Réforme des retraites : commentaires sur le traitement journalistique 

Alors que la grève contre la réforme des retraites a été très suivie hier, partout en France, et que le gouvernement poursuit ses efforts pour défendre son « projet de justice », les auditeurs s’expriment massivement sur le traitement éditorial de cette actualité avec deux thématiques qui se dégagent nettement dans leurs courriels :   

Premier constat des auditeurs : à l’écoute des antennes, la réforme semble déjà actée pour les journalistes :   

« A l’écoute de France Inter nous avons le sentiment que la réforme des retraites est déjà entrée en application, et on nous explique ce qui va changer. C’est consternant. Faut-il rappeler que les débats, les amendements, les votes à l’Assemblée Nationale et au Sénat ne sont pas encore réalisés ? Tout cela on semble l’ignorer à France Inter en nous présentant cette réforme comme déjà arrêtée, comme une évidence, fatale, et que toute opposition serait inutile. »  

« Je suis très étonnée que les journalistes de Franceinfo présentent régulièrement le projet de réforme des retraites comme un fait acquis en utilisant des formules telles que « les Français devront travailler plus ». Un traitement correct de l’information demande une formule telle que « le gouvernement propose de faire travailler les Français plus longtemps ». En présentant la réforme comme un fait acquis, on peut considérer que c’est un traitement tendancieux de nature à décourager les auditeurs opposés à ce projet. »    

« En écoutant vos journalistes qui parlent ou essaient d’expliquer ce que le gouvernement veut mettre en place pourquoi est-ce que presque tous emploient le futur et non le conditionnel. Il faudrait leur rappeler que la loi n’étant toujours pas votée, il faut employer le conditionnel. Le futur de l’indicatif nous incite à croire que tout est déjà joué. Ce qui n’est pas le cas. »   

Le second grief porte sur les points de vue qui seraient diffusés sur les antennes. Deux tiers d’auditeurs qui nous écrivent considèrent qu’ils n’entendent que des avis opposés à cette réforme, un tiers estime que seules les voix favorables à la réforme des retraites sont données à entendre :  

« Je n’entends aucun témoignage et aucun commentaire favorables à la réforme des retraites proposée par le gouvernement autres que les interventions des membres de ce gouvernement or il existe des personnes ou institutions qui y sont favorables. Les journalistes se doivent d’être objectifs. Pourriez-vous intervenir dans ce sens ? »   

« Au moins 60 % des Français sont opposés à la réforme des retraites imposée par le gouvernement. Je ne comprends pas que la majorité des témoignages retenus par la rédaction de France Inter soient des gens favorables à la réforme. Ces témoignages passent d’ailleurs à l’heure de la plus forte écoute… Est-ce si difficile de trouver des ouvriers, des enseignants, des retraités, ou toute autre catégorie sociale, opposés à la réforme ? Des propositions alternatives ? »   

« Dans des journaux matinaux, les auditeurs ont pu entendre un micro-trottoir au cours duquel ne s’expriment que des grévistes potentiels ou des gens qui, même impactés par la grève, la soutiennent et des syndicalistes qui peuvent dérouler leurs discours forcément orientés. Quel monde formidable que celui des journalistes de France Inter dans lequel, il y a 100% de français contre la réforme des retraites et 100% de syndiqués. De qui vous moquez-vous ? Partialité et propagande sont les deux mamelles de l’information sur l’audiovisuel public. Gênant, non ? »  

Demain dans le rendez-vous de la médiatrice sur Franceinfo à 13h20 et 16h20 nous reviendrons sur le traitement éditorial de la réforme des retraites avec Philippe Rey, directeur de la rédaction.

Les jeunes retraités : pôles de stabilité financière et sociétale pour les auditeurs 

Au-delà de leurs avis sur le traitement journalistique de cette actualité, les auditeurs partagent avec nous leurs points de vue sur cette réforme. Trois thématiques, que l’on peut résumer sous forme de questions, reviennent régulièrement dans leurs courriels :   

– Si les seniors, souvent grands-parents, doivent travailler plus longtemps, qui va pouvoir garder leurs petits-enfants lorsqu’il n’y a pas de place en crèche ou en centre de loisirs, ni les moyens pour financer une garde ? 

– Si l’âge de la retraite est repoussé, qui va se mobiliser pour faire vivre les associations de bénévoles, indispensables au lien social, culturel et sportif sur l’ensemble du territoire ?   
– Enfin, pourquoi ne pas prendre en compte les années d’études longues pour le calcul des trimestres ?  

Dans les courriels, les jeunes retraités sont donc présentés comme des pôles de stabilité financière et d’entraide intergénérationnelle. Ils soutiennent, par leur présence active et dans un contexte financier difficile, leurs enfants qui fondent une famille ou les associations, vitales dans notre pays : 

« Prolonger l’âge de la retraite, c’est aussi créer de gros problèmes à toutes les familles qui comptent sur les grands-parents pour garder les enfants hors périodes scolaires. Les difficultés d’avoir de la place dans les centres de loisirs vont s’accentuer. Sans parler des associations qui fonctionnent en grande partie avec des retraités et pallient les déficiences de l’État… Cessez de travailler sur des dossiers dans vos rédactions et regardez ce qui se passe sur le terrain ! »  

« Cette réforme comporte des effets pervers. Quid des parents qui n’ont pas les moyens de payer une nounou et qui font garder leurs enfants par les grands-parents ? Quid des très nombreuses associations dont les forces vives sont les jeunes seniors ? Cet angle mort de la réforme n’est pas pris en compte. Et plus généralement, le gouvernement aurait dû déployer cette énergie « réformatrice » dans une réelle transition écologique qui est la grande menace pour notre futur. »  

Sur la prise en compte des études longues, des auditeurs estiment qu’il y a une réflexion à mener :  

« J’écoute beaucoup France Inter et depuis plusieurs jours vous parlez beaucoup de ceux qui ont commencé à travailler tôt et qui n’ont pas fait d’études. Pourquoi ne parlons-nous jamais de ceux qui ont fait des études et qui ont commencé à travailler à 24, 25, 26 ans ? Pourquoi ne prend-on pas les années d’études (sanctionnées par un diplôme, 3 ans pour une licence, 5 ans pour un master, et pas les années passées à la fac) pour le calcul des trimestres ? Nous avons travaillé pendant ces années, les études ne sont pas des vacances, beaucoup ont même des emplois difficiles après 5 ans d’études, c’est un sujet jamais abordé. »  

Système éducatif français : donnez la parole aux lycéens !  

Samedi 14 janvier, les invités du « Grand Face-à-Face XXL » étaient Camille Dejardin, professeure agrégée de philosophie, auteure du Tract « Urgence pour l’école républicaine » (Gallimard), et Pierre Mathiot, politologue, directeur de Sciences Po Lille.  

Ce débat sur le système éducatif a passionné les auditeurs, ils ont été très nombreux à réagir à l’émission. C’est suffisamment rare pour être souligné, de jeunes auditrices et auditeurs, lycéens, ont écrit à la suite de cette émission, regrettant que la parole en plateau ne soit pas plutôt donnée aux élèves directement concernés par Parcoursup : 

« Je suis élève en Terminale donc au contraire des adultes de ce plateau je vais parler d’expérience vécue. La réforme des spécialités est très bien car cela permet aux élèves d’étudier des choses qui leur plaisent. Et lorsqu’une matière nous plaît on l’apprend bien mieux. De plus, le choix de ces spécialités ferme très peu de portes mais il est vrai que si vous choisissez des spécialités scientifiques, une entrée en fac d’histoire sera plus compliquée mais pas impossible.  
Le point négatif de cette réforme c’est majoritairement la charge de travail et le laps de temps pour l’apprendre. Le programme est beaucoup trop concentré à cause du fait que le bac soit en mars.  
De plus, il faudrait inviter les premiers concernés à vos débats. C’est à dire : les élèves et non des adultes ayant quitté il y a 20 ans le système de l’Education nationale. »   

« Merci de donner la parole directement aux ados en plein Parcoursup : j’ai 17 ans, je suis en Terminale, et oui mon orientation a été décidée dès la fin de seconde avec le choix de spécialités. Les élèves n’ayant pas encore de projets de métiers se retrouvent en galère, enfermés dans des parcours dont ils ne peuvent plus sortir. Le fait de ne pas pouvoir hiérarchiser ses choix dans Parcoursup posent problème, et est très stressant ; ce stress se rajoute à celui du contrôle continu. »   

« Pourquoi ne pas poser toutes ces questions aux enfants qui sont concernés ? Nos sociétés les sous-estiment bien trop. »  

Coup de cœur des auditeurs  

Mardi, dans son interview de 9h10, Sonia Devillers recevait Asma (son prénom a été modifié) pour évoquer « 75019 Daesh », un podcast réalisé par Céline Martelet dans lequel Asma raconte comment elle s’est échappée d’une famille radicalisée. Son frère Boubaker el Hakim était considéré comme un « émir français » de Daesh. Les propos pleins de vitalité et de courage de cette jeune femme ont touché les auditeurs :  

« Si vous pouviez transmettre à Asma ma reconnaissance, mon émerveillement et mon bouleversement à l’écoute de son témoignage ce matin. Quel courage, quelle intelligence vive et salutaire !!! Quelle force de caractère, d’espoir d’entrevoir un peu de lumière même au plus profond du tunnel ! Merci Merci Merci…Infinis remerciements pour ton témoignage, pour ta voix fraîche, digne et libre. Je ne sais pourquoi me vient à l’esprit la remise des légions d’honneur à tant « d’imméritants » … Ton courage, ta révolte et ton amour de la liberté est inestimable.  Merci encore d’avoir eu le courage et la générosité de partager ton expérience. » 

« Maman d’une victime des terrasses, les noms de Boubaker El Hakim, de Peter Shérif font partie de notre histoire. C’est avec beaucoup d’émotion que j’ai entendu l’interview de Asma. Je voudrais saluer ici son courage, son audace, sa « pétillance » et saluer aussi les journalistes qui ont recueilli sa parole. Parole sincère, intègre et qui contribue à remettre les pendules à l’heure. » 

« C’est bon la liberté, merci pour votre échange, bravo Asma, quelle énergie de vie ! ça nous aide aussi à réaliser que, oui, que c’est bon la liberté de vivre une vie simple, d’écouter la radio, de travailler, … Merci pour ce partage matinal, bonne route Asma ! Merci Sonia et l’équipe pour l’intelligence dans le bon sens ! »  



Emmanuelle Daviet
Médiatrice des antennes de Radio France