Le traitement éditorial de l’élection du nouveau pape ainsi que l’entretien avec la ministre Rachida Dati dans matinale du 7 mai sur France Inter, ont suscité de nombreuses réactions de la part de nos auditeurs. Emmanuelle Daviet reçoit Philippe Corbé directeur de l’information de France Inter dans le rendez-vous de la médiatrice.

Céline Asselot : Les auditeurs, Emmanuelle Daviet, vous ont adressé beaucoup de messages à l’occasion de l’élection du pape Léon XIV. On revient sur cette séquence.

Extrait séquence élection Léon XIV : « Habemus papam eminentissimum ac reverendissimum Dominum » La première apparition du pape Léon XIV sur le balcon. Bruno, vous avez une meilleure vue que la mienne. Absolument. Il a l’étole, il a des lunettes et il salue la foule très simplement, avec la main, souriant, simple, conforme à sa réputation. Et le voilà. On écoute. « Que la paix soit avec vous tous. A toutes les personnes, où qu’elles soient et à tous les peuples, à toute la terre, la paix. Que la paix soit avec vous. » La foule qu’on entend crier « Léon !« 

Emmanuelle Daviet : Après les funérailles du pape François, le conclave, puis l’élection de Léon XIV, les auditeurs nous ont écrit pour nous dire que l’actualité religieuse ces dernières semaines, prenait trop de place sur l’antenne. Philippe Corbé, comprenez -vous cette forme de lassitude et l’incompréhension des auditeurs et que répondez-vous à leurs remarques ?

Philippe Corbé : J’ai lu avec beaucoup d’intérêt les messages que vous m’avez fait remonter au fil de ces différents événements, le décès, les obsèques, puis le conclave. Et nous avons prêté attention à calibrer effectivement le volume de notre couverture de ces événements au Vatican. Par exemple, pour les obsèques, nous avons effectivement fait une édition spéciale, mais seulement pendant 1 h entre 11 h et 12 h. Nous n’avons pas consacré plusieurs heures de suite à ce sujet. Et ce matin là, nous avions aussi fait dans la matinale une interview, un grand entretien à 8 h 20 depuis Rome, mené par Simon le Baron, mais dans le cadre d’une matinale classique. Donc, nous avons fait de la place à un événement comme c’est notre rôle, sans pour autant pousser les murs au point de casser les programmes habituels, sauf ponctuellement, comme on l’a fait le jour des obsèques pendant 1 h.

Emmanuelle Daviet : Alors, le soir du 8 mai, jour de l’élection du nouveau pape, France Inter était en direct de la place Saint Pierre. Et ce soir-là, cela n’a pas échappé aux auditeurs fidèles du 19 h, il n’y a pas eu de journal remplacé par une émission spéciale en direct de Rome. Ce choix a été perçu comme une sorte d’effacement de l’actualité nationale et internationale. Cette édition du 19 h, c’est une institution pour les auditeurs. Et la nomination du nouveau souverain pontife justifiait-elle sa suppression ?

Philippe Corbé: Alors, chaque soir, à 19 h, sur France Inter, Fabienne Sintes dit: « Bonsoir, Il est 19 h » et ce soir-là, Fabienne Sintes sur France Inter a dit qu’il était 19 h et que l’événement, c’était ce soir-là l’élection du nouveau pape. Pour vous donner un peu notre réflexion à ce moment là, c’est une décision que j’ai prise à ce moment là, qui n’était pas prévue à l’avance. Nous avions réfléchi avec Rémi Sulmont le directeur de la rédaction, sur la manière dont nous voulions couvrir le conclave, et nous avions décidé d’envoyer effectivement Fabienne Sintes et son équipe pour une émission spéciale depuis Rome, près de la place Saint Pierre ce soir-là, parce qu’on savait que l’annonce du nouveau pape pourrait avoir lieu à cette heure là. Et effectivement, l’annonce du nouveau pape a eu lieu à 18 h 08. L’émission venait de commencer. Nous n’avons pas tout cassé tout de suite. On a repris. Fini le cours du journal, on a fait l’édito politique comme prévu depuis Paris, avec Yaël Goosz sur la Nouvelle-Calédonie. Simplement, moi j’ai dit quand on va retourner à Rome avec Fabienne, on y reste. On ne va pas faire des allers-retours en disant il y a un événement très important, dans les prochaines minutes vous avez un pape et en même temps, on va à Rome trois minutes, on revient à Paris trois minutes, ça n’a pas de sens. On avait fait un calcul, on avait regardé les précédentes élections de pape. Il y avait en moyenne 55 minutes entre la fumée blanche et le Habemus papam. Donc 18 h 08, puis 55 minutes, ça nous amène à 19 h 03. Et là je me suis dit si, en fait, à 19 h, Fabienne Sintes rend l’antenne à Paris à Helène Fily, qui lance Corinne Audouin qui présente le journal, qui elle même va commencer le journal en retournant à Rome avec l’envoyé spécial. C’est un peu compliqué.

Emmanuelle Daviet: En vous écoutant, les auditeurs se disent mais la mécanique d’antenne.

Philippe Corbé: Ça va être plus simple. On va laisser Fabienne qui, tous les soirs mène cette émission qui là était à Rome, et bien, raconter ce qui est en train de se passer, c’est en direct l’élection d’un nouveau pape.

Céline Asselot: Alors, ce qui a également contrarié certains auditeurs, Emmanuelle Daviet, c’est d’entendre Léon XIV qualifié de premier pape américain.

Emmanuelle Daviet: Oui, Léon XIV est originaire des Etats-Unis et les auditeurs rappellent que le pape François, argentin, était lui aussi un pape américain. Présenter Léon XIV comme le premier pape américain, revient donc pour des auditeurs et ils sont nombreux à le considérer, à effacer tout simplement un continent au profit d’une seule nation. Philippe Corbé, partagez-vous cette analyse ?

Philippe Corbé : En tout cas, ce qu’il faudrait dire, ce qu’on aurait dû dire plus précisément, c’est que c’est le premier pape des États-Unis, né aux États-Unis, citoyen des États-Unis. Et c’est vrai que le pape François était lui même un pape américain puisque venu d’Argentine. Et c’est même d’autant plus imprécis de dire « premier pape américain », car il est un pape des Amériques puisqu’il est né aux États-Unis, a vécu aux États-Unis, mais aussi passé une bonne partie de son temps au Pérou. Et donc c’est un pape des différentes Amériques. Et ça aurait été plus précis de dire c’est un pape venu des États-Unis.

Céline Asselot : Et d’ailleurs, il y a des auditeurs, nombreux, Emmanuelle, qui ont réagi à l’usage récurrent du mot Amérique pour désigner les États-Unis, notamment depuis l’élection de Donald Trump.

Emmanuelle Daviet: Oui, dans le prolongement de cette réflexion, il estime qu’il serait plus pertinent de dire Etats-uniens pour parler des habitants des États-Unis plutôt qu’américain. Il indique que l’Amérique est un continent avec de nombreux pays et pas un synonyme des États-Unis, et que cet usage n’est pas neutre. Il porte en lui une vision réductrice, parfois perçue comme une forme d’impérialisme culturel. Philippe Corbé, vous connaissez très bien les États-Unis. Vous y avez été correspondant. Comment recevez-vous ce type de remarques ?

Philippe Corbé: D’abord, ça vient de l’anglais. C’est à dire que la raison pour laquelle les États-Unis s’auto définissent comme Amérique est liée à l’histoire de ce pays, c’est à dire la fin du XIXᵉ siècle dans une conquête territoriale. Les petits États-Unis, qui étaient les anciennes colonies britanniques, ont conquis des territoires vers l’ouest en achetant la Louisiane, la Californie, puis l’Alaska. Et donc, il y avait des parties de leur territoire qui n’étaient pas en fait des États, et donc il fallait désigner une manière de désigner ce nouveau territoire. Et donc, ils ont choisi de s’appeler Amérique d’une certaine manière, dans un langage courant. Et cette facilité en anglais a été transposée en français, mais cela fait plus d’un siècle, voire un siècle et demi. Nous héritons de cette situation là. Par ailleurs, et c’est une différence avec d’autres pays puisqu’effectivement, en espagnol et en portugais, le mot « états-uniens » s’est imposé dans le langage courant depuis longtemps. Ce qui n’est pas tout à fait le cas en France, ou en tout cas pas dans le langage courant. J’ai été vérifié dans le Larousse. Si vous cherchez un adjectif américain, vous avez 1 : « d’Amérique » et 2 « des États-Unis d’Amérique ». Donc en fait, il y a une ambiguïté en français. Il y a effectivement des messages récurrents, et pas seulement par votre intermédiaire, mais moi j’ai souvent ces réflexions depuis plusieurs années des gens qui me disent mais il faudrait dire états-unien et pas américain. Souvent, ce sont des gens qui sont soit historiens, des gens qui sont attachés à l’histoire, à la géographie, aux relations internationales et qui veulent préciser effectivement la dimension étatsunienne. Et donc je comprends et je suis frappé aussi de voir que ces dernières années, il y a aussi une attention parfois plus politique de groupes ou de gens qui ont une sensibilité altermondialiste ou en tout cas anti-impérialiste et qui considèrent qu’il y a vraiment là un combat autour de ce mot « américain » « étatsunien ». Et donc ils font remarquer cela. Ils ont tout à fait raison de le faire. Je voudrais juste préciser quand même que nous, sommes le reflet aussi de la manière dont les français parlent. Et dans le langage courant aujourd’hui, on peut le déplorer, mais dans le langage courant, le mot américain désigne parfois les Amériques et parfois les Etats-Unis d’Amérique. Et nous sommes le reflet de la manière dont les Français parlent.

Emmanuelle Daviet: Et pour compléter votre analyse, j’invite également les auditeurs à écouter le point de vue de l’historien Olivier Burtin. Il est maître de conférences en civilisation des Etats-Unis à l’Université de Picardie Jules Verne. Il explique l’origine de cet usage sémantique sur le site de la médiatrice.

Céline Asselot: Allez, on poursuit avec une invitée qui a fait très vivement réagir les auditeurs. C’est la ministre de la Culture, Rachida Dati. C’était le 7 mai dernier dans la matinale de France Inter.

Extrait interview Rachida Dati: Les audiences… sont bonnes. Oui, mais chez qui ? Vous avez les détails ou pas? Ben oui, on a les détails. Plus les jeunes, plus les classes populaires, ça devient club, c’est CSP+ et plus âgés, c’est une réalité. C’est comme ça. Et donc l’audiovisuel public, pour moi, je considère que c’est un service public qui doit s’adresser à tout le monde et sur tout le territoire. Il n’y a pas d’agenda caché, il y a une volonté de sauver ce service public de l’audiovisuel, qui a permis à des gens comme moi d’être à votre micro ce matin et de continuer de pouvoir écouter. Mais j’ai évolué socialement et je regrette que le petit poste de radio qu’on écoutait sur des chantiers quand mon père était maçon. Ben qu’aujourd’hui, peut-être que le maçon n’écoute pas France Inter. C’est cela que je regrette.

Emmanuelle Daviet: Les auditeurs se disent indignés par les attaques de la ministre contre France Inter. Je vous lis deux messages : « A la suite de l’attaque en règle de la ministre de la Culture contre France Inter. Je souhaite informer la ministre que je ne suis pas maçon, mais paysan et fidèle auditeur depuis des années. Les maçons ou les paysans ont droit à des émissions de qualité pour se cultiver et s’informer. France Inter est la seule radio à proposer une offre variée et de qualité. Madame Dati laissez les paysans écouter France Inter. » Et puis un autre auditeur écrit « Message d’un vieux pas très pauvre mais pas très riche non plus, qui n’a pas honte de faire partie du club Radio France. Merci à France Inter pour ses programmes et soutien aux journalistes de la matinale qui ont dû bien souffrir de la hargne de madame Dati. Une ministre qui devrait être pleine d’empathie pour le service public. ».

Céline Asselot: Et puis dans leur message un qu’on peut lire sur le site de la médiatrice, les auditeurs écrivent aussi que France Inter incarne la diversité culturelle et sociale. Oui, pour eux, la chaîne s’adresse vraiment à toutes les catégories de la population, des paysans aux artisans, des jeunes aux personnes âgées, des ruraux aux urbains. Et à ce sujet, un auditeur écrit « Je suis interpellé par le recadrage de Rachida Dati et j’aimerais que vous puissiez vérifier et comparer vos scores et les propos de la ministre. Que reflètent réellement les chiffres donnés à l’antenne. » Alors, Philippe Corbé, qui écoute France Inter ?

Philippe Corbé: Alors moi je ne viens pas polémiquer, je vais juste rétablir, comme le demandent les auditeurs, des faits, c’est à dire des chiffres qui sont calculés par Médiamétrie, qui est une entreprise indépendante de Radio France. Sur la question, est-ce que nous nous adressons principalement aux plus âgés ? Je regarde les chiffres sur les plus jeunes. France Inter est la première radio généraliste chez les moins de 25 ans, chez les moins de 35 ans. Et nous sommes toutes radios confondues, troisième radio après des radios musicales. Donc première généraliste et troisième radio par rapport à l’ensemble des radios, sur les moins de 35 ans, nous progressons, + 5 % cette saison et sur les moins de 25 ans. Radio France en général a gagné plus de 400 000 d’auditeurs de moins de 25 ans cette dernière année. Tout ça dans un contexte très particulier et assez inquiétant pour le média radio en général, où l’on voit que nos concurrents ont du mal à faire venir des jeunes, des jeunes au sens large, des moins de 35 ans. Et que beaucoup de plus jeunes n’ont pas forcément pris l’habitude d’écouter la radio en direct, écoutent beaucoup de podcast. Et donc dans un contexte très compliqué où beaucoup de jeunes ne prennent pas l’habitude ou moins l’habitude d’écouter le média radio. Et bien Radio France, et en particulier France Inter, est une exception. C’est sur l’aspect « âgé jeune ». Sur l’aspect CSP+, CSP -. Alors ça peut vous sembler étrange qu’on évoque ça. C’est comme ça que Médiamétrie calcule. J’ai été vérifié, c’est une nomenclature de l’INSEE et donc dans les CSP+, CSP moins vous avez par exemple dans les CSP+, professions libérales, des professeurs, des médecins, des ingénieurs, des cadres, mais vous avez aussi les artisans, les commerçants et donc y compris des maçons. C’est à dire que si vous avez une petite entreprise de maçonnerie, vous êtes patron de cette petite entreprise de maçonnerie. Et bien, vous êtes CSP+. Et ce critère là n’est pas un critère de richesse ou d’abondance, c’est plutôt un mode d’organisation de travail, d’une certaine manière. Et là dessus, sur ces chiffres là, si on parle de CSP-, qui est d’utilisation l’expression qu’utilise Médiamétrie, donc sur les classes populaires, pour faire simple. Et bien, Radio France est le deuxième groupe après le groupe NRJ. Et sur cette même cible, des CSP-, et encore une fois, je reprends l’expression qu’utilise Médiamétrie, ce n’est pas la notre. Et bien, nous avons progressé de 11 % ces cinq dernières années, quand les principaux concurrents de France Inter ont reculé. Donc j’ai noté -28 % pour RMC, -24 % pour RTL. Dans le même temps, nous avons progressé de 11 % dans les catégories populaires. Donc voilà. Non, ce n’est pas vrai que nous nous adressons uniquement aux plus âgés et uniquement aux CSP+ comme comme on l’a entendu dans l’extrait.

Emmanuelle Daviet: Merci pour cet éclairage qui donc apportera toutes les précisions.

Philippe Corbé: Je peux ajouter un mot, nous sommes aussi première radio, non seulement dans les grandes villes, dans toutes les grandes agglomérations, mais aussi dans les petites villes et les zones rurales.

Emmanuelle Daviet: Pour finir, Philippe Corbé, un mot sur l’appli France Inter ?

Philippe Corbé: Oui, à partir de juillet. Je vous invite, si ce n’est pas encore le cas, à télécharger l’application Radio France, car c’est sur l’application Radio France que vous pourrez écouter France Inter et retrouvez tous les programmes de France Inter, donc sur l’application Radio France. Il y a plein de choses à écouter formidables !

Céline Asselot: On arrive à la fin de ce rendez vous. Emmanuelle Daviet, on va peut être rappeler que les auditeurs d’Inter qui ont des remarques, des questions peuvent vous écrire.

Emmanuelle Daviet: Oui, bien sûr, ils peuvent aller sur le site de la médiatrice de Radio France pour adresser leurs messages, pour donner leur avis sur les programmes, sur les journaux d’informations. Et évidemment, nous nous faisons un plaisir de leur répondre, n’est-ce pas Philippe Corbé.

Philippe Corbé: Et de les dire tous les jours, puisque vous m’envoyez des messages tous les après midis, je les lis.