1. Reportage sur un lanceur d’alerte biélorusse
2. Hommage à Samuel Paty
3. Jean-Michel Blanquer dans « L’Esprit Public » sur France Culture
4. Roselyne Bachelot, invitée du Grand entretien de France Inter
5​​​. François Hollande, invité du Grand entretien de France Inter
6. L’« indemnité inflation » de 100 euros
7. Débat de l’actu : la maison individuelle de demain

8. Jean-Marc Jancovici, invité du Grand entretien de France Inter
9. Pêle-Mêle de remarques d’auditeurs
10. La langue française

Leçons du réel 

Au menu de cet édito, les réactions des auditeurs aux extraits sonores diffusés dans un reportage consacré à un lanceur d’alerte biélorusse, la présence de Jean-Michel Blanquer dans “L’Esprit public” sur France Culture, l’avis de Roselyne Bachelot sur France Inter à propos de Bertrand Cantat invité au Théâtre de la Colline, Anne Hidalgo expliquée aux enfants dans “Franceinfo Junior”. 

Le son de choc  

Mardi 20 octobre, les journaux du soir de France Inter, Franceinfo et France Culture ont diffusé un reportage consacré à Sergueï Savelev. Cet homme, de nationalité biélorusse, est à l’origine d’une fuite d’informations sans précédent sur le système carcéral russe. Au début du mois, il a, en effet, rendu public des images insoutenables de prisonniers russes subissant des viols et des tortures en cellule. Ses révélations ont conduit au limogeage de plusieurs responsables. Sergueï Savelev a quitté la Russie pour venir se réfugier en France, où il a décidé de demander l’asile.  

Le reportage diffusé mardi relate son arrivée sur le territoire français et dévoile les sévices pratiqués dans une prison hôpital à Saratov, à l’ouest de la Russie, établissement où Sergueï Savelev, chargé de la maintenance informatique a collecté les vidéos surveillance pendant plus de cinq ans. Le reportage, lancé sans mise en garde au public avant sa diffusion, décrit avec force de détails les atrocités subies par les prisonniers et donne à entendre les hurlements d’un homme subissant un viol. 

Dès la diffusion du reportage, les appels ont fusé et les courriels sont tombés. Au téléphone ou devant leur clavier, des auditeurs se sont dits extrêmement choqués. Les trois antennes ont été destinataires de messages dans lesquels les auditeurs ont longuement exprimé à quel point les conditions de diffusion de ce sujet et sa teneur les ont horrifiés : 

« J’étais avec mon fils lorsque nous écoutions ce programme et nous avons été tous les deux choqués pas ces cris atroces de douleur d’autant plus avec la voix de l’homme nous expliquant qu’il se faisait violer avec une perche. Un dégoût et de l’horreur, voilà ce que déclenchent ces cris d’effroi. Les programmes de France Inter sont habituellement de qualité et sont encore préservés du journalisme à sensations.  En tout cas habituellement. Cette diffusion a dû heurter d’autres personnes… des enfants écoutent cette radio. » 

« Je voudrais commencer par dire que j’apprécie énormément les journaux de la rédaction de France Culture. J’ai l’habitude d’écouter attentivement le journal chaque soir avant d’aller me coucher (en podcast, du coup !). Malheureusement, je crains qu’une erreur se soit glissée dans l’édition d’hier en diffusant les hurlements d’un homme torturé dans une prison russe. Le fond du reportage, l’information, était importante et nécessaire. Les cris, sans autres avertissements préalables (et honnêtement, quand bien même), accompagnés d’une description très détaillée, étaient simplement traumatisants. J’entends encore les cris de cet homme ce matin. Je n’ai pas l’habitude de partager mon avis quand je l’estime très subjectif, mais je me permets de penser que le choix de diffuser cet extrait était une erreur majeure, indiscutable et partagée par beaucoup, et je crains d’ailleurs que vous n’ayez reçu quantité de courrier d’auditeurs troublés allant dans ce sens. »  

« Je suis une auditrice régulière du journal de 19h00 de Franceinfo. Je vis également avec un trauma d’agression sexuelle. Ceci a son importance pour la suite de mon message. Lors du journal, pendant un reportage les cris d’un détenu, dont le journaliste précise ensuite qu’il est violé au moyen d’une perche au moment de l’enregistrement de ces cris par des caméras de surveillance, ont été diffusés pendant plusieurs secondes sans aucun avertissement préalable. Ces cris m’ont forcément ramenée à mes propres traumatismes, et bien que ce que j’ai vécu est certainement d’une magnitude bien moindre que ce que ces prisonniers subissent, je passe des heures très difficiles mentalement à l’heure où je vous écris. Pour toutes celles et tous ceux qui comme moi vivent encore avec un traumatisme d’agression sexuelle, je ne peux que vous IMPLORER d’avertir les auditeurs au préalable de prochaines diffusions de contenus extrêmement violents tels que celui-ci. » 

« Avez-vous perdu la tête ? Vous diffusez à une heure de grande écoute l’enregistrement du viol d’un homme qu’on entend hurler pendant que le journaliste explique le mode opératoire et précise que le réfugié interviewé ne pourra jamais effacer de sa mémoire l’horreur qu’il a vécue.  
Qu’est-ce qui vous fait croire que, sous couvert de m’informer, j’ai envie d’entendre ce genre d’horreur, d’autant que mes enfants, que j’encourage toujours à s’informer, peuvent également tomber sur cet enregistrement ? Qu’est-ce que cet enregistrement apporte de plus que l’information que vous donnez par ailleurs en parlant ? Si l’enregistrement est nécessaire, c’est que le journaliste n’a pas su trouver les mots pour décrire avec véracité la scène. Je suis profondément heurtée par ce que je viens d’entendre. » 

« Je suis effarée que, lors d’un journal, passe un enregistrement audio d’un viol dans une prison russe, avec en plus tous les détails – viol avec une perche !!! Mon fils de 11 ans était à côté de moi.  
Comment voulez-vous que nous puissions filtrer cela ??? Je vous remercie de faire passer ce message à la rédaction de Radio France. Déjà que nous ne regardons aucun journal tv, devons-nous aussi couper la radio pour ne plus entendre les nouvelles ? D’une façon générale la couverture des viols et meurtres avec violences sexuelles se font sur vos antennes avec des détails inappropriés. Pas besoin de “faire un dessin” : quand on est adulte, on comprend. Mais non les enfants n’ont pas besoin de savoir ce qu’on introduit dans le corps des gens pour les violer. » 

Le lendemain, mercredi 21 octobre, à l’heure où la veille ce reportage a été diffusé, les trois chaînes ont présenté leurs excuses : 

France Inter :  
“Un mot concernant un reportage que nous avons diffusé hier soir dans ce même journal, un reportage sur un lanceur d’alerte biélorusse dénonce viols et tortures dans les prisons, certains extrais issus de vidéos vous ont choqué. Ce que nous comprenons et nous nous en excusons.”  

Franceinfo : 
“Certains de nos auditeurs ont fait part de leurs difficultés à l’écoute d’un reportage diffusé hier soir à 19 heures sur notre antenne et qui concernait la demande d’asile en France d’un lanceur d’alerte biélorusse. Nous avons intégré dans ce reportage des extraits sonores de vidéos que ce militant a fait fuiter pour dénoncer des cas de torture dans des prisons russes. Il nous semblait important de le faire parce que c’est la réalité que ce militant souhaitait pointer. Mais si ces extraits ont pu heurter, nous vous prions de nous en excuser. »

France Culture :  
“Nous avons diffusé hier un sujet à 18 heures sur le lanceur d’alerte Sergeï Savelev qui demande l’asile en France, les extraits des vidéos qui prouvent les viols et tortures dans les prisons russes ont choqué certains auditeurs. Nous le comprenons et nous leur présentons nos excuses.”  

Des auditeurs ont été sensibles aux messages des chaînes et nous l’ont écrit, mais, pour certains l’indignation demeure : 

« Merci infiniment de ce message. Je suis vraiment préoccupée par le traitement de ce sujet qui devient de plus en plus souvent “explicite”, et dans le cas de la radio, c’est souvent impossible de réagir pour couper le son. D’une façon générale, la description des actes violents est aussi plus crue depuis plusieurs années. Je vous remercie d’échanger avec les rédactions de Radio France sur la description à l’antenne de la violence. Encore une fois, les adultes qui entendent les nouvelles peuvent projeter des images et aller ensuite lire des descriptions sur des supports écrits s’ils le désirent, mais les enfants ne devraient pas subir cela. Encore merci.» 

« Je reste très dubitative sur le choix qui a été fait de diffuser ce son hier, à une heure de grande écoute. Vos excuses sont les bienvenues mais elles ne me semblent pas à la hauteur de la faute commise.  Montrer des images pornographiques aux enfants est un délit. Leur faire entendre de telles choses devrait en être un au moins aussi grave. Je gère les réveils que ces cris qui me reviennent en tête ont provoqué dans ma dernière nuit même si ça me met en colère mais je ne pardonnerais pas qu’un de mes enfants ait eu à entendre ça. » 

Le son du débat  

Vendredi dernier, les écoles, collèges et lycées à travers la France ont honoré la mémoire de Samuel Paty, professeur d’histoire-géographie, sauvagement assassiné le 16 octobre 2020 – poignardé et décapité – par un réfugié russe d’origine tchétchène après un cours sur la liberté d’expression.  

« Comment enseigner la laïcité ? », « Comment transmettre les valeurs de la république ? », étaient les questions débattues avec Jean-Michel Blanquer dans « L’Esprit public » du dimanche 17 octobre animé par Patrick Cohen, avec Aurélie Filippetti, Monique Canto-Sperber, Dominique Schnapper et Rachel Khan. Nous avons reçu un certain nombre de messages au sujet de l’invitation faite au ministre de l’Education nationale :  

« Je suis surpris et heurté de la présence du ministre dans ce débat sur l’assassinat de Samuel Paty et les interrogations sur la laïcité. Je ne crois pas que ce soit sa place dans une émission qui doit développer plus un esprit critique qu’un esprit courtisan. On ne peut pas être à la fois juge et partie. Je ne dénie pas à France Culture le droit d’inviter un ministre mais dans un autre cadre. » 

« Je veux vous faire part de ma vive préoccupation, de mon inquiétude après avoir entendu « L’Esprit Public » de dimanche dernier. J’espère que la formule qui aura consisté à offrir une tribune à un ministre en exercice sera une parenthèse unique, sans lendemain. » 

Dans le rendez-vous de la médiatrice, jeudi 20 octobre, Sandrine Treiner, directrice de France Culture, a répondu aux auditeurs :  

« Je suis heureuse d’abord de savoir qu’ils sont nombreux à écouter l’Esprit Public (…). À l’occasion de cette commémoration grave de l’assassinat de Samuel Paty, nous avons eu envie d’essayer quelque chose que nous n’avons pas fait depuis longtemps. C’était d’ailleurs présenté comme ça, comme une émission exceptionnelle de l’Esprit Public avec des intellectuelles qui sont traversées par la question de la laïcité, de la transmission : Monique Canto-Sperber, Dominique Schnapper, etc. Elles sont tout sauf des courtisanes. Et en aucun cas, il n’y a eu d’exercice de courtisanerie à l’égard du ministre, mais une discussion entre quelqu’un en exercice et des intellectuelles qui pensent le sujet. Les idées se sont frottées. Ce n’était pas du tout éruptif. Je pense qu’à France Culture, le débat doit pouvoir être apaisé, même quand on est en désaccord, même avec des politiques. Il est sorti de cette émission des idées intéressantes. Pour autant, on n’a pas du tout l’intention de transformer l’Esprit Public. » 

Le son de Bertrand Cantat 

Bertrand Cantat a été invité à composer la musique du spectacle « Mère », créé et mis en scène par Wajdi Mouawad, joué du 19 novembre au 30 décembre au théâtre national de La Colline. 
Le chanteur, condamné à huit ans d’emprisonnement pour le meurtre de sa compagne, l’actrice Marie Trintignant, en 2003, a effectué quatre ans de prison, dont un en Lituanie, avant de bénéficier d’une libération conditionnelle en 2007. 

Invitée lundi dans le Grand entretien sur France Inter, Roselyne Bachelot a été soumise à la question d’une auditrice souhaitant savoir si la ministre « trouvait normal » que le chanteur soit sollicité pour écrire cette musique. Réponse de la ministre : « Je n’ai pas à intervenir dans la gestion de La Colline. Je regrette que Bertrand Cantat ait été invité néanmoins ». Roselyne Bachelot a fait valoir  » la liberté de la création » et a souligné que le patron de la Colline, Wajdi Mouawad, ne pouvait  » pas être accusé de la moindre complaisance en ce qui concerne la lutte contre les violences sexuelles et sexistes”. 

Ce sont, pour la plupart, des auditrices qui ont réagi aux propos de la ministre : 

« En répondant : « Je regrette que Wajdi Mouawad ait invité Bertrand Cantat au théâtre de la Colline » Madame Bachelot rejoint le flot des personnes pour qui la justice est insuffisante et qui souhaiteraient que tout criminel soit condamné à vie ! Bertrand Cantat a été jugé, condamné pour l’assassinat de Marie Trintignant, il a effectué sa peine. Comment une représentante de l’Etat Français peut-elle tenir des propos qui sous-entendent que Bertrand Cantat devrait encore être mis au ban de la société et que la Justice n’aurait donc pas véritablement fait son travail ?  
En tant qu’être humain, je comprends une attitude de rejet pour un homme ou une femme criminel-le, en tant que citoyen-ne, je respecte les décisions de justice et souhaite que tout ancien-ne criminel-le puisse retrouver une place, sa place, dans notre société. » 

« Cela appelle quand même à une réflexion sur le droit ; il me semble qu’en droit français lorsque qu’un citoyen est jugé pour un crime ou délit, qu’une peine est décidée et que cette même peine est effectuée, le « condamné » redevient un citoyen « normal ».  
Or ce n’est pas le cas de Bertrand Cantat ; son métier est musicien et chanteur et systématiquement dès qu’il veut faire un concert ou même créer une musique comme dans le cas présent on (journalistes, féministes, et même ministre…) le ramène à son passé. Personne n’est obligé d’aller assister à ses concerts ou à toute autre activité à laquelle il a participé.  
J’ajoute que je suis une femme âgée de 66 ans et ex-femme battue et que oui il faut lutter contre la violence et les féminicides mais que cela n’empêche pas de respecter le droit. » 

Le son de la jeune génération sur Franceinfo  

Très engagée auprès des jeunes pour les aider à mieux comprendre et appréhender les informations qui les entourent, Franceinfo leur propose différents rendez-vous sur son antenne.  
Ainsi, depuis plus de dix ans, Franceinfo junior reçoit tous les jours un spécialiste pour répondre aux questions des enfants qui l’interrogent sur un sujet d’actualité. Les journalistes se déplacent dans les classes pour enregistrer les questions des élèves. La chronique du 14 octobre dernier a suscité quelques questions. Voici le message d’un auditeur : 

« Franceinfo a consacré son émission Franceinfo Junior à la question « Qui est Anne Hidalgo ? » Franceinfo Junior est une émission pédagogique et sympathique, avec un biais positif, utile en général mais qui frise aujourd’hui avec un engagement en faveur de la candidate à la candidature PS. Du coup je me pose la question de l’égalité entre tous les candidats ? Y aura-t-il un épisode pour chaque candidate et candidat, de Marine Le Pen à Nathalie Arthaud, en passant par Jean-Luc Mélenchon, Yannick Jadot, etc ? Je ne cite pas tout le monde et ne parle pas des candidats non encore déclarés… » 

La chronique « Franceinfo junior » s’est déjà intéressée à des personnalités politiques au sens large, « Qui est Angela Merkel ? » à l’occasion de l’élection allemande. « Qui est Donald Trump ? », « Qui est Joe Biden ? », etc. En l’occurrence, iI ne s’agissait pas de faire campagne pour Anne Hidalgo, mais de répondre à des questions sans complaisance posées par des écoliers de Paris, au moment où Anne Hidalgo venait d’être officiellement intronisée candidate du Parti socialiste. Cependant la remarque de l’auditeur rejoint le constat de la Direction de Franceinfo comme l’explique Matthieu Mondoloni, directeur adjoint de la rédaction : « On est entré dans une campagne présidentielle pas encore officielle. Mais on sait très bien qu’elle a lieu. Les candidats sont déclarés, d’autres ne le sont pas encore. Et à ce titre, je pense qu’on doit être prudent. Donc, pour répondre à la question, c’était un peu un test pour voir si ça fonctionnait, si on pouvait le reproduire. Et on se rend compte notamment grâce aux auditeurs qui ont pu vous écrire qu’effectivement, ça ne convient pas et que ça peut prêter à confusion. Donc, on ne le fera plus, tout simplement. » 

A l’occasion de la campagne présidentielle, Franceinfo a également lancé la chronique « Génération 2022 », pour tendre le micro aux 18-30 ans et un auditeur nous écrit : 

« Cette chronique me semble forcer le tropisme de gauche. On y trouve un nombre très important de jeunes aux discours très structurés, anticapitalistes et militants à gauche. J’ai vu un sondage indiquant que 47% des 18-25 avaient une bonne opinion du chef de l’Etat. Où sont-ils dans la chronique ? Pour discuter parfois avec des jeunes adultes, je suis consterné par leur inculture politique. Ils sont parfois incapables de situer un homme ou une femme politique sur l’échiquier. Je crois que l’honnêteté journalistique consisterait à interroger les jeunes en respectant la diversité véritable de leur opinion (ou non opinion) et non pas de refléter les idées politiques de la journaliste. » 

L’équilibre des orientations politiques de ces jeunes est respecté dans cette chronique comme l’expliquera Matthieu Mondoloni dans le rendez-vous de la médiatrice dimanche à 11h51.

Emmanuelle Daviet
Médiatrice des antennes de Radio France