Entre le 9 et le le 12 juin dernier, France Culture diffusait la série « Regarder Gaza en face ». Les auditeurs nous ont écrit tout au long de la diffusion. Pour leur répondre, Emmanuelle Daviet reçoit Julie Gacon productrice de « Cultures Monde ».

Emmanuelle Daviet : Nous consacrons aujourd’hui le rendez-vous de la médiatrice à votre série « Regardez Gaza en face« , quatre épisodes diffusés du 9 au 12 juin dernier et que l’on retrouve sur l’application Radio France. Les auditeurs nous ont écrit au sujet de cette série et il est important de lire leurs mots car les compliments sur la couverture médiatique de ce qui se passe à Gaza sont rares. Voici un message. « Je voudrais féliciter Julie Gacon et son équipe pour le travail rigoureux, approfondi, parfois très technique mais toujours pleinement humain, réalisé pour la série. Et regardez Gaza en face qui selon moi mérite un prix ». Autre message « du concret, du factuel qui retourne les auditeurs à faire écouter au plus de monde possible. » Julie Gacon, quel fil rouge avez-vous choisi pour réaliser ces émissions ?

Julie Gacon : Eh bien la programmation d’une série qu’on a appelé « Regarder Gaza en face », l’idée était vraiment de proposer aux auditeurs une série entièrement centrée sur la réalité à Gaza. Éviter une approche trop géopolitique, trop distancée, avec un maximum de voix et d’expertises, soit palestinienne, soit d’invités qui ont pu s’y rendre pendant la guerre ou qui ont très souvent fait des allers retours à Gaza. La logique du fil rouge a été aussi de « dézoomer », progressivement depuis le terrain. Avec Jean-Pierre Filiu, qu’on a reçu pour le premier épisode qui lui a passé un mois à Gaza entre décembre et janvier dernier, jusqu’à la question de l’Etat palestinien. Qu’est-ce que ça veut dire de continuer à parler d’un État palestinien quand il n’y a plus de territoire jusqu’au droit international humanitaire et les actions à la Cour internationale de justice ?

Emmanuelle Daviet : Des auditeurs souhaiteraient savoir comment vous avez sélectionné vos interlocuteurs.

Julie Gacon : On a essayé d’avoir des chercheurs palestiniens, beaucoup, mais avec beaucoup de difficultés. On avait eu vent, par exemple, par un long portrait dans le monde, qu’un idéologue palestinien était en France accueilli dans les Cévennes. On avait envie de l’entendre sur la question de l’eau à Gaza, on a eu du mal à le joindre. On a réussi à le faire un peu tard. Il était anglophone et à Cultures Monde, on ne peut pas toujours donner la parole à des anglophones. C’est un peu étrange, mais on doit faire attention à cette question de la langue. En revanche, on a une hydrologue qui a beaucoup travaillé avec lui, francophone. On ne s’est pas dit qu’on avait une obligation de contradictoire d’avoir, par exemple, là, le point de vue d’Israël sur cette série-là, ça n’avait pas de sens parce qu’on voulait décrire une réalité, être les plus factuels possible. Ça ne veut pas dire pas de nuance, bien sûr. Et on a bien entendu, je crois, que tous les invités ont évoqué à un moment le Hamas, ce qui est le cauchemar dans le cauchemar pour les Gazaouis, des militants du Hamas qui se sont terrés dans les souterrains, dans les tunnels juste après les attentats du 7 octobre, justement pour éviter les représailles d’Israël et laissant la population de Gaza aux représailles israéliennes. Donc ce n’était pas notre démarche. En revanche, avoir des gens les plus près du terrain jusqu’à des invités gazaouis et je voudrais insister sur le témoignage de Iyad Alasttal un réalisateur palestinien dont la voix est très précieuse, Gazaoui lui même et sur place, au début de la guerre, il a pu finalement rejoindre Perpignan, où est sa famille. On l’a longuement entendu mardi.

Emmanuelle Daviet : Question d’une auditrice : à quelles difficultés avez-vous été confrontés pour préparer ses émissions ?

Julie Gacon : Eh bien du point de vue de la programmation, d’abord un découpage en quatre épisodes, donc 4h c’est pas évident à penser, parce que concevoir 4h sur le même territoire en guerre sans se répéter, ça a vraiment fait l’objet entre nous de très longues discussions collectives. Je pense qu’on a beaucoup, plus que pour des séries précédentes, pris le temps, tous ensemble, à un moment de tout arrêter, de dire où est ce que vous en êtes chacun, comment ça va aussi parce que les réalités sont très difficiles à raconter et à regarder. Il a fallu regarder beaucoup de films aussi pour nourrir nos préparations, Mélanie Chalandon qui programme l’émission. On y a pensé bien plus en amont que d’autres séries pour qu’on ait le temps de réfléchir à la façon dont on en parle. Et puis ensuite, à l’antenne, le choix des mots est primordial quand on sait que sur un sujet comme ça, bien sûr, les auditeurs y sont sensibles. La gravité du sujet, bien sûr, et le choix des mots.

Emmanuelle Daviet : Julie Gacon, y-a-t-il un témoignage ou un moment de cette série qui vous a particulièrement marquée ?

Julie Gacon : Le marionnettiste du film Iyad Alasttal qu’on entend longuement, qui raconte. C’est un grand jeune homme avec des lunettes rectangulaires. Il a créé une marionnette qui s’appelle Youssef. C’est à l’effigie d’un petit garçon qui est mort pendant un bombardement et que sur les réseaux sociaux, on avait vu sa mère chercher à l’hôpital. Elle disait à tout le monde « Il a les cheveux blonds, bouclés et doux. Je le cherche. Où est il ? » Et donc il a fabriqué une petite marionnette, Youssef, qui lui ressemble, à son effigie, qui est un peu la mascotte des enfants, mais il a dit que généralement, il crée des marionnettes pour que les enfants de Gaza puissent avoir quelqu’un à qui parler, à qui se confier. C’était très beau. Et puis un guitariste aussi, Ahmed, à qui une auditrice a proposé d’envoyer sa propre guitare. Alors avec le blocus, elle ne pourra pas lui parvenir. Mais il a touché beaucoup d’auditeurs, je crois.

Emmanuelle Daviet : Quel est, selon vous, l’élément important que les auditeurs doivent retenir de ce que vous avez voulu leur transmettre ?

Julie Gacon : On comprend qu’il puisse y avoir une fatigue médiatique, comme on dit sur ce sujet à Gaza, mais il faut s’efforcer, on le croit vraiment dans Cultures Monde de ne pas céder à cette fatigue, de continuer à en parler. Le débat sur la question du génocide est important, mais Julia Grignon, une juriste qu’on a entendu dans la série nous a dit qu’il n’y avait pas de hiérarchie entre les crimes et qu’on n’a pas besoin d’attendre la preuve ou un jugement sur un génocide pour s’insurger déjà contre les atteintes à la dignité humaine, quelle que soit la façon dont on les qualifie.

Emmanuelle Daviet : Merci Julie Gacon et j’invite vraiment les auditeurs qui n’ont pas encore eu l’occasion d’écouter cette série, de se rendre sur l’appli Radio France pour découvrir ces voix, ces sons qui méritent d’être écoutés par tous.