Vous prenez le petit déjeuner avec l’une et vous préparez votre dîner avec l’autre. La première vous réveille avec les nouvelles du monde et annonce l’actualité qui va rythmer la journée. La seconde accompagne les dernières nouvelles du jour. Florence Paracuellos pilote le journal de 8h sur France Inter, le journal le plus écouté en radio avec près de 2,3 millions d’auditeurs. Hélène Fily est aux manettes du 19h. Deux grands rendez-vous d’information pour lesquels travaille toute la rédaction de France Inter, en préparant des reportages, des décryptages, des analyses qui touchent tous les domaines de l’information, la politique, l’économie, le social, le judiciaire, la santé, l’éducation, la culture…
Comment faire le tri entre toutes les informations pour vous délivrer un journal complet qui fait la synthèse de l’actualité ? Quelles sont les contraintes de cet exercice journalistique très millimétré ? Le rendez-vous de la médiatrice vous propose ce matin de découvrir les coulisses du 8h et du 19h de France Inter.

Emmanuelle Daviet : Avant d’aborder les questions de fond, évoquons un peu votre quotidien Florence Paracuellos, à quelle heure sonne le réveil ?

Florence Paracuellos : Alors moi, j’ai une vie qui fait vraiment rêver puisque mon réveil sonne à 1 h 45 la nuit du lundi au vendredi.

Emmanuelle Daviet : Et vous arrivez à l’heure à la radio ?

Florence Paracuello : J’arrive vers 2h30 à la radio.

Emmanuelle Daviet : Et vous, Hélène Fily ?

Hélène Fily : Beaucoup plus tard, évidemment, puisque moi, ma journée commence en milieu de matinée, la plupart du temps.

Emmanuelle Daviet : Une question que se posent les auditeurs, pourquoi faut-il autant de temps pour préparer un journal ? Florence Paracuellos très concrètement, quelles sont toutes les étapes qui précèdent votre entrée en studio ? Evidemment, pour présenter le 8h, mais auparavant, vous présentez également le 6 h 30 ?

Florence Paracuellos : Tout ça, ça prend du temps parce qu’il faut savoir de quoi on parle. Donc moi, quand j’arrive à 2h30 du matin, mais c’est pareil pour Hélène évidemment, je commence par remonter le fil des dépêches AFP qui est l’agence qui nous fournit énormément d’informations pour voir ce qui s’est passé dans la nuit. Je lis la presse qui nous arrive assez tôt le matin. On écoute avec mes camarades Anaïs Feuga, Alexis Morel, tous les éléments qui ont été fabriqués pour la matinale la veille. Donc les reportages, les analyses, les décryptages, les interviews. On écoute tout ça. C’est l’équivalent d’une quarantaine d’éléments d’1minute, 1 minute 30. Et ensuite, on se réunit avec notre rédacteur en chef, Mickaël Thébault, à 4h du matin pour la conférence de rédaction pendant laquelle on va décider qui fait quoi, qui ouvre avec quoi, c’est à dire qui met quoi comme premier sujet dans son journal. On va faire en sorte de ne pas se répéter entre nous, de ne pas donner exactement les mêmes informations, de ne pas traiter les mêmes angles pour que l’auditeur qui écoute sur la longueur n’ai pas l’impression d’entendre tout le temps la même chose. Tout ça, ça prend du temps. Et ensuite, une fois qu’on a décidé tout ça, il faut écrire les journaux, donc écrire le 6 h 30 et puis ensuite écrire le journal de 8 h.

Emmanuelle Daviet : Donc à la conférence de rédaction, vous n’êtes que quatre ?

Florence Paracuellos : La conférence de rédaction on est que quatre, c’est la seule de la journée ou on est si peu, et bien réveillés !

Emmanuelle Daviet : Tout à fait différente : la conférence de rédaction du matin…

Hélène Fily : Alors oui, celles de la journée. Elles sont très différentes. Il y a d’abord celle du matin où il y a un « débrief » de la matinale en tout début. Et là, autour de la grande table de la conférence de rédaction, vous avez les présentateurs, le directeur de la rédaction, le chef des infos et tous les chefs de services, les services politique, étranger, culture, tous les services de la rédaction. Un représentant, chef de service qui vient pour (on dit ça comme ça, c’est le jargon) « vendre » ses sujets, ses titres de l’actu, qu’est-ce qui va se passer dans mon domaine aujourd’hui, il y a un grand tour qui est fait et c’est sur cette base ensuite qu’on va décider des sujets qu’on traite. Ça, c’est la conférence de rédaction de 9 h et puis on a la même à 15 h pour préparer les journaux du soir.

Emmanuelle Daviet : Très concrètement, pour que les auditeurs comprennent le cheminement d’une information : dans chaque service, les journalistes disent à leur chef de service : voici les sujets que l’on peut traiter. Et chaque chef de service lors de la conférence de rédaction va les présenter. Il y a effectivement ce tour de table et ce qui est important également de noter, c’est votre marge de liberté. Justement, quelle marge de liberté, Florence Paracuellos, avez-vous un auditeur précisément demande si votre journal est relu par quelqu’un avant que vous le présentiez ?

Florence Paracuellos : Quand le rédacteur en chef a le temps, il jette un œil. Mais pour voir si on ne dit pas de bêtises, si on ne se trompe pas dans un chiffre ou dans un nom. Mais la grande liberté que nous avons, c’est que nous écrivons nos journaux de bout en bout et que, comme on a la confiance de notre direction, on a cette liberté d’écriture totale. Personne ne nous dit tu dois dire ça ou tu ne dois pas dire ça. Personne n’écrit ce que nous on doit dire à l’antenne.

Hélène Fily : On ne décide pas pour nous de la hiérarchie de nos journaux. On discute collectivement du sujet par lequel on va commencer, démarrer le journal. Mais ensuite, à nous de tricoter comme on le sent, le reste du journal. Mais c’est vrai que le coup d’œil du rédacteur en chef Estelle Schmitt est là pour le faire, pour avoir ce même rôle dans la journée. Il est important aussi parce que c’est une équipe, Florence le rappelait avec Anaïs Feuga et Alexis Morel le matin avec Sébastien Laugénie le soir, on est deux, il y a deux journaux du soir et donc c’est aussi important parfois qu’on ne dise pas tous les deux exactement les mêmes infos. Il y a des informations qu’on n’est pas obligé de redonner deux fois de suite dans deux journaux différents. Et ça, Estelle Schmitt peut nous le souligner.

Emmanuelle Daviet : Alors revenons à la conférence de rédaction. Avez-vous le droit d’imposer un sujet, Hélène Fily ?

Hélène Fily : Mais moi, je n’ai pas l’impression d’imposer quoi que ce soit, en revanche c’est notre rôle d’être vigilant, de mettre un sujet sur la table s’il n’a pas été évoqué précédemment dans le tour de table des chefs de service et après d’en discuter. En fait, ce n’est pas forcément un sujet que je vais imposer, mais que je vais mettre dans le débat, mettre sur la table pour qu’on échange dessus, qu’on décide ensuite de le traiter ou pas.

Emmanuelle Daviet : Est-ce qu’il arrive que le rédacteur en chef ou bien le directeur de la rédaction qui anime la conférence de rédaction ne soit pas d’accord avec l’un de vos choix ? Il y a une discussion ?

Hélène Fily : ça peut arriver, mais la discussion nous amène toujours finalement à trouver un terrain d’entente, un accord.

Florence Paracuellos : On discute, on argumente et on tente de se convaincre. Et puis parfois, c’est l’un qui l’emporte, parfois c’est l’autre.

Emmanuelle Daviet : Un auditeur nous écrit « Je ne comprends pas comment les journalistes qui nous parlent le matin peuvent être déjà au courant de ce qui va se dérouler dans la journée, de connaître les temps forts. »

Florence Paracuellos : Alors ça, c’est ce qu’on appelle les prévisions. C’est à dire qu’effectivement, il y a un certain nombre d’événements qu’on connaît à l’avance. On ne sait pas comment ils vont se dérouler. Mais on sait que Bruno Le Maire va recevoir cet après-midi les partenaires sociaux. On sait que un tel va faire une visite que Joe Biden doit parler de tels sujets. Ça, c’est des choses qu’on sait de fait parce que c’est dans les agendas, dans les agendas politiques, dans les agendas syndicaux, dans les agendas ministériels. Donc, à partir de là, nous, on se dit, on traitera le sujet quand il aura lieu. Mais qu’est-ce qu’on peut apporter comme éclairage à l’auditeur, comme reportage ? Est-ce qu’on peut donner la parole aux gens en fait, sur ce sujet qui va être peut être traité de façon institutionnelle plus tard, mais que nous, on peut traiter en amont avec l’angle qui nous convient.

Hélène Fily : Un exemple, ça peut être un jour où Bruno Le Maire, tu donnais cet exemple là Florence, reçoit les organisations patronales sur le pouvoir d’achat. Ça a été le cas cette semaine. Le matin en matinale, vous pouvez avoir un sujet d’illustration sur la problématique auprès des gens…

Florence Paracuellos : …Un reportage dans une entreprise, avec un patron, avec des salariés. Nous, ça nous permet d’illustrer et de faire un sujet en amont sans qu’il soit institutionnel alors, qu’il peut l’être un peu plus tard, on va entendre les syndicats, les patrons et le ministre.

Emmanuelle Daviet : Et le soir, vous faites le compte rendu de la rencontre, éventuellement.
Dans le traitement de l’information, quelle est la différence entre le matin et le soir ? C’est d’autant plus intéressant cette question, Florence, que vous avez à une époque présenté le 18 h et vous, Hélène, à une époque, le 7h.

Florence Paracuellos : Je dirais que c’est très différent. Je dirais Hélène que le soir, toi, tu es plutôt dans une information de flux. Il est en train de se passer quelque chose ou il vient de se passer quelque chose. Ça bouge, on réécrit le soir. Les choses changent en fait jusqu’à la dernière minute, alors que nous, le matin, c’est plus rare. Parce qu’il se passe, il faut le reconnaître, pas grand chose au milieu de la nuit, il se passe des choses aux Etats-Unis, effectivement, on peut avoir une actualité à l’étranger. Donc nous, on est là pour mettre en valeur le matin des sujets qui ont été pensés la veille par la rédaction et donc pour mettre en valeur le travail et les choix de la rédaction.

Emmanuelle Daviet : Alors effectivement, parfois tout est calé et il y a quelques ajustements qui s’opèrent, le matin en conférence de rédaction. Mais il arrive malgré tout qu’un événement historique survienne dans la nuit et bouscule absolument tout ce qui était prévu dans la matinale de France Inter.
Racontez nous Florence Paracuellos, comment s’est passée la préparation de cette matinale du 24 février dernier ?

Florence Paracuellos : Ce qu’il faut dire, c’est qu’en arrivant vers 2h et demie du matin, on sait, grâce à nos envoyés spéciaux sur le terrain en Ukraine, qu’il va se passer quelque chose, que Vladimir Poutine va sans doute lancer son offensive. Parce que, à ce moment là, il y a des rumeurs très, très persistantes sur place. On se met dans cet état d’esprit là. Et puis, juste avant 4 h, lors de notre conférence de rédaction, apparaissent les premiers « urgents » de l’AFP. Des agences de presse qui nous disent Vladimir Poutine prend la parole et donc à ce moment là, Vladimir Poutine prend la parole. Il annonce ce que nous venons d’entendre et là, nous, ce qui se passe, c’est que nous, on met notre notre force de frappe journalistique au service de cette information. Parce que à ce moment-là, on a plusieurs envoyés spéciaux en Ukraine, on a Omar Ouahmane , on a Thibaut Lefèvre, on a Eric Biegala, on en a d’autres. On a toute la rédaction internationale qui est là sur le pont. Donc ça a été pour nous une grande satisfaction que de pouvoir raconter cet événement majeur avec toute la richesse d’une rédaction sur le terrain ou ici à Paris, en mesure déjà de nous donner les grands enjeux, nous expliquer ce qui se passe et de nous donner les enjeux et les perspectives de ce qui va se passer et de raconter l’histoire au moment où elle se fait.

Emmanuelle Daviet : Pour une toute autre actualité. Hélène Fily, vous avez également été confrontée à ce cas de figure tout récemment, le 16 mai dernier, 40 minutes avant le début de votre journal, l’Elysée annonce qu’Elisabeth Borne est nommée Première ministre… Tout le 19 h que vous aviez préparé, qu’est-il devenu ?

Hélène Fily : Une bonne partie jeté à la poubelle, je dois dire.

Emmanuelle Daviet : Une bonne partie de votre journal jeté à la poubelle ? Autant dire qu’il ne faut pas être d’une nature stressée lorsque tout bouge quelques minutes avant l’antenne. Comment ça s’est passé ?

Hélène Fily : On le savait un petit peu parce qu’on savait en milieu d’après-midi que le nom de la Première ministre serait dévoilé en fin de journée. Donc on s’était un petit peu préparé. Effectivement, j’ai refait une bonne partie de mon journal 40 minutes avant parce que tout s’est précipité un peu juste avant le 19h. J’étais prête à donner le nom de la Première ministre, au départ, autour de 17h30, on nous avait dit, 17h30 première annonce, on saura qui sera l’heureuse élue et j’étais même prête à aller faire un petit flash spécial en studio au moment de l’annonce pour que l’auditeur en soit informé de manière rapide, mais en temps réel, en fin de journée. Il se trouve que, comme souvent, l’agenda prend du retard et que finalement la passation de pouvoir a eu lieu à 19 h pétantes, c’est à dire qu’Elisabeth Borne a fait son entrée dans la cour de Matignon au moment ou je disais « bonsoir » aux auditeurs de France Inter. Et là, on peut compter, nous, en tant que présentateurs, sur une équipe de reporters tout terrain, parce que je n’ai eu qu’à donner la parole au journaliste du service politique qui était là encore, prépositionné partout, au spécialiste environnement Sandy Dauphin qui a déboulé dans le studio, comme Fabien Cazeaux, chef du service Economie et les services eux mêmes, les spécialistes des grandes questions qui découlaient de cette nomination et étaient prêts à faire des réactions téléphoniques qui ont permis d’enrichir le journal.

Emmanuelle Daviet : Je vous soumets un cas d’école. Une énorme info tombe dix minutes avant votre journal. Quel principe de vérification est mis en œuvre et qui valide si vous pouvez donner ou non cette information à l’antenne, Florence Paracuellos ?

Florence Paracuellos : Ça arrive qu’il y ait des informations qui tombent très peu de temps avant le journal et qu’on ait besoin de les vérifier avant de les donner. Dans ces cas là, c’est le rédacteur en chef qui prend son téléphone, qui appelle tout de suite le journaliste ou le service concerné par l’information qui lui va avoir des contacts et qui va pouvoir vérifier l’information, passer des coups de fil pour que nous la donnions à l’antenne.

Hélène Fily : et on ne la donne que quand elle est vérifiée effectivement par la rédaction.

Emmanuelle Daviet : Quelles qualités sont requises pour présenter un journal ?

Florence Paracuellos : C’est une bonne question. J’imagine qu’il y a une qualité d’écriture. C’est une écriture radio.

Hélène Fily : Qui s’apprend, qui se travaille.

Emmanuelle Daviet : la spécificité d’une écriture radio ?

Florence Paracuellos : une écriture courte. On n’écrit pas en radio comme on écrit dans un article de presse écrite, évidemment. Il faut que ce soit soit imagé, il faut que ce soit court, il faut que ce soit rythmé, efficace.

Emmanuelle Daviet : Un certain nombre de personnes pensent qu’en radio, ce que l’on dit au micro n’est pas écrit. Alors qu’évidemment, dans vos journaux, tout est absolument millimétré.

Florence Paracuellos : oui, parce qu’on n’est pas en train de discuter. On n’est pas dans un grand débat, dans un talk show. Nous, on doit donner des informations précises avec des chiffres, faire attention aux mots qu’on emploie. Ça, c’est l’essentiel de notre travail, c’est choisir les mots. Donc évidemment, on écrit.

Emmanuelle Daviet : vos journaux sont quand même assez longs. Comment vous maintenez le rythme et l’attention des auditeurs à la fois ?

Florence Paracuellos : Un journal, c’est comme un menu gastronomique avec plusieurs entrées, des plats de résistance, des mignardises, des desserts. Sincèrement, après, c’est vrai que c’est notre tambouille technique.

Emmanuelle Daviet : C’est ce qui vous distingue de vos confrères ?

Hélène Fily : Par la longueur des journaux, peut-être. On a encore la chance dans cette radio d’avoir des journaux assez longs et ça permet une richesse, une variété des sujets, des angles qu’on peut développer. Et ça, on peut s’en féliciter.

Emmanuelle Daviet : Idéalement, par quel sujet termine-t-on un journal ?

Florence Paracuellos : Là non plus, il n’y a pas de règles je trouve. Je trouve que c’est un dessert quand même une fin fr journal, on a envie de donner du sourire aux auditeurs. Donc donc c’est soit un sujet qui va nous faire rire. La culture, beaucoup quand même. C’est vrai qu’on la culture a une place très importante sur France Inter, donc là ce n’est pas toujours absolument riant parce que ce n’est pas le but. Mais enfin ça laisse une envie, ça laisse un désir, ça peut être du sport…

Hélène Fily : Et puis parfois, ça peut être une information qui marque aussi, je trouve. C’est vrai que c’est important d’avoir un sourire, quand même une forme de légèreté pour terminer un journal. Mais ça peut aussi être une information qui a marqué et qui reste en mémoire de l’auditeur. La culture, d’ailleurs elle n’est pas forcément non plus cantonnée aux fins de canards. Vous nous demandiez tout à l’heure comment on garde l’attention de l’auditeur jusqu’au bout, comment on fait pour le retenir. Ça peut aussi être ça parfois casser les codes un sujet culture et parfois pas toujours comme disait Florence, il peut être plus haut dans notre hiérarchie de l’information, comme le sport d’ailleurs. L’économie du sport nous fait remonter aussi parfois des sujets sport bien plus haut dans un journal.