Sandrine Treiner est au micro de la médiatrice des antennes Emmanuelle Daviet
Emmanuelle Daviet : Nous avons reçu énormément de messages à la suite des propos tenus par Alain Finkielkraut sur LCI.
Rappelons que le philosophe était chroniqueur sur cette chaîne, il a été congédié la semaine dernière pour ses propos sur l’affaire Duhamel
En substance Alain Finkielkraut s’est dit « contre un lynchage généralisé » du politologue Olivier Duhamel, accusé dans un livre par sa belle-fille, Camille Kouchner, d’agressions incestueuses sur son frère jumeau alors qu’il était adolescent. La question du consentement a également été évoquée dans cet entretien sur LCI.
Et à la suite de cette interview, des auditeurs ont demandé qu’Alain Finkielkraut ne soit plus sur l’antenne de France Culture où il est producteur de l’émission « Répliques » diffusée chaque samedi.
Emmanuelle Daviet : Tout d’abord Sandrine Treiner, comprenez-vous l’indignation, l’incompréhension, que les propos d’Alain Finkielkraut ont suscitées ?
Sandrine Treiner : Comment ne pas les comprendre, Emmanuelle ? Je comprends bien entendu les indignations et les incompréhensions que les propos d’Alain Finkielkraut ont suscité. Et d’autant plus quand on s’en tient à l’extrait relayé par les réseaux sociaux, notamment sur Twitter, savamment composé pour choquer et créer l’émotion. J’ai tenu pour ma part et je le conseille à chacun de regarder la séquence du plateau de LCI dans son intégralité. En ouverture de sa chronique. Alain Finkielkraut condamne de façon extrêmement claire les agissements d’Olivier Duhamel et les actes pédocriminels en général. Il ne laisse aucune ambiguïté sur le sujet, ce qui est pour moi évidemment fondamental et même déterminant.
Emmanuelle Daviet : Des auditeurs ont demandé que vous mettiez fin à cette collaboration avec Alain Finkielkraut. Que leur répondez-vous ?
Sandrine Treiner : Comme vous le savez, Emmanuelle, je n’ai pas voulu répondre dans la précipitation. J’ai pris le temps de regarder plusieurs fois l’émission de LCI , d’en parler ici à Radio France, avec vous-même, avec notre présidente Sibyle Veil, avec Dana Hastier, directrice des antennes. J’ai pris le temps de la réflexion et je crois que c’est ce que l’on est en droit d’attendre de la directrice de France Culture. Puis j’ai écrit un texte qui est sur votre site et je renvoie nos auditeurs sur votre site et sur ce texte, je ne commente pas ce qu’a dit Alain Finkielkraut en dehors de notre antenne dont il s’explique lui même, du reste, dans le magazine Le Point juste paru, je prends acte, en revanche, comme je vous l’ai dit, de sa condamnation des faits criminels reprochés à Olivier Duhamel et maintenant, je voudrais dire ceci à nos auditeurs : Alain Finkielkraut produit « Répliques » depuis plus de trente ans sur France Culture. Il est adepte des sujets difficiles, parfois polémiques, notamment parce qu’il est extrêmement sensible aux reflets des questionnements de l’époque. Dans « Répliques », il anime un débat avec des penseurs, des chercheurs, des écrivains. Parmi ses fidèles auditeurs, il a ses fans, mais il a aussi ses détracteurs. C’est une des caractéristiques de « Répliques ». Je crois que personne ne l’écoute pour être d’accord ou pas du reste avec Alain Finkielkraut. Mais pour réfléchir à notre temps en écoutant France Culture. « Répliques » occupe une place très particulière dans l’espace culturel et médiatique français et une place qu’il me paraît nécessaire et même très important de conserver. Et pour ma part, en responsabilité, je m’assure qu’Alain Finkielkraut reste fidèle à la promesse de son émission « Répliques » et aux engagements de France Culture, à savoir la garantie dans son émission comme dans les autres, du reste d’un débat public exigeant et pluraliste.
Emmanuelle Daviet : Il y a deux points qu’il est important de relever :
parmi les auditeurs qui souhaitent l’éviction d’Alain Finkielkraut certains nous disent qu’ils n’ont jamais écouter Répliques mais qu’ils sont choqués que France Culture continue à laisser Alain Finkielkraut s’exprimer et puis, tout à l’opposé, et pour être tout à fait factuel, indiquons que des messages de soutien au philosophe nous ont également été adressés avec un argumentaire très étayé dénonçant « un terrorisme idéologique » qui s’approprie la liberté d’expression et la refuse à tout autre.
Sandrine Treiner, ces réactions… que traduisent-elles de notre époque ?
Sandrine Treiner : D’abord, j’espère évidemment que les auditeurs qui n’ont jamais écouté « Répliques » vont venir l’écouter samedi matin à 9h07, après les excellents Matins du samedi. Alors, il faut d’abord rappeler, je crois qu’il faut être très clair sur ces sujets là, qu’il y a des questions qui ne relèvent pas de la liberté d’opinion ni de la libre expression. Et du reste, Alain Finkielkraut, s’interrogeant sur la question de l’évolution possible du droit en matière de consentement, n’a rien dit qui soit hors la loi. Le sujet qui a créé l’émotion, le sujet des faits reprochés à Olivier Duhamel, ne relève donc pas du débat. Néanmoins, puisque vous m’interrogez, je constate comme vous que les débats se tendent à l’image d’une société clivée, fragmentée. On a l’occasion d’en parler souvent sur cette antenne où l’on peine à s’écouter et donc à se comprendre. Alors, je n’ai évidemment pas le temps de répondre totalement à votre question. Nous avions consacré au débat public, une journée entière d’antenne l’automne dernier sur France Culture, je renvoie les auditeurs à cette journée d’antenne, mais je peux peut-être insister sur les conditions du débat. Il n’y a pas de débat digne sans le temps du débat, sans échanges contradictoires et sans pluralisme. Un débat digne est un débat bien posé. Il faut le bon sujet, la bonne question dans le sujet et les bonnes personnes pour y répondre. Ce n’est malheureusement pas toujours ce que l’on entend aujourd’hui dans les médias. C’est pourquoi on ne peut pas faire la même chose sur LCI et sur France Culture. Il faut aussi, selon moi, que les gens qui répondent à la question posée puissent se prévaloir d’un travail ou d’une expérience sur celui-ci, je ne serais pas détrompée, je pense dans ce studio, la pure logique de l’opinion généralisée me paraît dénuée d’intérêt et surtout dénaturée complètement de ce que doit être un débat en démocratie.
Emmanuelle Daviet : Vos auditeurs apprécieront cette prise de position très claire qui est nécessaire. Pour finir un mot sur les audiences puisque c’est aujourd’hui, qu’on les connaît pour Paris Ile de France.
Sandrine Treiner : Il n’y a pas que des sujets difficiles. Cela dit, permettent de réfléchir et de se positionner. Et une fois encore, ça fait grandir tout le monde, y compris soi même. Vous savez, nous avons eu des audiences la semaine dernière. Aujourd’hui, c’est singulièrement les audiences en Ile de France et à Paris qui sont tombées, comme on dit, comme on dit d’une dépêche, qu’elle tombe. Ils font de France Culture pour la première fois de son histoire, la troisième radio la plus écoutée à Paris, c’est quand même un fait presque étonnant.
Avec 9 points 8, presque 10 points d’audience cumulée, ça fait de France Culture près de 12 % des Parisiens écoutent France Culture et en Ile de France, là aussi, un score extrêmement important puisque France Culture récolte 4 points 2 d’audience cumulée, ce qui marque une progression tout à fait phénoménale de notre antenne. Et je le précise, qui reste tout à fait stable dans toutes les autres régions de France. Evidemment, on s’en réjouit et merci à tous nos auditeurs à Paris, en Ile de France ou ailleurs.