1. Titan versus migrants
2. Débat de l’actu : le projet de loi sur l’immigration
3. Missak Manouchian
4. Le pacte enseignant
5. Les Soulèvements de la Terre

6. Camille Etienne sur France Inter
7. La publicité sur les antennes
8. « C’est encore nous » sur France Inter

9. L’expression « ce que vous devez retenir »
10. La langue française


Titan Versus migrants 

Un Français, un Américain, un Britannique et deux Pakistano-Britanniques ont plongé dimanche vers les abysses à bord du Titan, un submersible long d’environ 6,5 mètres, utilisé pour se rendre dans la zone du naufrage du Titanic. Le contact avec l’engin a été perdu moins de deux heures après son départ et des recherches intenses ont été lancées pour retrouver ce petit sous-marin touristique, porté disparu dans l’océan Atlantique au large de l’Amérique du Nord.     

Cette actualité a fait vivement réagir des auditeurs de France Inter qui s’indignent des choix éditoriaux pour évoquer ce sauvetage. Ils dénoncent, à l’unanimité, le deux poids deux mesures entre la couverture journalistique accordée aux touristes du Titanic et le traitement médiatique réservé aux 400 à 750 migrants, victimes du naufrage au large de la Grèce la semaine dernière. Ils estiment que les journaux ont accordé une place démesurée aux recherches pour retrouver ce petit sous-marin.   

Tout en souhaitant le sauvetage des cinq touristes, des auditeurs ont estimé être face à un événement sans véritable envergure, alors même que des centaines de vies se perdent en Méditerranée dans la quasi-indifférence. 

A travers leurs messages les auditeurs expriment avec force leur volonté de voir une couverture médiatique plus équilibrée, où les enjeux humains et les réalités tragiques sont traités avec justesse afin que les drames plus meurtriers ne restent pas relégués en arrière-plan.   

Au-delà des paradoxes relevés dans le traitement médiatique de ces évènements, des auditeurs soulèvent le contraste saisissant entre les moyens colossaux déployés pour tenter de retrouver un submersible touristique et les ressources limitées aux sauvetages en mer Méditerranée, où des vies sont perdues en masse. Cette distorsion est à leurs yeux « obscène » : 

« Chaque flash évoque les recherches en cours et les moyens mis en œuvre pour retrouver 5 personnes qui ont accepté de risquer leur vie pour faire du tourisme sous-marin en payant 250 000 dollars. On aurait aimé qu’autant de moyens soient déployés pour secourir les 400 à 750 passagers, hommes femmes enfants, du bateau de migrants qui a coulé tout récemment au large de la Grèce. Chacun d’eux avait payé 4000 euros pour tenter de sauver sa vie quand d’autres s’amusent à risquer la leur pour 250 000 dollars.  
Il y a une indécence, une obscénité à nous relater heure par heure la tentative de sauvetage de ces milliardaires, quand on a laissé sombrer et fait si peu pour secourir ces malheureux.  
Je suis affligé que personne dans les éditions d’info de la « Première radio de France » n’ait fait ce parallèle édifiant qui en dit long sur nos égoïsmes. » 


« Je suis extrêmement choqué d’entendre que « le monde tremble » dans le journal de France Inter pour la recherche d’un sous-marin de tourisme appartenant à un milliardaire en regard des drames de naufrages de réfugiés qui meurent dans la Méditerranée. Les moyens déployés (en coût) sont sans doute impressionnants mais vous n’en dites mot ? Comment ne pouvez-vous pas faire le parallèle entre un monde où rien n’est impossible quand il s’agit d’un milliardaire et tout est impossible quand il s’agit de pauvres réfugiés ? Vous suivez simplement le flux d’actualité qui fait consensus dans tous les médias. Votre prise en charge de cette actualité est assez inquiétante. »  

« En tant qu’auditeur fidèle de France Inter je me permets de vous partager mon étonnement et relatif dégoût à l’écoute ce matin parmi les sujets d’actualité de l’évocation de l’exploration du Titanic. En quoi ce sujet est-il d’intérêt général, quand on connaît la réalité des naufrages d’un tout autre genre, d’un tout autre public, en Méditerranée chaque semaine ?! Quel décalage, quelle maladresse, dans le traitement de ce sujet qui ne mérite pas la une. J’attends de France Inter plus de discernement et de responsabilité quant au choix des sujets d’actualité du journal. »  

« Voici trois jours que le sous-marin Titan a disparu avec 5 passagers à bord, les grands moyens sont déployés pour les retrouver et France Inter nous tient informé heure après heure du déroulement des opérations. Je me suis mis à rêver que cela aurait pu être mis en œuvre la semaine dernière pour le naufrage du bateau de pêche au large de la Grèce chargé de centaines de femmes et d’enfants. » 

Nous comprenons les points de vue des auditeurs, cependant, comme en atteste la sélection de reportages consacrés au naufrage des migrants survenu la dernière semaine, force est de constater que France Inter et l’ensemble des rédactions de Radio France, ont largement couvert cet évènement. La diversité des formats et des émissions sur les antennes de Radio France a permis d’aborder cette tragédie sous plusieurs angles, en donnant la parole aux experts, aux témoins, ainsi qu’aux acteurs humanitaires et politiques engagés dans la gestion de la crise migratoire. Ces différents éclairages ont permis de cerner la réalité dramatique que vivent de nombreux migrants en quête de sécurité et de meilleures conditions de vie, les enjeux humanitaires et les défis pour les pays d’accueil. Ces analyses, ces témoignages, ces points de vue divergents sur la question favorisent une réflexion collective sur les politiques migratoires, les droits des personnes déplacées et les responsabilités internationales. 


Le projet de loi sur l’immigration 

La Première ministre Élisabeth Borne a annoncé mardi que le projet de loi sur l’immigration serait examiné par les députés au mois de novembre. Le contenu de ce projet de loi doit être précisé en juillet. Les auditeurs de France Inter et France Culture partagent dans cette Lettre leur point de vue sur cette question complexe et sensible.  

Ils attendent, sur les antennes et dans l’hémicycle, des débats solides, éclairants et dignes. Il est primordial, selon eux, que les discussions qui entourent ce projet de loi s’affranchissent des émotions exacerbées, de la « moraline » ou du « déni ». Ils aspirent à une analyse approfondie et à une évaluation objective des enjeux afin que les législateurs prennent des décisions raisonnables et équilibrées, tenant compte des impératifs économiques du pays, mais aussi des aspirations profondes de notre société et du respect de la personne humaine. 

« Qu’il est donc difficile d’arriver à avoir un débat apaisé sur l’immigration en France. Sur l’intégration, sur l’accueil, sur la pauvreté, sur la souffrance, l’inquiétude, la peur. Nos sentiments à tous. De là où nous sommes. Français, Aspirants français. Souche ou pas. Enfin nous tous. Il devient réellement insupportable d’entendre qu’il y aurait des gens moraux d’un côté et des gens froids et sans morale de l’autre. Se poser la question de l’immigration dévie systématiquement vers des règlements de compte. Le meilleur moyen de ne jamais avancer. On peut avoir conscience que l’immigration pose problème. Que l’intégration ne fonctionne pas. Essayer de comprendre sans être dans un rejet systématique de l’autre. La société se fracture de toute part, et en haut, ceux qui devraient donner l’exemple, sont infoutus d’avoir une discussion apaisée. » 

« Que dire des pays qui laissent partir leur population, ces pays qui se privent d’humains qui sont courageux au point d’affronter la mort ? Nous n’entendons jamais les chefs d’Etat, les ministres de ces pays. Je le regrette. » 

« Chaque matin, dans chaque émission vous nous parlez du droit d’asile avec des « il faudrait, yaka » ! Vous ne parlez jamais des raisons réelles, profondes des immigrations. A l’heure actuelle vous vous badigeonnez de bons sentiments, car nous ne faisons pas assez pour ceci pour cela ! Jamais vous évoquez les situations de ces pays, qui pour la plupart sont des dictatures politiques, religieuses, acceptées tacitement par la population qui n’est concernée qu’au moment où cela devient intenable. » 

 

Autonomie intellectuelle 

La formule « Ce que vous devez retenir » en début de journal agace de plus en plus des auditeurs. Ils expriment leur lassitude face à cette injonction systématique qui, disent-ils, les prive de leur libre arbitre et de leur capacité à décider par eux-mêmes ce qui est important dans l’actualité. Les journalistes ont déjà, par définition, un pouvoir très important en sélectionnant l’information qu’ils relayent, ou qu’ils choisissent de ne pas partager. Pour des auditeurs, amorcer systématiquement un journal par : « ce que vous devez retenir de l’actualité aujourd’hui » est une consigne qui réduit le rôle d’auditeur à une simple réception passive d’informations prédéfinies. Témoignages de leur exaspération : 

« “Ce que vous devez retenir”… “ce qu’il faut penser”, je ne supporte plus ces expressions toutes faites, qui n’ont aucun sens et nous prennent pour des incapables de penser par nous-mêmes. Un peu d’humilité, aussi, et moins de personnalisation dans la présentation de l’information. » 

« Non, nous, auditeurs, ne « devons » certainement pas retenir ce que le ou la journaliste aura bien voulu estimer que nous « devrions » retenir. Les mots ont un sens, ce n’est pas à des journalistes que je vais l’apprendre. Alors oui, nous « pouvons » retenir certains éléments de l’actualité, mais ne le « devons » certainement pas. » 

« Tous les jours vous me blessez quand vous me dites « Ce que vous devez retenir de l’actualité ce soir ». En avez-vous conscience ? De toute façon l’éditorial est un choix, et d’ailleurs vous le rappelez-vous même quand vous dites que l’actualité est vaste. Déjà je m’en veux tellement de ne pas comprendre couramment l’anglais et l’allemand pour m’informer de façon plus autonome, et vous, vous m’enfoncez un peu plus chaque jour en me rappelant ma dépendance. Ainsi donc, ne pourriez-vous pas ménager vos auditeurs, et humblement nous dire plutôt « Ce que nous avons retenu pour vous ce soir », ne serait-ce pas plus juste, plus respectueux de notre libre arbitre, moins… « Big Brother ». Démarquez-vous donc de vos concurrents, changez cette expression qui heurtent tant d’auditeurs, tous les jours. » 

« Quand j’entends : “Voilà ce que vous devez retenir de l’actualité”, je suis très mal à l’aise et cela heurte ma sensibilité. Je n’attends pas des journalistes qu’ils me disent ce que je dois retenir, je n’ai pas à recevoir d’injonction. J’attends, surtout de France Inter, qu’elle me propose une lecture de l’actualité, à partir de laquelle je tenterai de me faire mon opinion. Cela peut paraître un détail, mais s’il-vous-plaît, pourriez-vous modifier cela ? » 



Chaque semaine, à travers leurs messages, les auditeurs nous rappellent qu’ils ne sont pas de simples auditeurs passifs, mais des citoyens engagés et critiques. Leur implication dans l’écoute des programmes et l’engagement qui s’ensuit dans l’écriture de courriels témoignent de l’importance qu’ils accordent à notre rôle en tant que média de service public. Chaque message est le reflet d’une relation dynamique entre un auditeur et “sa radio” et témoigne de son implication citoyenne, de la volonté d’exprimer une sensibilité, de débattre ou de participer au dialogue démocratique. 

Nous tenons donc ici à remercier tous les auditeurs qui contribuent à l’existence de cette Lettre, qui se veut un espace de liberté d’expression valorisant la diversité des points de vue. Que les opinions des auditeurs soient en accord avec les choix éditoriaux des antennes, ou qu’elles s’en distinguent, nous encourageons une interaction ouverte et respectueuse. Cette visibilité donnée à la critique peut également favoriser la remise en question des certitudes, avec toujours cette conviction : la confrontation des idées est essentielle pour alimenter un débat constructif, nécessaire pour façonner le paysage médiatique et démocratique. 

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Emmanuelle Daviet
Médiatrice des antennes de Radio France