Voici les principales thématiques abordées par les auditeurs dans leurs courriels envoyés du 1er au 8 avril 2022.
La campagne électorale
- Vote blanc et abstention
- Les sondages
- Les temps de parole
- Points de vue d’auditeurs
- Et le rapport du GIEC ?
- Le climat et l’agriculture
- Les rediffusions de « Répliques » sur France Culture
- Hommages à Gisèle Halimi sur France Inter
- Pêle-Mêle de remarques d’auditeurs
- La critique du film « En Corps » dans le Masque et la Plume
- La langue française
Points de vue croisés
Le spectre de l’abstention
Après avoir fait l’objet de spéculations pendant toute la campagne, l’abstention, annoncée à un niveau record au premier tour de l’élection présidentielle, sera minutieusement scrutée dimanche car elle risque fort de peser sur le résultat du scrutin. Depuis la Berezina civique des régionales en 2021 qui avaient vu les deux tiers des Français déserter les urnes, les spécialistes se demandent si la présidentielle, élection reine de la Ve République jusqu’alors à peu près préservée, sera à son tour naufragée. Beaucoup de politologues craignent que le record du 21 avril 2002 (28,4%), le plus haut niveau d’abstention jamais enregistré pour un premier tour d’une élection présidentielle, puisse être battu, soit bien plus qu’en 2017 (22,2%) qui n’était déjà pas un bon cru.
Des auditeurs estiment que la question de l’abstention est démesurément évoquée sur les antennes et la parole trop souvent donnée aux abstentionnistes :
« A force de parler d’abstention, beaucoup de gens se disent : « puisqu’il paraît que tout le monde va s’abstenir, alors pas la peine que j’aille voter ». Alors, arrêtez SVP !!! »
« Dans votre émission, je trouve insupportable cette mise en avant des électeurs qui choisissent de ne pas voter alors que je n’entends jamais interviewer des électeurs qui voteront dimanche. Vous n’êtes pas les seuls en cause, les journaux font de même ! Pourquoi ne pas mettre en avant les arguments de ceux qui considèrent que voter est important comme acte citoyen dans un pays qui reste encore une démocratie ? Le risque est de légitimer le choix des abstentionnistes car le choix des médias dans les sujets traités influence beaucoup la perception des gens. Merci à vous sur la qualité des équipes et votre engagement ! »
« A force de marteler le taux d’abstention, les médias ne font qu’aggraver le phénomène en donnant bonne conscience aux hésitants. Et en plus, pourquoi penser que les abstentionnistes modifieraient le résultat ? »
Selon une enquête Ipsos/Sopra Steria réalisée du 4 au 6 avril, l’abstention pourrait se situer entre 26% et 30%, avec un point moyen à 28%. Mais est-il pertinent de citer un sondage dans cet édito lorsque l’on reçoit des courriels d’auditeurs traduisant toute leur méfiance à leur égard ?
Des sondages ad nauseam
Si devant les micros on se délecte des sondages et des commentaires qu’ils engendrent, de l’autre côté du poste certains ne cachent plus leur lassitude ou leur inquiétude envers les dérives sondagières :
« Pourquoi ne pas interdire les sondages pour remobiliser les électeurs ? Cela permettrait notamment d’éviter les émissions et discussions stériles ou finalement manipulatrices sur les commentaires de sondages »
« Pendant que l’on commente les sondages, on ne parle pas des programmes. Interdiction des sondages 15 jours avant les élections. Plus de démocratie, quoi. »
« Encore une fois, le rôle des sondages est catastrophique ! Puisqu’ils font l’élection, en grande partie, à quoi bon voter ? »
« Comme en ce moment dans votre émission, les médias passent malheureusement beaucoup de temps à commenter la campagne sur des données et essentiellement des sondages, plutôt que de s’intéresser au fond, à savoir celui des propositions des candidats. C’est dommage de ne pas s’interroger sur ce déficit d’analyse utile à l’auditeur comme à l’électeur. »
« Nous sommes à quelques jours du premier tour de la présidentielle, et voilà que votre chaîne dégaine son sondage quotidien sur les intentions de votes.
J’imagine que cette décision n’a pas été prise à la légère, mais je n’arrive pas à la comprendre. L’effet délétère de ces sondages multipliés sur les élections elles-mêmes via les dynamiques de popularité et les raisonnements de « vote utile » n’est-il pas suffisamment clair pour tout le monde ? S’agit-il seulement pour votre chaîne de donner à peu de frais du grain à moudre à ses commentateurs et intervieweurs politiques ? La chaîne s’honorerait de suivre l’exemple d’un grand journal de la presse quotidienne régionale qui refuse de commander ou citer le moindre sondage sur les élections. Dans ce contexte instable et sensible, le sondage influence trop l’objet de sa mesure, il n’est pas une information comme les autres que l’on peut présenter sans perdre sa neutralité. Alors oui, même si vous arrêtiez les sondages, d’autres médias continueraient d’en publier ? Mais ce n’est pas parce que votre chaîne ne peut pas résoudre seule le problème qu’elle doit se complaire à en faire partie. »
Pierre Bourdieu a toujours invité les journalistes et les hommes politiques à considérer les sondages avec vigilance. Il aurait même souhaité à leur égard, la généralisation du soupçon. Force est de constater que leur vivacité et leur prégnance dans l’univers médiatique et politique français balaient radicalement le vœu de suspicion du sociologue.
Les antennes ont proposé différents décryptages et sujets sur les sondages : panel, méthodologie, marge d’erreur, leur crédibilité, leur fiabilité, « les sondages en 10 leçons », « les sondages font-ils l’élection ? », « Ne tirez pas sur les sondeurs », « La grande trouille des sondeurs ». Une sélection est à retrouver dans cette Lettre.
Les temps de parole
Dans leurs messages, les auditeurs font part de leur incompréhension, voire de leurs crispations, sur le temps de parole octroyé à chaque candidat lors de cette dernière ligne droite de la campagne :
« Sommes-nous en campagne électorale ? J’ai écouté avec ahurissement les règles de couverture de la campagne présidentielle. Il en résulte que la seule manière de respecter la loi est de ne pas en parler, et c’est pratiquement ce que vous faites. Le législateur est consternant. »
Le rendez-vous de la médiatrice dimanche à 11h51 sur Franceinfo sera consacré aux principes et à l’histoire de ces règles des temps de parole. Jean-Christophe Ogier, adjoint au Secrétaire général de l’information de Radio France, répondra aux questions des auditeurs et rappellera pour quelles raisons le pluralisme n’est pas imposé à la presse écrite mais à la radio et la télévision.
Et le rapport du GIEC ?
L’humanité dispose de moins de trois années pour inverser la courbe des émissions de gaz à effet de serre, principales responsables du changement climatique, si elle veut conserver un monde « vivable », ont alerté lundi les experts climat de l’ONU dans un nouveau rapport.
L’objectif le plus ambitieux de l’Accord de Paris de limiter le réchauffement à +1,5°C par rapport à l’ère pré-industrielle est « hors de portée » avec les engagements internationaux actuels, soulignent les experts du Giec. Et même si le « pic d’émissions » est effectivement atteint avant 2025 et que des « actions immédiates » sont prises, le réchauffement pourrait atteindre 2°C.
Il y a quinze jours, lors de l’ouverture des discussions des 195 Etats membres du Giec, le pronostic du secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres était déjà sans appel : « Nous marchons les yeux fermés vers la catastrophe climatique » et « si nous continuons comme ça, nous pouvons dire adieu à l’objectif de 1,5°C.”
Transformer radicalement l’économie, faire plafonner les émissions d’ici moins de trois ans, en commençant par se désintoxiquer des énergies fossiles, autant de thématiques que les auditeurs attendaient sur les antennes, le jour de la publication du rapport. Mais, en début de semaine, leurs messages ont surtout traduit la déception, voire la colère :
« Quelle couverture médiatique du 3e volet du 6e rapport du GIEC dans la matinale ? Je suis très déçue, extrêmement dépitée, beaucoup en colère aussi. Hier a été publié le 3e volet du 6e rapport du GIEC. La matinale de France Inter en a vaguement parlé mais ce n’est absolument pas à la hauteur de ce qu’on doit en retenir. Cela devrait être prioritaire comme sujet puisqu’il s’agit de notre survie en tant qu’humanité. N’est-ce pas ce qui compte le plus ? Les faits sont les faits, on doit y faire face, ne plus se voiler la face. A l’heure de la campagne présidentielle, expliquer le GIEC, ses rapports en profondeur et de manière répétée pourraient aider les Français à faire un choix en conséquence. (…) Sans information sérieuse, les gens restent apathiques. »
« Bonjour Franceinfo, je vous écoute souvent, et je trouve ça vraiment très dommage pour un média de votre ampleur de si peu parler de l’actualité du changement climatique et des différents rapports du GIEC, surtout le dernier sorti, annonçant seulement trois années pour agir !!!! De plus, vous auriez pu davantage évoquer le sujet durant cette campagne présidentielle, si cruciale pour notre avenir et pour la lutte contre le dérèglement climatique. »
« Bonjour France Culture, ma radio préférée. J’aimerais que vous abordiez plus souvent sur votre antenne, en fait tous les jours, un petit sujet léger et qui concerne la disparition de l’espèce humaine à court terme, entraînant avec elle bien sûr des millions d’autres espèces, et possiblement la vie tout court. Il semblerait, selon le GIEC, qu’il ne reste que 3 ans pour agir. Il me semble donc possiblement pertinent de parler de ça avant tout le reste, avant que plus aucun sujet n’est plus aucune importance. »
A l’attention des auditeurs, nous avons réuni ici une sélection des émissions, interviews, chroniques, réalisées sur le sujet et force est de constater que toutes les antennes ont traité le rapport du GIEC.
Plus globalement, depuis plusieurs semaines déjà, les auditeurs considèrent que les thèmes de l’environnement, du climat et de la transition énergétique ne sont pas suffisamment traités sur les antennes à l’occasion de cette campagne électorale. Réalité ou perception ? A l’aune des programmes ou des reportages proposés sur le sujet, il apparait pourtant un volume d’heures conséquent consacré à la question climatique, les podcasts sur le sujet en attestent, et Sandrine Treiner, directrice de France Culture, a eu l’occasion de le rappeler hier dans le rendez-vous de la médiatrice.
Alain Finkielkraut
Lors de ce rendez-vous sur France Culture, nous avons évoqué les nombreux courriels d’auditeurs qui s’interrogent sur l’émission Répliques :
« Depuis plusieurs mois il n’y a que des rediffusions. Comment le comprendre ? Est-ce le fait d’Alain Finkielkraut ou la chaîne met-elle fin, progressivement, à l’émission ? »
« Depuis plusieurs semaines, l’émission propose des rediffusions atemporelles. Nous sommes plusieurs à être inquiets. Pour l’émission, bien sûr, mais surtout pour M. Finkielkraut, dont les amis sont peut-être plus nombreux que les ennemis, mais moins bruyants. Sans doute à tort. »
« Je vous contacte car, auditrice fidèle de Répliques, je me demandais pourquoi depuis plusieurs mois il n’y avait que des rediffusions ? En espérant que M. Finkielkraut se porte bien et en vous remerciant pour votre retour »
Sandrine Treiner, a tenu à leur répondre :
« Alain Finkielkraut a été effectivement souffrant. Il n’a pas été en capacité de faire de la radio, de se déplacer, de venir ici en studio. Aussi lui ai-je proposé pas plus tard qu’il y a une quinzaine de jours, d’essayer de refaire son émission, que nous allons enregistrer chez lui pour lui éviter le déplacement et qu’il puisse retrouver le débat public et ses auditeurs. Dès samedi matin « Répliques » sera à l’antenne. Je ne peux pas dire si ce sera toutes les semaines ou pas. Cela va dépendre de lui, mais nous n’avons pas cette inélégance. Nous n’éteignons rien et nous faisons au mieux. Et cela dit, je me réjouis pour nous et pour lui de voir la fidélité des auditeurs de « Répliques » qui comprennent que cette émission est un instrument du débat public. Qu’on soit d’accord ou pas. »
« En corps » en miettes
Sorti le 30 mars, « En corps », dernier film de Cédric Klapisch, était au menu du « Masque et la Plume » dimanche dernier, ainsi résumé par Jérôme Garcin :
« Marion Barbeau, première danseuse à l’Opéra de Paris et dont c’est le premier rôle au cinéma, est Élise Gautier. Trompée par son compagnon-danseur, elle fait une chute grave durant un spectacle et on lui assène qu’elle ne pourra plus monter sur scène. Elle part alors pour la Bretagne, où elle découvre une nouvelle manière de danser avec une troupe de danse contemporaine. »
Après cette courte présentation, le producteur de l’émission a ensuite laissé la parole aux critiques. Si tous ont salué la prestation de Marion Barbeau, chacun avait néanmoins affuté ses flèches :
Pour Eric Neuhoff du Figaro, le film est : « moins mauvais que le titre. La danseuse se fait une entorse mais on ne peut pas dire que Klapisch se soit foulé (…) un film pas désagréable mais quand même un peu inutile (…) ça donne pas envie de s’inscrire à l’opéra, ça donne pas envie de devenir chorégraphe et ça donne pas envie de retourner au cinéma ». Camille Nevers de Libération fut moins sévère, Nicolas Schaller de l’Obs, beaucoup plus nuancé, tout comme Jérôme Garcin.
Il n’empêche, les auditeurs ont été littéralement estomaqués par la virulence des critiques et le plaisir mauvais à déverser ce fiel :
« Les critiques ont été d’une méchanceté et d’un manque de sensibilité accablante, comment peut-on être si à côté de la plaque que ça ? Ce film est une merveille, il est plein d’humanité et de beauté ! Il fait un bien fou en ces temps difficiles ! Tout y est parfait ! Le lever de rideau qui nous met en condition de façon magnifique pour apprécier ce magnifique art ! Les Chorégraphies sont une merveille, elles nous emportent dans un mouvement de vie absolu ! Les rapports humains sont aussi tellement bien sentis ! On dirait bien que la beauté, l’humanité ne touchent plus du tout ces critiques qui croient que leurs avis sont essentiels et valent l’avis de tout le monde ! Je suis très en colère face à ce peu de grâce et de compréhension ! Affligeant !!! »
« Ce n’est pas parce que vous avez un public à faire rire que vous pouvez vous permettre d’être irrespectueux envers cette œuvre et envers ceux qui l’ont appréciée. Pour une fois qu’un film grand public est consacré à la danse et non pas aux voitures de course, réjouissons-nous ! »
« Vous êtes une équipe de critiques prétentieux. Je viens de voir le film que j’ai trouvé très agréable à regarder et je vous écoute après : je suis très choqué. Dans la salle il y a eu des applaudissements ! Venez en province regarder les films et descendez de votre piédestal parisien, ce n’est pas la première fois que vous êtes unanimes pour descendre un film, puis le public vous donne tort. Alors changez un peu, sinon on ne vous écoutera plus…»
« Je vous trouve très durs avec le film de Klapisch que j’ai beaucoup aimé. Les scènes de danse sont très bien filmées, l’actrice/danseuse est magnifique, l’histoire est belle, j’ai eu du mal à sortir du film. La salle à applaudi à la fin. »
Défiant les critiques, le film de Cédric Klapisch connaît de toute façon un joli succès pour sa première semaine en salles avec près de 340 000 entrées et s’annonce déjà comme un succès populaire.
Gisèle Halimi, femme ardente
France Inter et l’association « Choisir la Cause des Femmes » fondée par Gisèle Halimi et Simone de Beauvoir en 1971, ont proposé lundi une soirée inédite et en public depuis le studio 104 de la Maison de la Radio et de la musique pour rendre hommage à Gisèle Halimi et ses engagements :
« Avocate, militante radicale, femme politique, femme de lettres, Gisèle Halimi a marqué le 20ème siècle par son courage en luttant contre le patriarcat, la colonisation, l’impérialisme, les violences d’Etat, la torture et les crimes de guerre. Questionnant la loi, provoquant le débat, exigeant une justice vivante, elle a défendu la cause des femmes sans relâche et sans concession. Du procès de Bobigny où elle dénonça l’injustice de la loi pénalisant l’avortement au procès d’Aix où elle exigea que le viol soit jugé comme le crime qu’il est, elle fut une avocate révoltée et révolutionnaire ». Cette soirée en présence de celles et ceux qui l’ont accompagnée et soutenue mais aussi des militantes d’aujourd’hui était animée par Sonia Devillers :
« Un immense merci à Sonia Devillers pour la qualité exceptionnelle de la soirée hommage à Gisèle Halimi. Une des émissions les plus émouvantes et intenses que j’ai pu entendre (et j’ai 48 ans !), jamais je n’ai autant senti une salle vibrer à la radio. En retraçant le parcours politique et militant de Halimi, c’est une histoire du féminisme et des luttes encore à mener qui nous a été présentée avec une force folle. Merci, bravo, vive le service public, qu’il vive encore longtemps ! »
« J’étais présente au studio 104 et c’était un très beau moment. Bravo Sonia Devillers pour cette soirée menée de main de maître, entre simplicité, gravité et émotion. »
« Madame Devillers, j’ai suivi cette émission avec beaucoup d’émotions… Je suis née en 1972 et j’ai grandi avec une grand-mère féministe qui avait milité au côté de Gisèle Halimi… J’ai été toujours très admirative de cette femme extraordinaire. Alors merci encore de lui avoir rendu hommage… Le combat n’est pas fini ! Continuons à lutter ! Merci encore pour cette magnifique soirée. »
Quelques heures plus tôt, Augustin Trapenard recevait Annick Cojean, grand reporter au Monde. Gisèle Halimi s’était confiée à elle, dans un livre paru peu de temps après sa disparition, « Une farouche liberté ». Messages des auditeurs de Boomerang :
« J’ai lu hier « Une farouche liberté » et je suis tellement touchée par ce que j’entends ce matin en écoutant parler Annick Cojean de Gisèle Halimi et de la condition des femmes… Merci beaucoup pour vos émissions et celle d’aujourd’hui en particulier. Cet hommage pour Gisèle Halimi est essentiel pour nous tous. Merci. »
« Une forte émotion s’est imposée à moi en entendant le texte écrit et lu par Annick Cojean… En tant que femme, fille et mère, je souhaite vous remercier pour transmettre ces messages qui semblent nécessaires à nommer, dire, lire, écrire. Encore et encore. Ce texte est si juste et pertinent que je me permets de vous demander s’il serait possible d’y avoir accès pour le transmettre à nos filles et nos fils. Pour le féminisme d’aujourd’hui et de demain ? Merci, merci, merci… »
Emmanuelle Daviet
Médiatrice des antennes de Radio France