Emmanuelle Daviet, médiatrice de Radio France, soumet les questions des auditeurs à Marc Fauvelle, Directeur de l’information de France Inter et Yaël Goosz, le chef du service politique de France Inter. Au programme : le cancer de Kate Middleton, l’attentat à Moscou, les élections européennes…

Kate Middleton et l’annonce de son cancer

Emmanuelle Daviet : Les auditeurs ont été nombreux à réagir à l’ouverture du journal de 9h samedi, et tous les messages disent la même chose. En voici un : « Samedi, j’ai été surpris et choqué que le journal de 9h débute par l’annonce du cancer de la princesse de Galles, Kate Middleton. L’information concernant l’attentat de Moscou, qui a fait plus d’une centaine de morts, est venue en second. J’ai du mal à comprendre que la rédaction choisisse une telle Une au détriment d’un attentat terroriste sanglant. » Marc Fauvelle, comment expliquer cette hiérarchisation de l’information ?

Marc Fauvelle : D’abord, je comprends. Quand on allume sa radio de bon matin samedi à 9 h et qu’on entend qu’effectivement le premier titre c’est le cancer de Kate Middleton, on puisse se poser des questions, mais qu’est ce qui arrive à France Inter ? Pourquoi est-ce qu’ils ont décidé que c’est le premier titre du jour ? Mais ce qu’il faut voir aussi, c’est qu’une matinale, une radio, c’est un tout. En l’occurrence, cette ouverture elle arrivait, après un très long entretien avec deux spécialistes de la Russie et avec également Sylvain Tronchet qui est notre correspondant sur place à Moscou, on avait abordé absolument tous les thèmes liés à cet horrible attentat de Moscou : les revendications, la réaction plutôt la non réaction de Vladimir Poutine, les accusations contre l’Ukraine. L’attentat de Moscou c’était le deuxième élément de ce journal de 9h, avec un autre angle d’ailleurs, un papier sur la branche de l’Etat islamique qui a revendiqué cet acte. France Inter, c’est une radio qu’on écoute dans la durée. C’est notre force aussi. Et les auditeurs sont également sensibles au fait qu’on ne se répète pas, en tout cas qu’on essaye de ne pas se répéter. Samedi dernier, j’ai vérifié, évidemment, l’attentat en Russie a fait l’ouverture des journaux de 6h30, 7h, 8h, 10h, 13h, 18h et 19h. L’exception, c’était donc ce journal de 9h.

Emmanuelle Daviet : Un autre sujet d’incompréhension : le débat du 7/10, mardi sur les Britanniques et la Couronne, Extrait du message d’une auditrice « Je suis choquée par l’importance et la place que vous réservez à la famille royale d’Angleterre. Couronnement, maladie, vie privée. Cet aspect people ne vous va pas en ce moment, c’est même tout à fait déplacé. » Alors, au-delà de la famille royale britannique, l’aspect people des sujets traités après 9h est de plus en plus souvent évoqué par les auditeurs, notamment après l’invitation faite à Anouchka Delon. Des auditeurs estiment que cela ne correspond pas à ce qu’ils attendent de la chaîne. Marc Fauvelle, en tant que directeur de l’information, comment recevez-vous ces remarques ?

Marc Fauvelle : Il y a deux choses. D’abord, si vous permettez, sur le débat de 9h05 de mardi, on a choisi de ne pas le faire à chaud ce débat, d’avoir le recul nécessaire. Et ce n’était pas un débat sur le cancer de la princesse. Il n’y avait pas des invités spécialistes de santé, mais on était bien sur la monarchie. On a d’ailleurs entendu le petit lancement de Nicolas Demorand juste avant. Le thème de ce débat, c’était de savoir comment ce cancer de Kate, après celui de Charles, oblige la monarchie britannique à se réinventer. Vous savez, le fameux « Never complain, never explain », à ne jamais se plaindre, ne jamais expliquer. On voit bien qu’il n’existe plus aujourd’hui, à l’heure des réseaux sociaux, à l’heure des chaînes d’info. D’ailleurs, Kate en a fait l’expérience avec sa photo bidonnée, et ça pose des questions qui vont au delà : sur le rôle de la monarchie, sur son image dans l’opinion britannique et française aussi. Faut pas se boucher le nez, sur sa représentation. Sur le complotisme, on en a parlé beaucoup lors de ce débat, sur tout ce qu’il y a eu autour de ce cancer.
Sur la touche présumée people du 7/10 de France Inter. La matinale d’Inter, c’est 40 à 50 invités chaque semaine entre 7h et 10h, et le 9/10 tout particulièrement. C’est une tranche qui est ouverte sur la société : des intellectuels, des artistes, des éditorialistes, des découvertes. Ça ne veut pas dire qu’on parle de tout. Par exemple, une bagarre dans Danse avec les stars qui a pu faire la Une de certains de nos confrères, on n’en parle pas sur Inter. Sauf, tiens d’ailleurs, j’ajoute dans un billet très drôle de Charline Vanhoenacker. Mais en revanche, quand Anouchka Delon vient se confier à Léa Salamé, je crois que c’est un petit moment de radio. Parce que l’affaire Delon, ce n’est pas qu’une affaire privée, c’est aussi une situation que traverse beaucoup de familles qui peuvent se déchirer et que cette situation dit peut être quelque chose sein de notre société. Là aussi, c’est une question de mesure, d’équilibre. Il ne faut pas s’interdire des choses, mais on n’est pas devenu et on ne deviendra pas, je vous assure, une radio people.

Attentat de Moscou : Jordan Bardella diffusé dans le 13h de France Inter

Jérôme Cadet : Précision faite, nous avons parlé il y a quelques minutes de l’attentat de Moscou. Certains auditeurs vous ont écrit Emmanuelle, surpris d’avoir entendu le président du Rassemblement national Jordan Bardella s’exprimer samedi sur l’antenne dans le journal de 13h

Emmanuelle Daviet : Ils ne comprennent pas pourquoi ils n’ont pas entendu des réactions des différentes formations politiques ou de l’exécutif dans ce journal. Ils ont eu le sentiment qu’une tribune était offerte au Rassemblement national. Alors, Yaël Goosz, quelle a été la couverture éditoriale des réactions politiques françaises à la suite de l’attentat de Moscou ?

Yaël Goosz : D’abord une couverture internationale depuis Moscou. Il faut dire, dans ce genre d’événement, les réactions politiques franco françaises sont secondaires. Il se trouve que notre journaliste Elodie Forêt était en reportage à Belfort ce samedi-là pour suivre la campagne de la tête de liste RN et que Jordan Bardella, a été l’un des premiers à réagir au micro lors d’une déambulation qu’elle suivait sur le marché Fréry. C’est pour ça qu’on l’a entendu à 13h. Mais nous étions aussi ce samedi là à Blois, avec Gabriel Attal, invité du congrès du MoDem. Et lui aussi a réagi et exprimé sa compassion, sa solidarité envers le peuple russe. Le Premier ministre a parlé en fin de journée et France Inter l’a diffusé dans ses éditions du soir. Vous voyez, il n’y a pas de parti pris. Il y a plusieurs journaux dans une journée d’inter et l’équilibre se fait sur l’ensemble des éditions.

Les élections européennes

Jérôme Cadet : Ça, c’était pour la réponse à la réaction de Jordan Bardella. Mais de manière plus large, Emmanuelle, les élections européennes suscitent beaucoup de questions des auditeurs ?

Emmanuelle Daviet : Absolument. On commence avec ce qui suscite de la curiosité. Le 12 avril prochain, le débat avec deux têtes d’affiche Jordan Bardella, la président du RN et Raphaël Glucksmann pour le PS et Place publique. Question d’auditeurs « Comment avez-vous réussi à convaincre ces deux personnalités de débattre ensemble ? « 

Marc Fauvelle : La cuisine interne. Je précise d’abord que la campagne, ce n’est pas un seul débat sur France Inter. Des débats de personnalités, il y en a tous les jours et on va continuer à le faire jusqu’à l’élection du 9 juin. Alors, comment ça s’est passé ? C’est très simple : oui et non. On a lancé des invitations aux huit principaux candidats. Quand je dis huit principaux candidats, c’est une précision importante. C’est en fonction des sondages aujourd’hui, en leur proposant à tous et toutes plusieurs dates pour venir débattre de préférence. Les Huit ont accepté l’invitation de France Inter, mais il y en a que deux qui ont accepté de débattre ensemble. Les autres passeront donc à l’antenne à la suite à 8h20. C’est le cas depuis la semaine dernière. Il y avait encore deux candidates, entre 8h20 et 8h50 aujourd’hui, vendredi prochain, ce sera encore le cas. Et le vendredi 12 avril, il y aura donc ce débat à 8h20 entre Raphaël Glucksmann pour le PS et Jordan Bardella pour le RN, on voit bien évidemment l’intérêt qu’ils peuvent avoir l’un et l’autre à débattre ensemble. Il ne faut pas être entièrement naïf. Raphaël Glucksmann veut apparaître comme le leader de la gauche, celui qui combat en premier les idées du RN et Jordan Bardella en acceptant de débattre avec Raphaël Glucksmann, sait qu’il lui offre aussi quelque part une tribune. C’est donc peut être une façon pour Jordan Bardella, d’affaiblir la liste Renaissance qui est aujourd’hui en deuxième position.

Le retrait provisoire de l’antenne de Léa Salamé

Jérôme Cadet : Vous avez évoqué Marc, Raphaël Glucksmann, l’une des têtes de liste pour les européennes Dans les courriers des auditeurs, c’est l’une des journalistes d’Inter, sa compagne Léa Salamé, que citent souvent les auditeurs qui s’interrogent sur sa présence à l’antenne.

Emmanuelle Daviet : En effet, c’est un sujet pour des auditeurs. L’un d’entre eux estime que « la campagne pour les élections européennes est maintenant bien engagée. Il est difficile de comprendre le maintien pour les interviews politiques de Léa Salamé, compagne de Raphaël Glucksmann. Quelles que soient les qualités de madame Salamé », nous écrit cet auditeur. Marc Fauvelle, que répondez-vous à ces remarques ?

Marc Fauvelle : Que c’est d’abord une question qui est toujours extrêmement délicate. Je vais vous dire d’abord que je n’ai absolument aucun doute sur l’impartialité de Léa Salamé, qui est une très très grande journaliste, une très très grande intervieweuse, reconnue de tous. Et je vais vous faire une confidence j’ouvre une toute petite parenthèse. Je ne sais pas pour qui elle vote et c’est tant mieux. Je vais même vous dire autre chose. Je pense qu’au sein d’un couple, je ne sais pas comment ça se passe pour vous dans ce studio, on n’est pas toujours d’accord avec celui dont on partage la vie. On n’aime pas les mêmes choses, on ne glisse pas forcément le même bulletin le jour des élections et là aussi, c’est tant mieux. Les femmes, en 2024, 2023, 2025 ne votent pas toujours comme leurs maris et la réciproque est exacte. Une fois que j’ai dit ça, je ne veux pas qu’on puisse soupçonner un instant France Inter de quoi que ce soit. On en a donc discuté extrêmement tranquillement avec Léa Salamé et on a été parfaitement d’accord pour dire qu’elle va se retirer des rendez-vous politiques. Ça va commencer lundi prochain. On s’y prend à l’avance, vous voyez, plus de deux mois avant l’élection, elle ne fera donc plus à partir de lundi, ni le Grand Entretien de 8h20 dès lors qu’on reçoit un politique, c’est Yaël Goosz d’ailleurs, qui va la remplacer. Et elle ne fera pas non plus le débat de 9h05 dès qu’on parle de politique. Et puis, dans la dernière ligne droite, c’est à dire en mai et jusqu’à l’élection du 9 juin, là, elle quittera absolument tous les débats de 9h05, tous les rendez vous de 8h20, quel que soit l’invité. Même si on reçoit un chef pâtissier, on sait jamais, on peut parler de l’Europe et du chocolat. Je précise bien sûr qu’elle gardera son entretien de 9h20 pendant toute cette période et qu’elle reviendra à tous ces rendez-vous dès le 10 juin à l’antenne de France Inter.

François-Xavier Bellamy, invité du 7h50 de France Inter

Jérôme Cadet : Des courriers aussi cette semaine, Emmanuelle, après l’interview, on parle des européennes, lundi matin, 7h50, Sonia Devillers recevait François-Xavier Bellamy, tête de liste des Républicains.

Emmanuelle Daviet : Oui, et nous avons reçu un abondant courrier d’auditeurs, étonnés par la tournure prise par cette interview, la journaliste demande à François-Xavier Bellamy pour qui il a voté au second tour de l’élection présidentielle de 2022. Il ne répond pas et évoque le principe de confidentialité du scrutin. De nombreux auditeurs n’ont pas compris cette insistance journalistique. Marc Fauvelle, vous avez pris connaissance de tous leurs courriels. Quelle explication pouvez-vous leur apporter ?

Marc Fauvelle : D’abord, je vous assure que j’écoute toujours ce que disent et ce que vous et ce que nous écrivent les auditeurs. Et c’est vrai que cet échange, il a provoqué de très nombreuses réactions. Le cœur de cet entretien, c’était de savoir où habite en quelque sorte les Républicains aujourd’hui. Est-ce qu’ils penchent vers le RN ou est-ce qu’ils penchent vers Emmanuel Macron ? Est-ce qu’ils sont en train de se faire siphonner par le RN ? Et qu’est ce qu’ils feraient si ce parti était demain aux portes du pouvoir ? C’est pour ça que Sonia Devillers a insisté sur cette question qui est à la fois, me semble-t-il, assez binaire et assez centrale. Pour qui avez vous voté au second tour de la dernière élection présidentielle ? On peut trouver, je le comprends parfaitement, que ce soit trop insistant de sa part. Mais je sais qu’on nous reproche aussi également, et il m’est arrivé de vous répondre là dessus, de laisser les politiques dérouler leur discours. Là, très clairement, on est tous d’accord pour dire que ça n’a pas été le cas de cet entretien. Je précise aussi moment de contexte, que si Sonia Devillers a posé cette question, c’est parce que la numéro deux de la liste LR avait, le week-end précédent, lors du meeting de lancement de la campagne, dit qu’elle était « fière de ne jamais avoir voté pour Emmanuel Macron, ni en 2017, ni en 2022 ». C’est ça qui a déclenché le questionnement de Sonia.

Emmanuelle Daviet : Oui, et j’ajoute que les auditeurs pourront lire la réponse de Sonia Devillers dans la lettre de la médiatrice publiée cet après-midi, réponse dans laquelle elle explique très clairement les raisons de cette question et de son insistance. Yaël Goosz, plus généralement, quelles sont les difficultés de mener une interview politique dans un format si court, à peine dix minutes ?

Yaël Goosz : Ça va très très vite et souvent, vous avez un stock de questions que vous n’épuisez pas, bien sûr. Ce n’est pas un match, ce n’est pas un duel. L’interviewer pour moi, c’est comme en chimie, il faut qu’il soit un révélateur. Vous avez dix minutes pour entrer dans la complexité et les contradictions de votre invité politique qui lui vient, et c’est normal pour lui, présenter sa vision, présenter ses idées avec ses éléments de langage, avec sa rhétorique. Votre défi à vous d’interviewer, c’est que l’auditrice ou l’auditeur comprenne ce qui distingue ce politique des autres. Tout en allant gratter sous la couche de cosmétiques. Est-ce que telle ou telle proposition qu’il fait tient la route ? Comment on la finance ? Pourquoi tel ou tel changement de pied, s’il y a eu d’autres positions par le passé ? Et trop souvent on veut mettre le journaliste politique dans une case alors qu’il s’agit surtout de passer l’invité au scanner, au révélateur comme je dis, et libre ensuite à l’auditeur de se faire son idée. C’est ce qu’a fait Sonia Devillers avec François-Xavier Bellamy. Quand l’invité s’énerve, c’est souvent qu’on a touché un point sensible.

Emmanuelle Daviet : Marc Fauvelle, comment la rédaction gère le temps de parole des personnalités politiques pour garantir une couverture équilibrée des différents partis ?

Marc Fauvelle : Très concrètement, il y a un décompte qui est fait chaque heure, chaque minute quasiment. Pendant qu’on se parle, il y a une entreprise qui est en train de nous écouter et le petit son de François-Xavier Bellamy que vous avez passé là, il va rentrer dans la case Les Républicains. Chaque soir, on nous envoie un petit décompte total. Je rappelle ce que dit la loi, tout simplement, la loi sur le pluralisme. Elle nous dit : nous, en tant que médias audiovisuels, nous devons accorder 33 % de notre temps de parole au gouvernement et le reste, 67 %, à tous les autres partis représentés au Parlement. Je vais vous donner, comme je le fais à chaque fois que je viens ici. Nous avons donc donné 29 % au gouvernement au lieu de 33, vous voyez, on est un peu en dessous. 13 % à Renaissance, 11 % au Rassemblement national, 8% aux Républicains, 8% aux Insoumis, 6% aux Socialistes, 5% aux écologistes, 3% au MoDem et 2 % à Reconquête et à Place publique. Ce sont des chiffres qui sont publics, qui sont épluchés ensuite par l’ARCOM. Et je tiens, je continuerai à le faire, à vous les donner à chaque fois.

Emmauelle Daviet : Et vous reviendrez pour cela. Merci, Marc Fauvelle, directeur de l’information de France Inter et Yaël Goosz, chef du service politique.