« Étudiants : « Passer sa journée sur Zoom et Skype, à la fin on se demande si on est un robot ou un être humain »
Pierre Mathiot, directeur de Sciences-Po Lille, Imane Ouelhadj, étudiante à Nanterre, Dominique Monchablon, psychiatre, et Manuel Tunon de Lara, président de la Conférence des présidents d’université (CPU) sont les invités du Grand entretien du 7 janvier sur France Inter

Étant à la fois étudiante– en fin de thèse de doctorat- et chargée de cours dans une université de Paris, je vis et constate des premières loges la difficulté des étudiants au quotidien. À travers mes cours en distanciel, je ne vois pas mes étudiants, je parle à un écran, et eux-mêmes ne voient que leur écran, problèmes de réseaux obligent. Plusieurs étudiants m’ont prévenue qu’en raison de problèmes de santé psychologique, ils interrompaient leurs cours, renonçaient à passer un examen. D’autres se laissent submerger par la panique au moment de rendre un devoir et cherchent à renoncer directement, ils n’ont plus la communauté étudiante autour d’eux pour les soutenir. Pour ma part, en tant que doctorante, je m’isole dans ma rédaction et ne rencontre pas beaucoup d’accompagnement ou de soutien. Aucune aide financière non plus, le statut du doctorant est un no man’s land. Plus d’aide sur critères sociaux en doctorat, mais pas non plus de prime d’activité ou de rsa même si on travaille seulement à temps partiel pour survivre, car on a encore le statut d’étudiant. La seule chose qui m’a aidée est la démarche d’information dans laquelle s’est inscrite mon université au début du confinement de mars en indiquant aux étudiants les associations de soutien existantes. J’ai pris conscience de l’existence d’au moins une association de soutien psychologique étudiant, gratuit. Je suis suivie depuis 10 mois, et c’est la seule chose qui me permet de tenir encore un peu plus longtemps.

Votre invité président d’université ne parle que des enseignants chercheurs et oublie les contractuels payés des clopinettes qui font 22 h de cours par semaine à des ronds sur un écran. Nous n’avons pas bénéficié de formation sur les logiciels de l’université au premier confinement et un peu en distanciel sur Teams. Le matériel informatique fourni par l’université est défectueux, j’ai donc acheté mon propre matériel pour pouvoir faire cours.

Je suis chargé de TD à l’Université de Poitiers. J’apprécie que vous consacriez votre matinale aux universités fermées et à la question de l’enseignement à distance et de ses effets sur les conditions d’apprentissage des étudiants. Malgré tout, je suis déconcerté, voire en colère devant l’approche psychologisante d’un problème structurel, et qui domine le débat. Pendant ce temps-là, nous parlons d’étudiants « fragiles », de détresse psychologique, psychiatrique, sans aborder les causes à chercher bien au-delà de la situation de crise sanitaire. Cela fait des années que l’Université manque de moyens, de profs, de places, et que les étudiant.e.s connaissent la précarité ; précarité qui a conduit l’étudiant Anas K. à s’immoler devant le siège du Crous à Lyon. Je vous invite à lire sa lettre : tout y est. Réduire son geste à sa détresse psy (comme l’a fait l’une de vos invité.e.s), ça fait mal au bide tout simplement. Le curseur est moins à mettre sur la « détresse » et la « fragilité » des étudiant.e.s que sur la nature néolibérale des politiques qui réforment l’Université (de la LRU à l’ORE jusqu’à la LPPR) et qui détricotent l’État social depuis des années (on repense aux 5 euros de baisse des APL). Ce serait bien d’interroger leurs effets de temps en temps … Souvenez-vous ! L’Université connaissait un mouvement social d’ampleur juste avant la crise sanitaire.

Directrice d’un département d’enseignement à l’université Toulouse III, je vous confirme que les collègues étaient épuisés avant les congés car ils ont déployé des efforts énormes pour adapter leur pédagogie au distanciel, réaliser des TP en demi-jauge, sans moyens spécifiques d’accompagnement pédagogique du ministère, et sont en train d’assurer les nombreuses surveillances des examens en présentiel choisis comme la meilleure solution pour tout le monde. Pourriez-vous souligner encore une fois que l’enseignement supérieur est à 2 vitesses, avec les classes préparatoires à 36 élèves dans les lycées depuis septembre … peut-on savoir s’il y a eu des clusters dans ces formations ?

Les descriptions de désordre psychologiques liées à la désorganisation de la vie (étudiante, dans ce cas) sont comparables à celles de personnes se retrouvant brutalement isolées (perte d’emploi, décès, divorce, vieillissement etc.). C’est bien le dérèglement et/ou l’absence de communication sociale sous toute ses formes qui est à l’origine du mal. Comme le hamster nous tournons dans la roue sans plus savoir pourquoi ni comment. C’est la déprime assurée.

Je me permets de témoigner en tant qu’étudiante à Sciences po Paris, en première année. Le semestre qui vient de s’achever a été très difficile techniquement, désastreux mentalement, et j’ai eu le sentiment de ne pas avoir le niveau tout au cours du semestre. La concentration n’est pas optimale sur un écran avec à disposition tout un ensemble de distraction. En plus de cela, l’isolement a considérablement aggravé des problèmes de santé mentale, dont j’avais eu l’espoir de moins souffrir une fois entrée dans les études supérieures.

Ce message pour vous remercier de votre sujet sur la question des universités et de la grande difficulté des étudiants, le constat fait ce matin par vos invités est celui que nous faisons quotidiennement chez notre fille en 1ère année de sciences Po. Les conséquences des cours à distance sont terribles, et j’ajouterais les effets de l’écran à haute dose sur la santé physique. Je trouve que l’on parle bien peu de la situation des étudiants dans les médias alors qu’elle est cruciale pour l’avenir de notre société alors encore merci pour ce moment salutaire, continuez !

Je suis psychologue et je suis vacataire à l’université. J’ai pris le temps d’échanger avec les étudiants. Je constate qu’il y a aussi un sentiment d’avoir un enseignement moindre vers un diplôme sous valorisé. Je les rassure comme je peux en leur expliquant qu’ils ont l’essentiel des connaissances et qu’ils développent aussi face à la situation des compétences d’autonomie et d’adaptation pour leur redonner du courage.

Que va-t-il se passer pour les étudiants qui ont abandonné leur scolarité consécutivement à leur incapacité à se fédérer à un enseignement non présentiel. Auront-ils une priorité pour être réinscrit dans la même section universitaire l’année prochaine dans la mesure où l’université pour réouvrir pleinement ? Doivent-ils refaire un parcours Sup ? Comment l’Université compte gérer l’afflux des nouveaux bacheliers en première année ajouté à ceux qui n’ont pas réussi à faire leur année de scolarité pour leur première année stoppée par le Coronavirus.

Emission très intéressante sur les difficultés rencontrées par les étudiants en cette période de crise sanitaire. Les 2 intervenants de l’université étaient très agréables à écouter et très informés sur le sujet. Mais quelle idée de leur poser la question finale : « est est-ce que les étudiants représentent une « jeunesse sacrifiée ? ». Heureusement les 2 intervenants ont répondu négativement. C’est d’une violence extrême que de qualifier ces jeunes et je n’ose imaginer le ressentir de ceux qui prennent cette définition au pied de la lettre. Les jeunes migrants qui quittent des pays en guerre peuvent être éventuellement qualifiés ainsi mais pas mon fils qui est étudiant en 1ère année de Droit à la faculté de Reims. C’est disproportionné cette qualification mais tellement plus accrocheur pour les journalistes.

Chère Auditrice, 

La question est, au contraire, très pertinente car cette expression ne cesse d’être employée depuis le début de la pandémie par différents interlocuteurs sur les antennes, dans les médias en général, également par des parents et les jeunes eux-mêmes. Recueillir l’avis de ces spécialistes sur cette question était donc parfaitement légitime étant donné leur connaissance du sujet. 

Bien cordialement 

Je suis étudiant en L3 à Paris 2 et surveillant dans un grand lycée, je vois à quel point le port du masque et le respect des risques barrières ne sont absolument pas respectés par les CPGE. Je pense qu’il ne s’agit pas d’absence d’égalité entre les étudiants mais d’une hypocrisie devant un protocole non respecté au profit de certain de façon arbitraire. 

N’oubliez pas de parler des personnels de l’ombre dans les universités. Les personnels administratifs qui sont en charge des outils d’enseignement à distance, ceux qui gèrent l’aide scolaire, ceux qui accueillent en BU, les chargés de communication etc…