Franck Mathevon, Directeur de l’information internationale de Radio France est au micro d’Emmanuelle Daviet
Emmanuelle Daviet : Comment définissez vous la ligne éditoriale choisie pour couvrir le conflit entre Israël et l’Iran ?
Franck Mathevon : Je ne sais pas si il y a une ligne éditoriale, je dirais, qui est en tout cas un credo. Et ce credo, c’est d’offrir la couverture la plus équilibrée possible en étant de chaque côté et dans chaque camp. Alors ça veut dire quoi ? Ça veut dire que, côté israélien, évidemment, on envoie des reporters sur le terrain, on a un correspondant à Jérusalem, on a plusieurs pigistes, c’est à dire des journalistes qui travaillent pour nous, mais aussi pour d’autres médias qui sont sur place. On envoie donc des reporters qui sont déployés avec des techniciens. On est très présents côté israélien pour constater ce qui s’y passe, les attaques de missiles iraniens. Ça, ce n’est pas un problème d’une certaine manière. Ce qui peut en poser un, c’est d’être aussi présent aux côtés iraniens. Vous savez qu’on a de grandes difficultés à obtenir des visas pour travailler en Iran. Par ailleurs, l’espace aérien est fermé aujourd’hui en Iran. Il l’est également en Israël, mais on parvient à accéder au territoire israélien par la Jordanie. Donc en Iran, c’est particulièrement compliqué. On a là aussi un pigiste, Siavosh Ghazi, qui travaille très régulièrement pour nous et qui peut nous rendre compte de la situation et des nombreuses victimes, des nombreux dégâts qui peuvent se produire côté iranien. Mais on a besoin aussi et c’est toute la difficulté de l’exercice depuis une bonne semaine maintenant. On a besoin aussi d’obtenir des témoignages, donc d’aller à la recherche de contacts qui peuvent nous raconter ce qu’ils vivent actuellement sur le territoire iranien via les réseaux sociaux. C’est difficile parce qu’il y a des contraintes supplémentaires et notamment de grandes difficultés à obtenir un bon réseau Internet. Il y a des attaques cyber. Enfin, il y a plusieurs obstacles à surmonter de ce type, mais notre objectif est d’offrir à nos auditeurs une couverture équilibrée.
Emmanuelle Daviet : Alors, par rapport à ces obstacles, il y a des questions récurrentes dans les messages des auditeurs : comment gérez-vous l’équilibre entre la rigueur factuelle, la diversité des points de vue et les contraintes de terrain ?
Franck Mathevon : Mais les contraintes de terrain, je viens de vous les exposer. Pas facile donc d’être suffisamment équilibré entre le camp iranien et le camp israélien. Mais on s’y efforce et après la diversité des points de vue, elle peut parfois être difficile à obtenir dans un conflit entre l’Iran et Israël. Peut-être aussi parce qu’il y a une tendance naturelle à diaboliser le régime iranien. Les droits de l’homme, les droits des femmes sont bafoués en Iran. C’est un régime qui applique la loi islamique. Il applique la peine de mort également. C’est assez loin de nos standards occidentaux. Mais il ne faut pas oublier d’abord qu’il est important d’entendre le point de vue du pouvoir iranien. Et puis il y a aussi tout un peuple, et notamment une partie de la population iranienne qui est opposée au régime. Donc il est indispensable de pouvoir entendre cela aussi, surtout à un moment où une forme de nationalisme iranien peut s’emparer de toutes les couches de la population, y compris des opposants.
Emmanuelle Daviet : Les journalistes ne sont pas autorisés à se rendre à Gaza pour couvrir ce qui s’y passe, mais continuent donc, vous l’avez dit, à réaliser des reportages en Israël et des auditeurs y voient, je cite, « une forme de complicité involontaire » et ils demandent que l’information sur Israël soit traitée avec la même retenue contrainte concernant Gaza. Comment recevez vous ce type de remarques ?
Franck Mathevon : Alors j’ai un peu de mal à comprendre ce que veut dire cet auditeur. Donc l’idée serait que parce qu’on ne peut pas aller à Gaza, il faudrait finalement qu’on n’aille pas non plus en Israël.
Emmanuelle Daviet : En résumé c’est ça
Franck Mathevon : Voilà, ça me semble totalement contraire en fait à nos principes journalistiques. Évidemment, on va continuer de raconter ce qui se passe en Israël parce qu’on y est présent et notre mission est de raconter ce qui se passe à Gaza à travers des témoignages, des sources. Qu’il est indispensable qu’on obtienne. Donc, il faut qu’on travaille sur le terrain à Gaza sans y être, évidemment. C’est une difficulté qui rejoint celle qu’on vient de décrire concernant l’Iran. Mais c’est une difficulté qu’on est obligé de surmonter. Il faut se battre pour raconter au quotidien ce qui se passe à Gaza et pouvoir offrir là aussi à nos auditeurs une couverture équilibrée du conflit.
Emmanuelle Daviet : On rappelle pourquoi les journalistes ne peuvent pas aller à Gaza ?
Franck Mathevon : Ils ne peuvent pas aller à Gaza parce qu’Israël leur interdit de se rendre à Gaza. On essaie de se battre contre cet état de fait depuis le début du conflit. Depuis octobre 2023, c’est extrêmement difficile d’obtenir des passe-droits. Il y a eu quelques journalistes qui ont pu accéder à certaines zones de Gaza avec l’armée israélienne. Ça a été le cas de journalistes de Radio France, mais c’est extrêmement rare et ça rend très difficile la couverture de ce conflit.