Le procès Le Scouarnec, affaire d’une ampleur exceptionnelle : viols, agressions sexuelles sur 299 victimes, dont une majorité de mineurs, commis sur plusieurs décennies, un procès fleuve et beaucoup de questions d’auditeurs. Margaux Stive qui a couvert le procès est au micro d’Emmanuelle Daviet
Emmanuelle Daviet : Comment se prépare t on pour couvrir un tel procès ?
Margaux Stive : Eh bien, d’abord, il y a évidemment un travail sur le fond de l’affaire. Dans ce cas là, une affaire très complexe, avec énormément d’informations à gérer, des dates, des noms pour être sûr de comprendre tout ce qui se passe, de tout ce qui se dit à l’audience. Et puis il y a évidemment un travail plus sur la question émotionnelle, si je peux employer ce mot. Moi ça faisait six ans, que je travaillais déjà sur cette affaire, je savais à quoi m’attendre. Je savais que ça allait être difficile et en même temps, c’est impossible de vraiment s’y préparer. Et d’ailleurs, des choses que j’avais lu, notamment des carnets, du journal intime du chirurgien où il consigne toutes les agressions sur des enfants. Ces carnets, je les avais lu, mais à l’audience, les entendre, les entendre aussi, avec des victimes qui écoutent. Si cela a été quand même très difficile.
Emmanuelle Daviet : Précisément, une auditrice demande : « Y-a-t-il d’autres difficultés que vous avez rencontrées au cours du procès ?
Margaux Stive : Alors, à l’image de tous les procès, peut-être, mais c’est déjà réussir à rendre intelligible et à résumer des heures et des heures de débats, d’auditions. Là encore dans une affaire compliquée. Et puis l’autre difficulté qu’il y a particulièrement dans le dossier, c’est que les victimes étaient très réticentes à parler avec une peur de la médiatisation et une peur de parler de cette histoire là, beaucoup de honte. Et donc ça a été un vrai travail de mise en confiance pour réussir à recueillir ces paroles.
Emmanuelle Daviet : Et dans cet ordre d’idée, des auditeurs s’interrogent pour savoir comment vous avez trouvé la juste distance entre empathie pour les victimes et exigence de neutralité dans le récit ?
Margaux Stive : Alors c’est sûr qu’il y a trois mois d’audience, je le disais, moi, ça fait six ans que je travaillais sur cette affaire. Donc évidemment qu’il y a un lien qui se crée avec certaines victimes. Après, c’est la même exigence que pour tous les sujets qu’on traite à Franceinfo et à Radio France. C’est l’exigence de revenir toujours aux faits et puis de donner la parole à toutes les parties, évidemment aux victimes, mais aussi, dans ce cas là, à la défense.
Emmanuelle Daviet : Comment raconter sans tomber dans le sensationnalisme et sans édulcorer non plus ?
Margaux Stive : Ça a été un vrai enjeu sur cette affaire et sur ce procès. Pour vous donner une idée, je pense que j’ai raconté à peu près 10 % de ce qui s’est dit certains jours d’audience, parce que c’était inaudible, parce qu’aussi, à la radio, les auditeurs ne choisissent pas ce qu’ils vont écouter et on ne peut pas imposer alors du petit déjeuner, ou même à n’importe quelle autre heure de la journée, des horreurs, parce qu’on a entendu des choses extrêmement difficiles pendant ce procès. Donc évidemment qu’on fait un tri, qu’on ne garde que ce qui a du sens. Et puis il y a un vrai travail sur les mots, juste sur la métaphore d’essayer de faire comprendre, de dire l’indicible. Et ce n’est pas toujours facile. Mais c’est aussi un travail de journaliste.
Emmanuelle Daviet : Alors précisément. N’y a-t-il pas une sorte de frustration quand vous dites que vous exploitez 10 % de la matière totale du procès ? Vous avez un matériau extrêmement riche. Est-ce qu’il n’y a pas une autre manière, sur un plan journalistique, de l’exploiter ?
Margaux Stive : Alors c’est sûr qu’on peut décliner aussi sur nos sites Web des versions plus longues et où là, on peut rentrer un petit peu plus dans le détail parce qu’il y a un choix aussi des lecteurs d’aller cliquer sur tel ou tel article et ils savent à quoi s’attendre. Après une frustration, non, parce qu’on raconte quand même énormément de choses. Parce que sur de ce côté là, je suis intervenue souvent à l’antenne et au final, il y a quand même énormément d’enjeux et de choses à raconter.
Emmanuelle Daviet : On termine avec cette question qui revient fréquemment : quelle a été pour vous le moment le plus marquant de ce procès hors norme ?
Margaux Stive : Alors c’est très personnel, mais il y a un moment qui m’a marqué. C’était dans les tous premiers jours d’audience et c’est une gendarme, la toute première à avoir travaillé sur cette affaire et elle est en burn out depuis des années. Elle était pas sûre de pouvoir témoigner et finalement elle a accepté de le faire en visioconférence et en fait, elle s’est effondrée en larmes au bout de quelques minutes d’audition, elle était incapable de parler. La présidente a dû couper court à cette audition et je pense que ce témoignage-là, c’était de cette scène là. Elle m’a marquée parce que c’est aussi là, la démonstration des conséquences qu’a pu avoir cette affaire bien au delà des victimes aussi pour des professionnels qui travaillent sur ce dossier. Et évidemment que moi, en tant que journaliste qui a travaillé sur cette affaire depuis des années, ça m’a particulièrement touchée.