Des auditeurs nous ont écrit pour réagir à un témoignage très personnel diffusé lundi dans la matinale, celui d’un homme ayant aidé son père à mourir. Ce récit poignant et détaillé a suscité des réactions contrastées. Florent Guyotat, directeur adjoint de la rédaction de franceinfo répond aux auditeurs au micro d’Emmanuelle Daviet.
Emmanuelle Daviet : Des auditeurs ont trouvé ce reportage sur la fin de vie bouleversant. D’autres se sont dits profondément choqués par le niveau de précisions apportées, craignant que cela ne constitue une forme de mode d’emploi dangereux ou illégal. Alors le sujet est sensible, il touche à des questions intimes, éthiques et profondément humaines. Il nous a donc semblé important de relayer les questions des auditeurs afin d’expliquer les choix journalistiques qui ont conduit à la réalisation de ce reportage. Florent Guyotat, en donnant la parole à ce fils qui aide son père à mourir, quelle était l’intention éditoriale de Franceinfo ?
Florent Guyotat : Alors déjà, je pense que tous nos auditeurs n’ont pas entendu ce document et ça me paraît important d’expliquer ce dont on parle. C’est un reportage de notre journaliste Farida Nouar. Elle a recueilli le témoignage d’un homme qui s’appelle Jacques. Avec son frère, il a aidé son père de 86 ans à se suicider. Leur père leur avait écrit plusieurs mois auparavant pour leur dire qu’il voulait mourir. Il avait des difficultés à marcher, il était dépressif. Il disait qu’il avait eu une belle vie, mais que désormais il n’avait plus goût à la vie puisqu’il était diminué. Jacques raconte donc comment il a aidé son père à se procurer un produit mortel sur Internet. Et le jour où son père s’est suicidé, Jacques était là, avec son frère à ses côtés.
Emmanuelle Daviet : Florent Guyotat, aviez-vous anticipé que ce témoignage pourrait susciter des réactions aussi contrastées, voire choquer ?
Florent Guyotat : Alors oui, on se doutait de ça, mais il nous a semblé quand même important de diffuser ce document dans le débat actuel sur la fin de vie. Pour nous, bien sûr, il ne s’agissait pas de soutenir le choix de cette famille, d’approuver ou de porter un jugement, ni évidemment de heurter quiconque. Juste montrer que ça existe, que cette démarche et cette réflexion dont parle cet homme, Jacques, existent dans certaines familles françaises, sans bien sûr qu’il soit possible d’en évaluer l’ampleur réelle puisque c’est totalement illégal aujourd’hui en France. D’ailleurs, le caractère illégal, le risque de poursuites judiciaires, c’est quelque chose que nous avons précisé à chaque diffusion du reportage. Et on a également expliqué que même si le nouveau texte de loi qui était examiné en ce moment à l’Assemblée est adopté, eh bien la démarche de Jacques et de son père restera illégale, car, on le rappelle, le père de Jacques n’était pas atteint d’une maladie incurable et son pronostic vital n’était pas engagé à court ou moyen terme. Donc ce sont des critères qui n’entrent pas dans le cadre de la nouvelle loi qui est discutée en ce moment à l’Assemblée.
Emmanuelle Daviet : Pourquoi avoir conservé autant de détails concrets sur le mode opératoire ? Comprenez-vous les inquiétudes de certains auditeurs qui redoutent un effet « mode d’emploi » ?
Florent Guyotat : Justement, on s’est efforcé de ne pas diffuser certains détails pour éviter que ça apparaisse comme un mode d’emploi pour se suicider. Nous n’avons volontairement pas donné le nom du produit utilisé, ni expliqué précisément comment Jacques et son père s’étaient procuré ce produit sur Internet. Après, lorsqu’on raconte comment les derniers instants du père de Jacques se sont déroulés, comment ses fils étaient à ses côtés. C’est un choix assumé. Il me semble important encore une fois de montrer que dans cette famille, il s’agissait d’une démarche concertée, mûrie de longue date, pleinement volontaire. De même, nous avons raconté comment Jacques et son frère avaient effacé toute trace du produit absorbé par leur père en se débarrassant du flacon le plus loin possible du domicile. Et là encore, c’est un détail important, me semble t il, pour montrer qu’il s’agit d’un acte qui aujourd’hui est illégal et que Jacques et son frère en avaient pleinement conscience.
Emmanuelle Daviet : Afin de respecter un équilibre éditorial, des auditeurs souhaitent savoir si d’autres points de vue, comme celui de soignants opposés à l’aide active à mourir, ont été diffusés sur l’antenne ?
Florent Guyotat : Alors oui, c’est évidemment nécessaire de veiller à la diversité des points de vue. Cette semaine, sur franceinfo, on a pu entendre des soignants opposés à l’aide à mourir ou qui se questionnent en tout cas sur ce sujet. On a entendu aussi plusieurs responsables religieux, également opposés au texte débattu en ce moment à l’Assemblée. Et puis, notre reporter Farida Nouar, qui justement a recueilli le témoignage de Jacques dont on parlait à l’instant, a également assuré la couverture d’un rassemblement contre l’aide à mourir. C’était lundi dernier devant l’Assemblée nationale.