A propos du « déconfinement », j’imagine bien que des broutilles d’orthographe sont les derniers de vos soucis en ce moment mais vous nous obligeriez, vous et vos confrères journalistes, à employer le verbe « rouvrir » et non « réouvrir » et le mot « réouverture ».
Je voulais vous parler vocabulaire : j’entends 7 personnes sur 10 dire RÉOUVRIR or, le verbe est ROUVRIR même si le substantif est la RÉOUVERTURE. Ainsi va la langue française ! Merci encore d’embellir mes journées !
Jean Pruvost, professeur émérite de Lexicologie, d’histoire de la langue française à l’université de Cergy-Pontoise explique le sens du mot.
ROUVRONS LE DÉBAT POUR CONCLURE AVEC COLETTE…
Pour mieux percevoir ces mots prometteurs, une « réouverture » et « rouvrir », bien inscrits dans la nomenclature de nos dictionnaires, il n’est pas sans charme de revenir à leur commune origine, le verbe « ouvrir », celui-là même avec lequel on « ouvre les débats » !
Il faut en vérité remonter au latin classique et en l’occurrence au verbe aperire, mettre à découvert, ouvrir, aperire qu’on retrouve dans l’apéritif « ouvrant » l’appétit. Aperire a assez vite laissé la place au latin populaire operire plus facile à prononcer, qui a donc fait naître le verbe français « ouvrir » à la fin du Xe siècle. Et dans cette même famille, du mot opertura » allait naître à la fin du XIe siècle l’« ovreture » puis « ouverture » au sens propre puis au sens figuré.
Au sens propre, l’ouverture désigna d’abord un trou, et ce fut le passage ménagé dans un mur, l’ouverture d’une porte, d’une fenêtre, mais aussi l’ouverture d’une tranchée. Quant au sens figuré, qui vint presque immédiatement, ce fut l’action d’ouvrir des négociations, ou l’ouverture d’une saison, l’ouverture de la chasse, et pour finir celle des théâtres par exemple.
Du fossé au compte bancaire : la réouverture
C’est ainsi, qu’à partir de ce mot « ouverture » bien installé dans la langue, vint la « réouverture », attestée d’abord en 1600, comme le nettoyage d’un fossé bouché, il s’agissait de « rouvrir » ce dernier pour que l’eau s’y écoule aisément, en somme élargir ledit fossé. Cet usage est notamment consigné dans le livre célèbre d’Oliver de Serres, le Théâtre d’agriculture publié en 1600.
Quant à la « réouverture » d’un établissement, d’un magasin, elle ne sera attestée qu’en 1823, et celle d’une salle de spectacle, d’un théâtre, en 1832. Enfin, viendra en 1905 l’utile réouverture d’un compte bancaire.
Rouvrir sans calquer la réouverture….
C’est en 1175, qu’est attesté le verbe rouvrir, avec un double sens bien agréable : d’un côté, tout simplement « ouvrir à nouveau » quelque chose, et de l’autre, sous l’effet de la joie ouvrir à nouveau son cœur, ce sens réconfortant étant attesté dans la Chronique des ducs de Normandie de Benoît de Sainte-Maure.
En 1547, se rencontrait aussi une forme aujourd’hui disparue « r’ouvrir », marquant bien la présence d’un préfixe devant « ouvrir », mais surtout le fait qu’on ne « ré-ouvrait » pas, point de préfixe ré avec son accent aigu. Si « rouvrir » son cœur fut premier dans l’histoire du verbe, un autre sens faisait hélas souche du côté d’Ambroise Paré et donc de la chirurgie, avec le fait de voir « rouvrir » une cicatrice, une plaie, une blessure. Et au sens figuré, l’image fut reprise par Racine dans Andromaque, en 1667 : « Je sçay que vos regards vont rouvrir mes blessures… » L’amour est cruel ! Il faut attendre 1874 pour que « rouvrir » soit appliqué à un établissement. Une usine, un théâtre qui « rouvrent ». En aucun cas on « ré-ouvre ».
Les grammairiens et les auteurs de dictionnaires s’expriment…
Le verbe « rouvrir » fait assurément débat depuis un certain temps… Rouvrir le débat s’impose, en les consultant.
Notons tout d’abord que l’Académie française a admis le verbe « rouvrir » au XVIIIe siècle, dans son édition de 1798, en le faisant synonyme d’« ouvrir à nouveau ». En tout premier au sens propre : « Rouvrez la porte, les fenêtres. Cet effort rouvrit sa plaie », Et en second au sens figuré : « On dit figurément ; Rouvrir la plaie de quelqu’un pour lui renouveler un chagrin ». Il faudra de fait attendre la 8e édition, en 1835, pour que s’y ajoute l’emploi de rouvrir comme verbe intransitif. « Ce théâtre en rouvrira qu’en décembre. »
Quant à la « réouverture », elle n’apparaît que dans la sixième édition, en 1835, en tant qu’« action de rouvrir » avec pour exemple la « réouverture de la Scala de Milan », « d’une route de montagne », « d’une enquête, d’un dossier », et en Droit la « réouverture des débats ».
Il va de soi que la « réouverture » peut laisser croire, pour qui n’est pas rompu au bon usage et à l’histoire de la langue française, qu’existerait en parallèle « ré-ouvrir ». Qu’en disait ainsi le fin grammairien André Thérive, cité dans l’Encyclopédie du bon français publié en 1972 ? D’emblée, il relève un usage du verbe rouvrir qui, affirme-t-il « menace fâcheusement rouvrir ». Et de préciser que parfois « nos pères ont écrit reouvrir sans prononcer le e. Réouverture existe et non rouverture. Je crois, ajoute-t-il, qu’il faut maintenir rouvert d’une forme plus simple et plus phonétique ». Aller au plus simple, n’est-ce pas une heureuse suggestion.
Ainsi, en 1974, la conclusion de Dupré – le supposé auteur de L’encyclopédie du bon français, en réalité un groupe de linguistes éminents – est-elle parfaitement claire : « Il est évidemment peu logique que l’on dise rouvrir alors que l’on ne dit pas rouverture et que l’on dise réouverture alors que l’on ne dit pas réouvrir. Mais cet illogisme est trop bien ancré dans l’usage pour qu’on puisse le supprimer. On condamnera donc réouvrir, réouvert. »
De fait, lorsque l’usage est installé, de longue date, et que par ailleurs la littérature lui a fait un bel écho, il est urgent de ne pas l’écorcher… Et on laissera ainsi le dernier mot à une grande dame de notre littérature, Colette : « Un jour teint de rose l’accueillit au-delà d’une porte, et il attendit debout que l’univers annoncé par cette aube se rouvrît enfin ».
Un univers rouvert, sa réouverture… deux mots généreux installés dans notre langue depuis des siècles et tournés vers l’avenir. À pérenniser donc !
Jean Pruvost
Auteur de L’Histoire de la langue française, un vrai roman,
Collection Les Mots & caetera, 2020.
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