Danièle Sallenave : « La liberté d’expression oblige à la responsabilité » dans l’émission « Par Jupiter » ce 22 mars

Ne pas montrer certaines caricatures aux adolescents : Nos auditeurs ce sont exprimés sur le sujet, une sélection de messages à retrouvez ci-dessous :

Danièle Sallenave a tort

Danièle Sallenave a raison


 

Danièle Sallenave a tort

Je n’ai pas l’habitude du mail « réaction de l’auditrice », c’est même une grande première. Mais ce que j’ai entendu ce soir, en sortant du lycée, m’interdit de ne pas réagir. Parce que oui, je suis enseignante, d’histoire-géo, parisienne, plus très loin de la quarantaine et viscéralement de gauche.
À l’antenne, vous avez dit qu’il ne faudrait donner aucune limite à la liberté d’expression et qu’il existe le droit de blasphème. En fait, l’expression est impropre : le droit au blasphème n’existe pas, simplement dans notre pays, on n’interdit pas le blasphème (contrairement à d’autres au Moyen-Orient, en Russie, au Brésil, même l’Allemagne…) et par ailleurs, la loi limite la liberté d’expression par l’interdiction de l’injure et la diffamation. A mon avis, ce n’est pas plus mal ou alors Zemmour pourrait dire toutes ces horreurs et ne pas être condamné.
D’autre part, face à une invitée qui vous parlait de « responsabilité » de l’enseignant (que je ne confonds pas avec celle de l’humoriste ou du journaliste), vous avez aussi dit que celui-ci ne devait pas se fixer de limites, à moins sous-entendez-vous, de se compromettre par lâcheté ou funeste relativisme. Pour ma part, je pense que l’enseignant est d’abord celui qui pose des ponts et ouvre le dialogue, qui facilite l’échange et la discussion et in fine permet aux élèves de penser, en dépit d’eux-mêmes et de leur milieu, par eux-mêmes. Or cela ne peut se faire sans partir de leur position à eux. Je ne vais pas imposer des images s’ils ne les comprennent pas, je ne vais pas montrer ce qui les heurte si cela doit me couper d’eux, d’autant plus que l’institution les malmène bien assez comme cela et creuse le fossé entre eux et moi qui suis face à eux en position d’autorité (j’évoque ici pêle-mêle le manque de prof, l’orientation non choisie, le surveillant, l’infirmière, l’assistante sociale qui n’est pas là etc…). Dans mes multiples postes de « titulaire remplaçante », j’ai enseigné la liberté d’expression, je n’ai jamais montré les caricatures de Mahomet incriminées (dans lesquelles je n’inclus pas le « c’est dur d’être aimé par des cons » et « tout est pardonné », au contraire bien utile pour contrer le discours « on n’a pas le droit de dessiner le prophète »). En revanche j’ai souvent parlé de Charlie…. J’’étais déjà là, auprès d’eux, ces jours de janvier, ces lendemains du Bataclan, ce mois de novembre. Toujours il m’est revenue ces paroles d’Hugo : « étant les ignorants, ils sont les incléments. Hélas ! Combien de temps faudra-t-il vous redire, à vous tous, que c’était à vous de les conduire » (L’année terrible). L’institution veut faire de nous les combattants d’un combat qui mélange tout, laïcité, république, liberté d’expression, bientôt cela sera la patrie…, en oubliant ou en feignant d’oublier à quel point toutes ces notions sont à historiciser. Peut-être Samuel Paty s’est voulu ce « hussard noir », je n’en sais rien. Mais je suis sûre que les communards de 1871 ne vénéraient pas les instituteurs qui imposèrent l’histoire glorieuse des héros nationaux voulus par les Versaillais. Mon combat à moi est autre, il est quotidien, permanent. Il repose sur cette idée fondamentale que je pique cette fois-ci à Hélène Grimaud dans ses Leçons particulières et qui évoque aussi la liberté mais d’une bien autre façon : « ‘école’ vient du grec ‘scholè’ qui signifie le temps libre, le temps de la liberté, pas le temps employé à ne rien faire, mais il est un temps employé à se rendre libre ».
Voilà, pardon si mon message est un peu long, mais aujourd’hui il m’était impossible de me taire. Cela n’enlève en rien à l’intérêt que je porte à votre émission, alors bonne continuation et au plaisir de ne jamais vous réécrire.

Enseignant d’histoire et géographie à la retraite, je me suis battu durant quarante ans pour confronter mes élèves à l’analyse critique des documents, à la compréhension de la laïcité à la française, à la construction de leur esprit critique. J’ai été particulièrement choqué d’entendre cette personne (par ailleurs académicienne !) critiquer mon courageux et malheureux collègue Samuel Paty, victime du fanatisme et de l’ignorance la plus crasse, dans ses choix pédagogiques. C’est une insulte à sa mémoire et une véritable violence faite aux enseignants devant faire, au quotidien, barrage de leur corps à ces idéologies mortifères. Merci de transmettre mon message à l’équipe de Par Jupiter et à l’intéressée.

Mme l’académicienne,
Et si nous faisions confiance à notre collègue, dont la mort violente nous a tous choqués, ainsi qu’à tous les professeurs qui justement enseignent cette précieuse liberté d’expression. Faisons leur confiance quant à leur façon d’aborder ces dessins… Étiez-vous en classe pour juger de cette pédagogie ?
Les dessins choquants, les images violentes sont malheureusement le quotidien des enfants… J’estime que justement éduquer le regard critique fait partie de nos rôles d’adultes et d’enseignants.
Et un enfant, même plus jeune encore, est capable de réfléchir pourvu qu’on le guidât. Il apprendra ainsi à devenir un citoyen éclairé.
Et il me semble que justement la jeune fille dramatiquement à l’origine de cette tragédie n’était pas en classe et n’a pu transmettre le déroulé du cours que vous semblez incriminer.
Mourir pour avoir enseigné, pour avoir essayé d’élever ses élèves vers une pensée plus libre, c’est horrible humainement et démocratiquement.
Je vous transmets ma pensée du bas, celle d’une petite enseignante d’élémentaire actuellement en Burn Out pour prendre son métier trop à cœur, celui noble de former de futur citoyen, dans une société de plus en plus violente et intolérante.
Je vous souhaite une bonne fin de journée, Made du haut,
Merci à toute l’équipe de Jupiter pour vos sourires et ces rires qui nous font tant de bien en ces temps incertains !

Grand respect pour Mme Sallenave et pourtant… Quelle drôle de polémique relancée autour de l’assassinat de Samuel Paty, UN il était considéré, par les élèves comme un super prof, DEUX la jeune fille par qui le crime est arrivé n’était pas en cours le jour où.
Je pense que les élèves de 11, 12, 13, 14 ans sont en capacité de comprendre les caricatures et que ces élèves-là avaient la chance d’avoir un prof qui justement leur expliquait mais en plus il leur donnait la possibilité de s’exprimer sur le sujet dans un cadre. Ce n’est pas ça l’éducation ?


 

Danièle Sallenave a raison

Je suis enseignante en élémentaire et j’ai été très heureuse d’avoir ‘entendu les propos de Mme Sallenave sur le discernement à avoir quant aux contenus que nous montrons à nos élèves, en fonction de leur âge. Merci à Mme Sallenave d’avoir pu aborder ce délicat sujet de la responsabilité de l’Enseignant. Je partage totalement son point de vue. J’ai été moi-même très surprise voire choquée que la caricature de Coco ait été montrée à des collégiens. Bien sûr cela ne déculpabilise en rien les actes odieux commis par la suite. Il y a mille façons d’aborder des thèmes sensibles et nous devons y réfléchir de la façon la plus pertinente et adaptée à l’âge et la maturité de nos élèves.

Pour avoir enseigné à des jeunes migrants au moment des attentats j’ai choisi le dialogue plutôt que d’imposer des images choquantes pour certains. Ça n’a rien à voir avec la liberté d’expression des caricaturistes mais avec la récupération pseudo « républicaine » au point de vouloir imposer ces caricatures aux profs comme base pédagogique aux élèves, de façon très autoritaire. Est ce qu’on impose aux élèves catho des caricatures de curé pédophiles ? Donc vous n’êtes pas seule Danièle !

Cher Guillaume, j’aime bien votre esprit frondeur … mais là : Non ! Daniele Sallenave parle de matériel pédagogique. S’abonne à Charlie qui veut, l’achète qui veut. Mais pourquoi le mettre sous le nez d’enfants qui n’ont pas encore les outils intellectuels pour juger du second degré de ce genre de littérature. Sinon, au nom de la liberté d’expression, pourquoi ne pas utiliser Minute (est-ce que ce torchon existe encore ?) ou les interventions d’Éric Zemmour ? N’oublions pas que lorsqu’ils quittent l’école le soir, les enfants entendent un autre discours : celui des parents qui compte quelquefois plus à leurs yeux que celui de leurs enseignants. Je rejoins Mme Sallenave: montrer les couilles de Mohammed n’a rien d’éducatif … Allez Guillaume, fais-nous rire avec tes micros-trottoirs.
PS – Comment choisissiez-vous vos « intervenants » ? Est-ce que vous lancez un appel : « Y a-t-il des cons ici ? » Ils sont nombreux à lever le doigt : « Moi m’sieur, moi ! »

Danielle Sallenave à raison de poser la question à débattre. Il ne faut pas caricaturer sa position. Comme sa position sur les gilets jaunes. Un des fidèles de votre émission que j’apprécie beaucoup.