce rendez-vous est vraiment un rendez vous qui s’adresse aux auditeurs d’une façon différente et qui leur donne la parole puisque l’émission existe d’abord en podcast. Le docteur Nasio raconte le cas d’un patient qu’il a reçu sur son divan pendant une vingtaine de minutes et l’auditeur qui écoute le podcast est ensuite invité à réagir pour poser ses questions par note vocale. Le principe est vraiment simple. Sur l’application France Inter ou même Radio France, vous pouvez poser votre question. Et au moment de la diffusion de l’émission, le dimanche suivant, le docteur Nasio vous répond. Il répond aux questions. Donc c’est vraiment un podcast interactif. Donc, j’invite les auditeurs qui s’interrogent sur l’existence même de cette émission sur cette chaîne à poser leurs questions directement au docteur Nasio, vous verrez la façon qu’aura lui même d’y répondre. Mais c’est un rendez vous auquel je tiens, parce que je crois qu’il apporte aux auditeurs et qu’il répond à une demande. Vous vous souvenez de la série En thérapie, qui est sortie l’an dernier, qui a connu un succès incroyable et qui a vraiment montré que, après le confinement dans une situation où l’ensemble de la société était plutôt dans une sorte de fragilité difficilement nommable, eh bien, il y avait une envie et un besoin d’interroger les recoins plus intimes de l’âme. Et c’est exactement le sens de ce rendez vous extrêmement intime, parfois perturbant. Parce que vous avez entendu l’extrait ? Le docteur Nasio nomme les choses il n’y a pas de tabou ni de déni, pour s’adresser à une partie de l’auditeur qui n’est pas généralement sollicité quand il écoute la radio, donc je comprends que ça puisse déranger. Je suis très heureuse que ce rendez-vous existe et j’encourage chacun à essayer d’interagir directement avec l’épisode qu’il aura l’aura écoutée pour que le débat puisse continuer à ce sujet.
Emmanuelle Daviet : Alors, autre question des auditeurs à ce sujet pourquoi votre choix s’est porté sur le docteur Nasio hormis le fait qu’il soit psychiatre et psychanalyste ?
Adèle Van Reeth : C’est déjà énorme. C’est à dire que je souhaitais que la personne qui puisse animer ce rendez vous ait les compétences, la légitimité est une chose qui m’était très importante, l’expérience le docteur Nasio exerce depuis 50 ans. Il a écrit de nombreux ouvrages sur cette pratique, mais aussi des ouvrages théoriques sur Freud, sur Lacan. C’est encore une fois sur des cas précis de psychanalyse, et donc je savais qu’il avait matière à raconter parce que c’est une émission qui raconte, il y a un récit de manière à créer une identification entre l’auditeur et le patient. Et puis, précisément, pour les raisons que vous avez évoqué au début, qui ont été soulevées par les auditeurs, comme il y a un scepticisme à l’égard de la pratique même de la psychanalyse. Je voulais que sa légitimité soit questionnée. Et de fait, le docteur Nasio a cette légitimité.
Emmanuelle Daviet : On poursuit avec les rediffusions sur l’antenne, pas mal de messages. En voici un. « Je vous fais part de ma déception sur la programmation de France Inter qui devient en particulier le week-end une radio de rediffusion. Ce dimanche après midi, rediffusion du Grand Atelier d’Anne Grinberg. Nous avons aussi le samedi Fabrice Drouelle avec Affaires sensibles, entendu deux ou trois fois, ainsi que la nouvelle émission Zoom zoom zen et ses meilleurs moments. Sans parler du programme du soir après 22 h, Quand les dieux rôdaient sur la terre déjà entendue dans la journée ». Et puis une autre auditrice s’interroge « Pourquoi tant de rediffusions sur France Inter ? N’y a t il plus de moyens pour la création ?«
Adèle Van Reeth : Alors je comprends que la question se pose. Je n’irai pas jusqu’à dire que le week-end, c’est une radio de rediffusion, parce qu’on a quand même mis en place les rendez-vous qui montrent que ce n’est pas le cas et qu’on propose la création de nouvelles émissions, on vient de parler de l’émission « L’inconscient ». On peut aussi parler de l’émission de mythologie qui est diffusée le samedi matin à 11h, de l’émission de sport qui a été mise en place le dimanche à 18h, de l’émission littéraire « à La Source » le dimanche à 21h… Donc la création d’émissions continue et même la création tout court est soutenue à travers ces émissions. Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que depuis quelques années, les modes d’écoute de la radio ont changé et donc les modes de production d’émissions doivent s’adapter à ces nouvelles écoutes. En clair, ça ne vous aura pas échappé qu’en plus de la grille de flux de l’antenne que vous écoutez tous les jours sur votre radio ou sur votre téléphone, vient s’ajouter une offre de podcasts dont nous sommes très fiers aussi. France Inter a été pionnière en matière de podcasts, qui s’adresse aux enfants notamment.
Emmanuelle Daviet : D’ailleurs, j’en profite pour dire que ceux de Philippe Collin sont encensés par les auditeurs.
Adèle Van Reeth : ça c’est le registre historique. Effectivement, ça ne s’adresse pas en particulier à la jeunesse. Mais typiquement, c’est le travail de Philippe Collin sur Poutine, Cléopâtre, Molière, le Maréchal Pétain ont vraiment été acclamées, vous l’avez dit, par les auditeurs et c’est vrai et à juste titre. Pour produire ces podcasts, on doit forcément dégager la possibilité, les moyens techniques, financiers de pouvoir les produire. Et il faut bien s’imaginer que là, il y a comme une grille parallèle de podcasts sur France Inter qui équivaut à une huitième journée en réalité des programmes. Donc il faut les sept jours dans la semaine mais vous en produisez huit exactement. Donc pour produire, eh bien il faut les personnes nécessaires, le temps nécessaire. Et j’ajoute, pour terminer, que les rediffusions qu’on vous propose sont des rediffusions d’émissions qui sont d’une telle qualité, qui ont, qui correspondent à une telle exigence, justement de la part de ceux qui les produisent, que ce n’est pas dégrader l’antenne que de lui donner à entendre une deuxième fois.
Emmanuelle Daviet : Ce qui a suscité le plus de courriels cette semaine, c’est l’interview d’Elisabeth Badinter. Dans Le Grand Entretien, mercredi, la philosophe a appelé les femmes victimes de viol à je cite « prendre leurs responsabilités et à déposer plainte avant la prescription des faits », estimant que dix ans, c’est pas si mal. Ces propos ont indigné une très large majorité de auditrices et d’auditeurs, et d’autres, minoritaires, ont salué son courage et son bon sens au sujet du féminisme. Adèle Van Reeth, quelle analyse faites vous de cette séquence et des réactions des auditeurs ?
Adèle Van Reeth : Le rôle de France Inter et de la matinale en particulier, sans doute, est de donner à entendre les éléments qui constituent ce qu’on appelle le débat public. Elisabeth Badinter est venue intervenir pour donner sa lecture de ce qui se passe en Iran, de ce qui se passe dans d’autres pays et une sorte d’état des lieux du féminisme aujourd’hui. Elle a exprimé son point de vue, il a suscité énormément d’interrogations. C’est un point de vue. Vous avez entendu peut être ce matin la chronique d’Anne-Cécile Mailfert qui est venue donner le sien et qui a critiqué les propos d’Elisabeth Badinter. Vous entendrez la semaine prochaine d’autres voix qui viendront parler, selon leur point de vue, de ce même enjeu qui est absolument décisif. Notre rôle est de relayer le débat public et tout ce qui va en ce sens conforte notre mission de service public. Les paroles sont les bienvenues tant qu’elles sont argumentées, qu’elles suscitent des désaccords est sain, que ces désaccords puissent s’exprimer, est essentiel au bon fonctionnement de la démocratie, au bon fonctionnement même du service public. Je me réjouis plutôt que le débat ait été lancé et que nous soyons dans un endroit ou nous pouvons donner la parole à d’autres points de vue et des points de vue qui sont en désaccord qui permettent d’alimenter cette réflexion.