Louise Brévins s’est choisie un pseudonyme et s’est prostituée. Elle raconte son expérience dans « Pute n’est pas un projet d’avenir » (Grasset). Elle était l’invitée de 9H10 sur France Inter mardi 11 avril. Réactions d’auditeurs :
Comment pouvez-vous diffuser une interview pareille dans cette tranche horaire de grande écoute et durant les vacances scolaires ?
Je ne suis pas pour censurer l’expression mais tout de même ! Le contenu qui se veut non pornographique car exprimé dans sa technicité, de manière crue, sans détour mérite un public averti, qui choisit de comprendre ce que souhaite exprimer l’invitée sur son activité. À mon avis, je ne crois pas que le but soit atteint, je dirai même que c’est loupé. J’ai fini par éteindre ma radio, cela ne m’était jamais arrivé.
Franchement une émission très crue à 9h en semaine de vacances. J’ai dû arrêter car je n’avais pas envie que mes petits-enfants qui étaient dans la pièce soient à l’écoute. Franchement vous n’avez pas d’autres intervenants ? Insupportable.
Témoignage sur la prostitution
La prostitution, sujet complexe et sensible, peut susciter de vives réactions chez les auditeurs. Ce fut le cas mardi dernier, à la suite de l’interview de Sonia Devillers à 9h10 sur France Inter. La journaliste recevait une jeune femme relatant ses activités de prostituée durant quatre années, pour subvenir à ses besoins et ceux de son enfant qu’elle a élevé seule alors qu’elle avait 19 ans. Elle raconte cette expérience dans un livre sorti cette semaine aux éditions Grasset : “Pute n’est pas un projet d’avenir”.
Sur la forme, des auditeurs se sont interrogés sur le choix d’évoquer la prostitution à une heure de grande écoute, en particulier en période de vacances scolaires. Ils ont regretté l’absence de mise en garde avant la diffusion de cette interview parfois crue, alors que des enfants et des adolescents écoutaient la radio à leur côté.
Toujours vigilante pour formuler un avertissement préalable lorsqu’un extrait sonore est de nature à heurter la sensibilité, Sonia Devillers regrette sincèrement cette omission au début de son entretien mardi, comme elle nous l’a indiqué lorsqu’elle a pris connaissance des messages des auditeurs.
Sur le fond, des auditeurs questionnent l’utilisation du terme « travail » pour désigner l’activité de prostitution. Selon eux, cela banalise la violence extrême, l’exploitation de la précarité, et légitime un système de domination et d’oppression. Au-delà de ces points de vue étayés qui méritent d’être lus, il est important de ne pas occulter la réalité de cette pratique et de permettre à des personnes directement concernées, de s’exprimer sur leur expérience et ces conditions de vie.
Il convient donc de trouver un équilibre entre le respect de la liberté d’expression et la protection des auditeurs, notamment les plus jeunes. Proposer une rencontre, un témoignage, c’est tout l’objectif de ce rendez-vous de 9h10, bien résumé par le message d’un auditeur reçu mercredi, après la venue du pianiste Riopy : « Bravo Sonia pour vos interviews, pour le choix de vos invités, aux parcours de vie « atypiques », et à votre façon de nous les faire connaître, à la fois avec une grande bienveillance mais aussi en les amenant au plus profond d’eux-mêmes ! Un moment matinal profond, parfois douloureux, mais léger, optimiste, souvent joyeux et universel ! »
Appeler « travail » ce que subissent les personnes dans la prostitution, c’est légitimer un système de domination, de violences et d’oppression.
« Travailleuses du sexe » : cette appellation se répand pour désigner les femmes qu’on nommait « prostituées » au siècle dernier. Les caissières sont bien devenues des « hôtesses de caisse », et les femmes de ménage des « techniciennes de surface » : est-ce le même type d’euphémisme ? En parlant de « travailleuses du sexe », beaucoup s’imaginent faire preuve de respect envers ces personnes, sans voir que d’autres ont intérêt à normaliser une situation archaïque d’enfermement des femmes pour accroître leurs propres profits.
Pour signifier « prostituée », les mots imagés ont de tout temps abondé : soit des euphémismes, « fille de joie » ou « dame de petite vertu », soit des injures, « sac à foutre », « traînée » ou « pouffiasse ».
De nos jours, coexistent « pute » (et sa variante « putain »), « prostituée », « personne prostituée », « personne en situation de prostitution » et « travailleuse du sexe » ; le sigle aseptisé TDS déshumanise ces personnes (comme pour les SDF), en même temps qu’il banalise et dispense de tout questionnement.
Certaines choisissent de choquer en se désignant comme des « putes » (en anglais sluts ou whores). Au contraire, l’expression « personne en situation de prostitution », due à des travailleurs sociaux, a pour but d’éviter un marquage identitaire, en insistant sur le caractère temporaire de la situation.
L’expression « sex work » (« travail du sexe ») a été forgée dans les années 1970 aux États-Unis dans le but de normaliser un marché particulièrement lucratif dans un système ultra-libéral. S’accompagnant à l’origine d’une revendication de dignité, « sex work » et « sex worker » s’appliquent uniquement aux personnes prostituées. Un gynécologue n’est pas un « travailleur du sexe », et de même pour un réalisateur de films pornos.
Zéromacho, réseau international d’hommes engagés contre le système prostitueur et pour l’égalité femmes-hommes, conteste l’assimilation de la prostitution à un travail. Qualifier la prostitution de « travail », c’est occulter la double domination, à la fois capitaliste et machiste, qui s’y exerce. Les proxénètes et trafiquants qui organisent ce marché en tirent des revenus considérables : les prostitueurs (appelés complaisamment « clients », ce qui valide une analyse purement économique de la « transaction ») se voient reconnaître le droit d’imposer un acte sexuel à une personne recrutée parmi les plus vulnérables, le plus souvent arrachée par la misère à son pays, à sa famille, après avoir été conditionnée à subir son sort tout au long d’un passé de violences et de maltraitances machistes.
Quelle cause sert-on en employant l’expression « travail du sexe » ? Si l’exigence de la dignité qu’essaient ainsi de sauvegarder des personnes prostituées peut se comprendre, la vigilance s’impose quant aux manœuvres d’un lobby international qui n’a jamais été aussi puissant.
Confondre « travail » et « prostitution », deux réalités qui ont chacune leur histoire et leurs images, c’est vouloir faire oublier le fondement du système prostitueur : la violence, omniprésente, qui serait « blanchie » par la magie d’un billet.
Employer l’expression « travail du sexe », c’est banaliser et normaliser l’exploitation sexuelle des femmes les plus précaires, ce à quoi a abouti la légalisation des bordels en Allemagne ou aux Pays-Bas. Les femmes dans la prostitution sont, dans leur très grande majorité, sous l’emprise de proxénètes et sous la coupe de réseaux criminels organisant la traite internationale d’êtres humains. Appeler « travail » ce qu’elles subissent, c’est légitimer un système de domination, de violences et d’oppression.
Subir des pénétrations à répétition, endurer insultes, humiliations, agressions (toutes les enquêtes montrent que les clients-prostitueurs sont les premiers à exercer des violences contre les personnes prostituées), vivre en permanence dans la méfiance et la peur, est-ce un travail ? Quel serait ce métier fondé sur des discriminations (âge, couleur de peau, mensurations), ainsi que sur des mots et des gestes qui constituent un harcèlement sexuel permanent ?
Telle est pourtant la logique du processus engagé chez ceux de nos voisins européens qui, en voulant légaliser la prostitution, ont en réalité légalisé le proxénétisme, donc le commerce du sexe des femmes, et ont donné à des tenanciers, promus « managers du sexe », un pouvoir sans précédent. En Allemagne, des agences pour l’emploi ont proposé ce « travail » à des chômeuses.
Au contraire, en France, la loi de 2016, inspirée de la loi suédoise entrée en vigueur en 1999, représente un immense progrès : elle considère les personnes dans la prostitution comme des victimes à aider, et réprime les hommes qui leur achètent un acte sexuel ; en 4 ans, 5 000 prostitueurs ont dû payer une amende ou participer à un stage de sensibilisation, au même titre que des auteurs de violences conjugales.
Rapprocher la prostitution du métier de masseuse, c’est confondre le soin, indispensable à l’ensemble des humains, et l’excitation sexuelle, au bénéfice de certains hommes : une différence, non de degré (plus ou moins pénible), mais de nature. En outre, toutes les activités impliquant un paiement ne sont pas des métiers, par exemple dealer de drogue.
Loin des abstractions, la réalité de la prostitution, ce sont des bouches, des vagins et des anus pénétrés, violentés, brutalisés. L’acte de pénétration est en soi violent, quand il est imposé par la contrainte de l’argent. C’est une effraction que subit la personne jusque dans l’ultime refuge qu’est son intimité ; rendue possible par son état de dissociation psychique, cette effraction a des conséquences traumatiques désormais bien documentées.
L’argent n’efface pas la violence. Il n’existe pas de droit à la sexualité qui s’imposerait sans tenir compte d’autrui. De même, le désir d’enfant ne crée pas de droit à l’enfant pour des couples louant l’utérus d’une femme pauvre.
La prostitution n’est ni du sexe, ni du travail : c’est de la violence. En achetant le silence de la personne à laquelle il l’inflige, le prostitueur lui interdit de la dénoncer.
Partout dans le monde, des syndicats (en France, la CGT notamment) s’opposent à la confusion imposée par le lobby proxénète entre travail et exploitation prostitutionnelle.
Dans un monde de justice et d’égalité, la sexualité sera une rencontre et un dialogue entre deux désirs d’adultes.
La sexualité, reconnue comme un élément important d’identité pour les hommes prostitueurs, l’est tout autant pour les personnes en situation de prostitution. Celles-ci ne défendront leurs droits qu’en refusant d’être expropriées de leur sexualité, de leurs désirs et de leurs plaisirs, et en affirmant leurs compétences dans tous les champs de la société. Autant de démarches qui leur sont impossibles tant qu’elles sont enfermées dans le système prostitueur, et tant que la société les y maintient en acceptant que les violences qu’elles subissent soient qualifiées de « travail ».
Appliquer réellement les termes de la loi Olivier-Coutelle serait la moindre des choses pour le service public notamment.
Je vous adresse un courrier relatif à l’entretien de Sonia Devillers avec une jeune femme relatant sa situation de prostitution pendant quatre années – ce jour 11 04 2023 sur France Inter :
-Au cours de l’émission la jeune femme évoque sa difficulté à vivre pour sortir de la précarité avec sa fille après que le père de l’enfant a disparu.
-Elle se met en couple avec un homme qui la conseille pour entrer en situation de prostitution.
-80% des hommes rencontrés dit-elle, veulent « aller plus loin » que les limites posées
-Et encore : « On se sent souillée »…
-Elle ne dit rien de la poursuite de ses études universitaires… ni des résultats de ce passage en prostitution sur sa sexualité…
La prostitution n’est assurément pas un travail commun, ni « un projet d’avenir », elle est l’expression la plus aboutie de la situation de domination des hommes sur les femmes.
La prostitution est le résultat de la demande des « clients » sans laquelle la prostitution n’existerait pas, ni le proxénétisme ni la traite humaine à des fins d’exploitation sexuelle.
Comment se fait-il que des hommes s’autorisent à acheter un acte sexuel sans se questionner sur le fait qu’ils transforment ainsi un être humain en objet à jouir ?
Ont-ils des besoins sexuels irrépressibles ? Les pourcentages de « clients » dans la population générale varient beaucoup en fonction des pays, cela ne plaide pas pour la nature… mais plutôt pour un patriarcat plus ou moins affirmé…
L’Amicale du Nid accompagne des personnes vers la sortie de la prostitution depuis 1946. Nous attendons que la loi Olivier-Coutelle du 13 avril 2016, soit appliquée sur l’ensemble du territoire national et que les services publics la connaissent.
Pourquoi faire la promotion de la prostitution à une heure de grande écoute ? Comparer le travail du sexe au travail en usine est une insulte faite à toutes les travailleuses et le degré zéro de la moralité. Cette personne a le droit de ses opinions mais vous n’avez pas le droit de les banaliser sur une antenne.
Je viens d’entendre l’émission de Sonia Devillers invitant une mère de famille sur la prostitution. Sans en faire des tonnes, je suis simplement très énervée d’entendre une fois de plus sur votre antenne parler de la prostitution comme un « travail », banalisant ainsi cette violence extrême, l’exploitation de la précarité, la violence des prostitueurs, etc…Un conseil aussi : Lisez LA LOI !
Je respecte cette dame mais tout témoignage est-il digne de publicité ?
Je cherche désespérément à comprendre ce témoignage… elle cherche à justifier son choix, à faire du buzz, à défendre de façon moderne le plus vieux métier monde ?
Prôner la prostitution à la radio, ça me choque ! Tant mieux pour elle ! Mais banaliser à la radio comme ça !!!! On va dire : heureusement qu’il n’y a pas beaucoup d’ados qui écoutent France Inter !
Je viens d’éteindre la radio, votre invitée, particulièrement agaçante, n’a aucun scrupule et tous les moyens sont bons pour se faire de l’argent facile. Est-ce vraiment le lieu et l’heure pour donner la parole à cette personne inintéressante et vulgaire ? Je suis très déçue …il y a tellement de gens formidables qui pourraient venir s’exprimer dans votre émission. Choisissez mieux !
Merci pour ce témoignage, pour l’intelligence et la maturité avec lesquelles vous l’exprimez.
Votre point de vue est primordial. J’espère qu’il sera entendu.
Je fais un peu d’apiculture et je pense souvent au sort que réserve les abeilles aux mâles de la colonie : une fois la période pendant laquelle il est possible de féconder une reine, le mâle est exclu de la ruche (et donc condamné) car, n’ayant rien de plus à apporter, il est considéré comme un ventre dont il faut se débarrasser pour la survie globale. Je me dis parfois que nous, hommes, avons instauré le patriarcat pour ne pas subir le même destin.
Merci également à cette émission qui ose donner une parole longue à des sujets tels que celui-ci. J’étais déjà auditeur de L’instant M et vous félicite pour la mutation que vous avez réussie.
J’ai écouté ce matin France Inter, quelle belle personne brillante, intéressante et courageuse. Elle témoigne de l’état de notre société.
Merci à Sonia Devillers de donner la parole à une travailleuse du sexe. Une parole libre et digne sans caricaturer ni glamouriser ce métier.